Chapitre 3 Chapitre 3

Chapitre 3 : Les Liens de l'Ombre,

_Point de vue d'Aurélia_

Le jour que je redoutais le plus était enfin là. Depuis mon réveil, une étrange sérénité s'était installée en moi, une sorte de calme avant la tempête. Peut-être avais-je accepté l'inévitable, ou peut-être n'avais-je plus assez de force pour me battre. En tout cas, ce matin-là, j'étais résolue à traverser cette journée comme une ombre, silencieuse et invisible.

Ma chambre, transformée en quartier général improvisé pour la préparation, ressemblait à un champ de bataille. Une équipe de maquilleurs et de coiffeurs s'affairait autour de moi, me parlant comme si j'étais une princesse impatiente de rencontrer son prince. Si seulement ils savaient. Chaque pinceau, chaque épingle dans mes cheveux me semblait un rappel cruel de ce que je perdais aujourd'hui : ma liberté.

Ma mère entra soudain dans la pièce, un sourire nerveux collé à son visage.

- Tu es magnifique, dit-elle doucement, ses yeux brillant d'une émotion que je n'arrivais pas à définir.

Je ne répondis pas. Je n'avais rien à lui dire, rien que je n'avais déjà crié ou murmuré au cours des derniers jours.

L'église était somptueuse, ornée de fleurs blanches et dorées qui semblaient s'opposer à l'obscurité que je ressentais dans mon cœur. Les invités étaient nombreux, des figures inconnues aux visages sérieux, probablement des associés de Maxence ou des membres de sa sombre "famille".

Je marchais lentement dans l'allée, le voile légèrement soulevé par la brise douce qui s'insinuait par les grandes portes ouvertes. Mon cœur battait si fort que j'avais l'impression que tout le monde pouvait l'entendre. Mon regard s'attarda sur ma mère, assise fièrement au premier rang, rayonnante comme si elle assistait au plus beau jour de ma vie. Je ne pouvais m'empêcher de ressentir une vague de colère à son égard. Elle semblait tellement satisfaite d'avoir trouvé cette "solution"...

Et puis, il y avait Maxence. Debout près de l'autel, vêtu d'un costume noir impeccable, il était aussi imposant que la première fois que je l'avais vu. Il semblait calme, sûr de lui, comme s'il avait déjà gagné.

Lorsque je l'atteignis enfin, il m'offrit un léger sourire. Pas un sourire chaleureux, mais une expression calculée, comme s'il voulait me rassurer tout en me rappelant qu'il contrôlait tout.

- Vous êtes splendide, murmura-t-il en prenant ma main.

- Je n'ai pas eu le choix, répliquai-je à voix basse.

Il ne répondit pas, mais son regard soutint le mien, inébranlable.

Le prêtre commença la cérémonie, et chaque mot prononcé résonnait comme un coup de marteau dans ma tête. "Union", "fidélité", "amour"... Des mots vides de sens dans ce contexte. Je ne les écoutais pas vraiment, trop absorbée par mes propres pensées.

Quand vint le moment des vœux, Maxence parla le premier, sa voix grave et posée :

- Moi, Maxence Delacroix, je promets de vous honorer, vous protéger, et vous garder à mes côtés pour toujours.

Il s'arrêta un instant, ses yeux s'ancrant dans les miens.

- Quoi qu'il en coûte.

Ce dernier murmure, bien que discret, envoya un frisson dans mon dos. C'était moins une promesse qu'un avertissement.

Puis ce fut mon tour. Je serrai légèrement les poings, mon cœur battant à tout rompre.

- Moi, Aurélia Delacourt... commençai-je, la gorge serrée.

Un moment de silence s'installa. Tout le monde me regardait, mais je ne voyais que Maxence. Il semblait attendre, curieux de voir si j'allais défier son contrôle.

- Je promets... de vous honorer... et de vous accompagner dans cette union, dis-je finalement, chaque mot me brûlant la langue.

L'échange des alliances scella ce que je ressentais comme une condamnation. La bague était magnifique, lourde, mais je n'y voyais qu'un symbole de possession. Maxence guida doucement ma main pour l'insérer dans mon doigt, son regard empreint d'une intensité troublante.

Lorsque le prêtre prononça les mots fatidiques – _"Je vous déclare mari et femme"_ –, je sentis mon estomac se nouer. Maxence se pencha, ses lèvres effleurant ma joue, un geste à la fois doux et glacial.

- Bienvenue dans ma vie, Aurélia, murmura-t-il.

Alors que nous sortions de l'église sous les applaudissements des invités, je ne pouvais m'empêcher de me sentir étrangère à tout cela. Les sourires, les éclats de joie, tout me semblait faux. Ce mariage n'était pas une célébration d'amour, c'était une transaction, un marché froid et calculé.

Et pourtant, au fond de moi, une voix murmura : Peut-être que ce n'est pas la fin. Peut-être que je peux encore trouver une part de liberté, même dans cette cage dorée.

Mais pour l'instant, je devais jouer mon rôle. Sourire, saluer, être la parfaite épouse. Après tout, c'était ce qu'on attendait de moi.

La réception avait lieu dans la grande salle de bal du manoir Delacroix, un endroit aussi intimidant qu'il était somptueux. Des lustres en cristal illuminaient la pièce, renvoyant des éclats de lumière sur les visages des invités. La musique jouée par un orchestre discret emplissait l'air d'une ambiance luxueuse, mais pour moi, tout cela ressemblait davantage à une scène de théâtre où j'étais l'actrice principale. Une actrice, avec un rôle bien défini : sourire, rester calme, et faire croire à tout le monde que tout allait bien.

Je naviguais parmi les invités, mon visage trahissant un calme parfait, presque froid. Mais à l'intérieur, la colère et la résignation se disputaient chaque parcelle de mon être.

Je sentis la présence de ma mère avant même qu'elle n'arrive à mes côtés. Ses talons claquaient doucement sur le marbre, et son parfum familier me ramena brièvement à mon enfance. Mais ce doux souvenir fut rapidement remplacé par la réalité : c'est elle qui m'avait mise ici, dans cette situation absurde et oppressante.

- Ma chérie, tu es magnifique, murmura-t-elle en ajustant une mèche invisible sur ma tempe.

Je me contentai de sourire, serrant les dents pour ne pas répondre ce qui me brûlait les lèvres.

- Tu es radieuse. Regarde ces invités, tous admirent ta grâce.

Je tournai légèrement la tête vers elle, laissant tomber mon sourire pour un instant.

- Ils admirent plutôt votre habileté à m'avoir vendue déguisée en épouse, répondis-je à voix basse, un ton acéré dans mes mots.

Sa main se figea un instant avant de retomber. Elle détourna les yeux, cherchant une réponse qu'elle ne trouva pas.

- Aurélia, ce n'est pas le moment, soupira-t-elle. Pense à l'avenir... à tout ce que nous avons sauvé.

- Sauvé pour qui ? rétorquai-je. Certainement pas pour moi.

Elle ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit. Finalement, elle hocha la tête et s'éloigna, son expression redevenant celle d'une femme fière et intouchable.

Un peu plus tard, je tombai sur mes frères et sœurs, regroupés près du buffet, loin de l'agitation des invités. Julien, l'aîné après moi, tenait un verre de champagne et m'accueillit avec un sourire chaleureux.

- Eh bien, grande sœur, tu es au centre de l'attention ce soir, plaisanta-t-il.

Je levai les yeux au ciel, incapable de m'empêcher de sourire légèrement à son ton décontracté.

- Si seulement je pouvais être ailleurs, soufflai-je, le regard vaguement tourné vers les fenêtres.

Ma plus jeune sœur, Clémence, tira légèrement sur ma robe. À quinze ans, elle ne comprenait pas encore toutes les implications de ce mariage, mais son regard inquiet me serra le cœur.

- Ça va aller, Aurélia ? demanda-t-elle doucement.

Je me baissai pour être à sa hauteur et posai une main sur son épaule.

- Bien sûr, murmurai-je avec un sourire que je voulais rassurant. Ne t'inquiète pas pour moi.

Julien fronça légèrement les sourcils, posant une main sur mon épaule.

- Si tu as besoin de quelque chose... ou si cet homme te manque de respect... tu sais que je suis là, dit-il, un ton sérieux dans sa voix.

Je hochai la tête, touchée par sa sollicitude.

- Merci, Julien. Mais je vais gérer.

Alors que la soirée avançait, je continuais de jouer mon rôle. Je saluais les invités, écoutais leurs compliments, et échangeais quelques mots avec Maxence lorsque le moment l'exigeait. Il restait calme et impassible, comme toujours, mais je sentais qu'il m'observait.

À chaque sourire forcé que je donnais, je sentais une partie de moi s'effriter. Mais ce que ces invités voyaient, ce que ma famille voyait, c'était une femme forte, une épouse digne de Maxence Delacroix. Personne, absolument personne, ne voyait la tempête qui grondait en moi.

J'étais devenue une experte en dissimulation.

            
            

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