Chapitre 5 5

Elle soupire, exaspérée. « Tu es irrécupérable. » Elle me désigne la copie usée de Orgueil et Préjugés sur ma table de chevet. « Toujours en train de chercher ton M. Darcy. »

J'effleure la couverture abîmée du livre, dont les pages sont marquées de signets et de passages surlignés. Depuis le lycée, Jane Austen m'a convaincue que des hommes comme Darcy existent réellement. Du moins, c'est ce que j'espère.

Willow hausse les épaules. « Tu pourrais être bien pire. Regarde-moi. J'ai un diplôme en mode et pas un seul job potable en vue. Maintenant, je bosse pour un agent de talent détestable qui refuse même de me laisser approcher les stars. »

Je soupire, un sourire en coin. « Peut-être que l'une de nous deux finira par réaliser son rêve. »

Willow hoche la tête. « Peut-être bien. Mais en attendant, il nous faut une robe décente et une soirée à conquérir. »

Je lui donne une tape sur l'épaule, un sourire en coin. « Avec ton charisme explosif, tu finiras bien par ferrer un client. Il faut juste que tu t'imposes. Regarde combien de temps il a fallu à mon père pour enfin me laisser gérer quelque chose, alors que Nate et son frère ont eu leurs postes sur un plateau d'argent, juste parce qu'ils sont des hommes. »

Willow pince les lèvres, pensive. « T'as pas tort. Je commence à sympathiser avec des assistants dans d'autres agences. Ils savent toujours qui est sur le marché avant les agents. Avec assez de lattés et de sushis pour les amadouer, un jour, ça finira par payer. » Ses yeux glissent vers le sol, puis vers le lit, où réside le chaos que j'ai créé.

Elle secoue la tête et ramasse un chemisier froissé. « Peu importe, on doit t'habiller pour ce rencard. Mais bon sang, tu as mis le bazar ici ! »

« Je ne sais même pas quoi porter. »

« On va trouver. » Elle lève les mains avant de hausser les épaules. « Et si rien ne va, il y a toujours Date Crashers. »

Je plisse les yeux. « Date Crashers ? Sérieusement ? L'ami de Nate du MIT a codé cette appli stupide. »

Willow m'attrape par le bras et m'entraîne dans mon dressing. Elle farfouille entre les cintres avec une détermination sans faille.

« Le rouge est ta couleur, » annonce-t-elle, sans se retourner. « Je parie que Kevin va adorer. »

Elle me jette une robe couleur canneberge, en dentelle, avec des manches en capuchon. Je l'attrape et l'observe dans le miroir. Son col plongeant révèle juste ce qu'il faut de peau et l'ourlet s'arrête stratégiquement à quelques centimètres au-dessus de mes genoux.

« Porte celle-là. Je l'ai en noir. Si Kevin n'est pas intéressé, je peux t'assurer que d'autres hommes dans ce restaurant se battront pour prendre sa place. »

Un sourire satisfait étire mes lèvres. « C'est parfait. »

Willow tend la main. « Donne-moi ton téléphone. »

Je fouille dans ma poche et le lui passe.

« Si ce rencard tourne au fiasco, il faut que tu puisses filer. » Elle tape frénétiquement sur l'écran. « Plus de temps perdu avec des losers. »

« Qu'est-ce que tu fais ? » Je fronce les sourcils. « Tu as une expression louche. J'aime pas ça. »

Elle glousse et continue de taper. « Je fais en sorte que tu aies une porte de sortie, au cas où. »

« Je ne vais pas utiliser Date Crashers. »

« Cette appli m'a sauvée plus d'une fois, tu n'as pas idée. »

Je roule des yeux. « Depuis quand tu fais des rencontres en ligne ? »

« Hello ? J'utilise Tinder tout le temps. »

« Tu ne sors jamais avec les mecs. »

« Parce que je swipe à gauche la plupart du temps. Une fille a des standards. »

« Et qu'est-ce qu'ils t'envoient, en retour ? »

Elle me regarde comme si j'avais posé la question la plus absurde du monde. « Tu plaisantes ? Ils envoient direct une photo de leur... tu sais quoi. Surtout ceux qui sont bien dotés. Mais laisse-moi te dire, ma chère, le visage et... l'autre partie du corps ne sont pas toujours assortis. Moi, je veux le package complet. »

Je ris si fort que j'en ai mal au ventre. « T'es impossible ! »

« Follement géniale, tu veux dire. » Elle me fait un clin d'œil et déverrouille mon téléphone. « Bon, voilà Date Crashers. Tu ne peux pas croire que tu ne l'as jamais utilisé. »

Elle me montre l'icône « Crash My Date » sur son écran. « Si ton rencard tourne au cauchemar, clique là. Je suis déjà membre, alors pas besoin d'entrer tes infos. Tu seras sauvée en un clic. »

« On s'est déjà vus deux fois. Je doute que Kevin me fasse regretter ma soirée. » Je récupère mon téléphone et fais défiler les icônes. « Comment une appli peut-elle être considérée comme un service de rencontres alors qu'elle fait fuir les gens plutôt que de les rassembler ? »

Willow hausse un sourcil. « Parce que la plupart des rencontres se font en ligne maintenant. Et tout le monde n'est pas ce qu'il prétend être. Date Crashers t'empêche de perdre du temps avec des mecs toxiques. »

« Je connais Dylan Banks, » je finis par avouer. « Il a codé Date Crashers quand il squattait une auberge de jeunesse avec Nate. Ils voulaient créer un jeu inspiré des Sims, mais axé sur l'annulation de mauvaises dates. »

Willow se penche pour attraper une paire de talons aiguilles noirs sur une étagère basse du placard encastré. Elle les fait glisser vers moi avant de se redresser avec un sourire en coin.

"N'aie pas peur de t'en servir. Un petit accident, et il disparaît pour toujours."

Je serre la mâchoire, sentant la tension brûler dans ma poitrine. "J'espère que personne n'a jamais utilisé Date Crashers sur moi."

Willow éclate de rire et me lance un clin d'œil espiègle. "Tu ne le saurais jamais."

Je pousse un soupir et marmonne : "Et c'est pour ça que je déteste les rendez-vous."

J'enlève rapidement mon jean et mon haut avant d'enfiler la robe moulante. Son tissu glisse contre ma peau comme une promesse dangereuse. Willow m'observe à travers le miroir, puis lève les pouces en signe d'approbation.

"Bébé, tu es canon. Regarde-moi ce corps !" Elle me donne une tape vigoureuse sur les fesses, me faisant bondir en avant avec un cri surpris. "Tu vas l'assommer. Pas besoin de Date Crashers. Une fois que Kevin t'aura vue, il devra composer le 911."

Je prends une grande inspiration et la relâche lentement, priant pour que ce rendez-vous ne tourne pas à la catastrophe. Après la journée que j'ai passée, je ne suis pas certaine de vouloir affronter une nouvelle épreuve.

Lorsque j'entre dans le bar feutré de l'hôtel, mes yeux balayent la pièce à la recherche d'un homme grand, la trentaine, cheveux blond cendré, yeux gris. Kevin et moi avions prévu de nous retrouver ici, au Fountain Bar, avant le dîner. Mais il n'est pas là.

Je m'installe au comptoir et commande un Cosmopolitan – la boisson fétiche de Willow. Le barman dépose le verre devant moi avec un sourire discret. Je prends une gorgée, savourant l'acidité de la canneberge et la fraîcheur du citron vert.

"Excusez-moi, mademoiselle ?"

Quelqu'un me tapote l'épaule. Je me retourne pour faire face à un homme chauve, vêtu d'un costume noir impeccable, chemise blanche et cravate violette. Son badge indique "Chris Swanson, Directeur de l'hôtel". Son sourire crispé me met immédiatement mal à l'aise.

"Harley McQueen ?"

Je ressens un frisson d'appréhension en acquiesçant. "Oui, c'est moi."

Mon estomac se serre. Oh non. Est-ce que Kevin a utilisé Date Crashers sur moi ?

"M. Fredrick est en route", annonce Swanson en désignant l'entrée du restaurant. "Si vous voulez bien me suivre."

Je fronce les sourcils. "Pourquoi Kevin n'est-il pas là ?"

"M. Fredrick a été retardé. Il m'a demandé de vous conduire à sa table habituelle."

Un goût amer envahit ma bouche. Cela me rappelle mon enfance : un autre homme trop occupé pour s'occuper de ceux qui comptent sur lui. Mon père vivait enfermé dans son bureau après le départ de ma mère, et sans mon frère Nate, j'aurais sombré. Ce genre de comportement ne présage rien de bon.

Nous traversons le hall et pénétrons dans un restaurant élégant aux lumières tamisées. Swanson me guide jusqu'à un escalier en colimaçon qui mène au deuxième étage. De là-haut, je peux observer les clients attablés, humant un mélange enivrant d'épices et d'herbes aromatiques. Nous nous arrêtons à un large box circulaire dans un coin reculé du balcon, loin des regards indiscrets. L'endroit est si privé qu'il en devient presque inquiétant.

"Votre serveuse ne tardera pas à arriver", déclare Swanson en joignant ses mains devant lui. "M. Fredrick sera là sous peu."

Je force un sourire, espérant qu'il ne remarque pas mon malaise. "Merci."

Respire, Harley. Ce n'est qu'un dîner. Mais mon esprit s'emballe. Et si Kevin ne venait pas ? Si c'était une blague cruelle ? Je sors mon téléphone pour envoyer un message à Willow. Elle saura quoi faire.

"Bienvenue au Pinnacle !" Une voix perçante brise mon flot de pensées.

Je sursaute et lève les yeux vers une serveuse qui se tient près de moi. Une brune à la silhouette élancée, ses cheveux tirés en une queue de cheval stricte qui met en valeur son visage angélique. Son uniforme noir, ajusté à la perfection, souligne ses formes avec une élégance discrète.

Elle effleure mon épaule et rit doucement. "Désolée, je ne voulais pas vous faire peur."

Je souffle lentement pour calmer mon cœur affolé. "Ce n'est rien, je ne vous avais pas entendue venir."

"Je suis Karla", dit-elle en sortant un carnet et un stylo de sa poche. "Et je vais m'occuper de vous ce soir. Puis-je vous apporter quelque chose à boire ?"

Je jette un regard inquiet à la table vide devant moi. "Mon rendez-vous n'est pas encore arrivé..."