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Chapitre 9 – Les Fardeaux du Pouvoir
Le silence qui s'installa après les paroles de Chiara était lourd, presque tangible. Raffaele ne bougea pas, restant là, immobile, les yeux fixés sur l'horizon. Chiara, elle, attendait. Elle savait que les mots qu'elle venait de prononcer n'étaient pas anodins. Ils touchaient quelque chose de profond en lui, quelque chose qu'il avait longtemps refoulé. Mais la question restait : allait-il accepter de voir au-delà de ses chaînes, ou resterait-il prisonnier de la seule réalité qu'il connaissait ?
Elle se leva lentement, son regard toujours fixé sur lui. « Vous savez, Raffaele, vous n'êtes pas seul. Ce royaume n'est pas qu'une couronne, ce n'est pas qu'un héritage. C'est aussi un peuple, des vies, des rêves. Vous n'avez pas à sacrifier ce que vous êtes pour cela. Vous pouvez changer les règles, mais pour cela, vous devez d'abord changer votre vision. »
Il tourna finalement la tête vers elle, son regard dur, mais une lueur d'hésitation dans les yeux. « Vous croyez vraiment cela ? Que je peux changer ce que je suis ? » Sa voix, d'ordinaire si ferme, tremblait légèrement, comme si un doute se glissait dans son esprit. « Vous me demandez de renoncer à tout ce que j'ai connu, tout ce pour quoi j'ai été formé. Je ne suis pas un homme libre, Chiara. Je ne peux pas simplement ignorer les attentes de mon peuple. »
Chiara s'approcha doucement, prenant une profonde inspiration. Elle savait que ses paroles pouvaient être perçues comme de la naïveté, mais elles étaient sincères. « Je ne vous demande pas d'ignorer votre peuple, Raffaele. Je vous demande de vous libérer vous-même de l'idée que vous êtes prisonnier de la couronne. Vous êtes plus que cet héritage. Vous êtes un homme avec des désirs, des rêves, et des imperfections. Vous avez droit à cette liberté, même en étant roi. »
Un silence lourd s'installa de nouveau entre eux. Il semblait l'écouter, mais son esprit était encore prisonnier du fardeau qu'il portait. Le fardeau d'être roi, d'être celui qui doit tout sacrifier pour la stabilité du royaume. Mais Chiara ne s'arrêta pas. Elle n'était pas là pour faire preuve de douceur, mais pour provoquer un changement. Un changement qu'il ne pouvait ignorer plus longtemps.
« Vous vous cachez derrière votre devoir, Raffaele, mais il y a une vie au-delà de tout ça. » Chiara marqua une pause, son regard ancré dans celui du roi. « Un homme ne devrait pas vivre pour ses devoirs uniquement. Un homme doit aussi vivre pour lui-même. »
Il la regarda longuement, ses yeux cherchant à percer la vérité de ses paroles. Puis, d'un geste brusque, il se leva de son fauteuil, comme si un éclair de compréhension traversait son esprit. Mais il se tourna immédiatement vers la fenêtre, l'air agité.
« Vous ne comprenez pas... » dit-il d'une voix plus basse, presque à lui-même. « Vous ne savez pas ce que c'est d'être celui qu'on attend pour tout réparer, celui qui porte la dernière étincelle d'espoir pour son peuple. Je suis ce roi, Chiara. Ce roi stérile. Et ce fardeau, je dois le porter seul. »
Chiara s'approcha doucement, sans bruit, se plaçant juste derrière lui. Elle le regarda à travers le reflet dans la fenêtre, son visage marqué par la fatigue et la tension. Elle savait que son chemin à lui était semé d'embûches, mais il n'avait pas à affronter cette lutte seul.
« Peut-être que vous avez tort, Raffaele, » dit-elle doucement. « Peut-être qu'il est possible que vous ne soyez pas seul dans cette bataille. Peut-être que, si vous l'osiez, vous pourriez trouver quelqu'un à vos côtés pour porter ce fardeau. Pas un héritier de sang, mais un héritier d'espoir, d'amour, et de changement. »
Il tourna alors lentement la tête, ses yeux cherchant les siens. Cette fois, il n'y avait plus de froideur dans son regard, seulement une intensité qui montrait qu'il était en train de se remettre en question. Peut-être pour la première fois depuis des années, il commençait à douter de ses certitudes. Peut-être qu'il était prêt à envisager une autre réalité.
Un frisson d'émotion parcourut Chiara, mais elle ne détourna pas les yeux. Elle était là pour lui, et elle le savait. Elle était là pour l'aider à comprendre que l'amour, même dans un royaume figé dans ses traditions, pouvait offrir une autre voie. Il suffisait qu'il accepte de la prendre.
Le roi ferma les yeux un instant, se laissant envahir par les pensées tumultueuses qui se bousculaient dans son esprit. Puis, après un long moment, il répondit enfin d'une voix plus calme, mais marquée par une fatigue évidente.
« Peut-être avez-vous raison. Peut-être que je dois... réapprendre à vivre. » Il se retourna lentement pour faire face à Chiara, son regard plus doux, presque incertain. « Mais vous devez savoir que ce n'est pas facile, Chiara. Mon rôle, ma vie entière, ont été dictés par des attentes qui dépassent tout ce que vous pouvez imaginer. »
Chiara lui sourit doucement, mais d'un sourire empreint de compréhension. « Je ne vous demande pas de tout changer du jour au lendemain, Raffaele. Je vous demande simplement de considérer une autre possibilité. » Elle s'avança d'un pas, se tenant maintenant face à lui, sans crainte, sans hésitation. « Il y a une autre vie à vivre, un autre chemin à emprunter. Ce royaume a besoin d'un roi qui croit en lui-même, pas d'un homme qui se cache derrière sa couronne. »
Il la fixa pendant un long moment, son regard perçant, presque douloureux. Puis, dans un souffle à peine audible, il murmura : « Et vous, Chiara, que croyez-vous vraiment ? »
Elle le regarda droit dans les yeux, ses paroles résonnant comme une promesse. « Je crois que vous avez encore le pouvoir de choisir votre avenir. Et si vous le souhaitez, je serai là pour vous, à chaque étape du chemin. »
Raffaele resta silencieux un moment, puis, lentement, il hocha la tête. Il n'avait pas encore toutes les réponses, mais peut-être qu'il commençait à entrevoir une lueur d'espoir dans l'obscurité qui l'avait toujours enveloppé.
Chapitre 10 – Les Dérives du Destin
Les jours qui suivirent la conversation dans le bureau du roi furent marqués par une tension palpable. Raffaele se renferma davantage, malgré les promesses qu'il semblait avoir faites à Chiara. Il était à la fois perturbé par les mots qu'elle avait prononcés et hanté par les réalités de son rôle. Chaque décision, chaque mouvement dans ce royaume, semblait le pousser davantage dans un labyrinthe de responsabilités qu'il ne savait plus comment naviguer.
Chiara, quant à elle, se trouvait dans une situation tout aussi complexe. Elle avait cru que ses paroles avaient percé la cuirasse du roi, mais la froideur qu'il affichait à chaque rencontre suivante la laissait perplexe. L'homme qu'elle avait vu dans le bureau, ce roi blessé, semblait maintenant à des années-lumière de l'homme auquel elle avait voulu tendre la main. C'était comme si la muraille de son pouvoir était redevenue plus forte, plus impénétrable que jamais.
Elle s'éloigna des couloirs sombres du palais pour revenir à Naples. Là, dans la chaleur familière de son hôtel, elle trouvait un certain réconfort dans la routine, mais il y avait toujours cette présence silencieuse du roi, qui ne la quittait pas. Ses pensées, ses espoirs d'avoir changé quelque chose en lui, commençaient à se dissiper, remplacés par une forme de doute. Elle n'avait pas le pouvoir de changer un homme comme Raffaele, elle en était consciente. Mais ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était qu'il reviendrait vers elle.
Un soir, alors qu'elle s'occupait de l'accueil des clients dans le hall de son hôtel, un bruit de moteur se fit entendre. Une voiture noire, presque imposante, s'arrêta devant l'entrée. Chiara leva les yeux, surprise. Elle n'attendait personne, et encore moins Raffaele. Mais c'était bien lui, le roi de Valdirosa, qui en descendit, vêtu de son costume noir impeccable, mais cette fois-ci, il semblait moins le monarque solitaire qu'elle avait rencontré, et plus un homme en quête de quelque chose, ou peut-être de quelqu'un.
Il s'avança lentement vers l'entrée, et Chiara sentit son cœur se serrer. Ses pas semblaient plus lourds, comme si chaque mouvement était une lutte. Lorsqu'il arriva devant elle, il s'arrêta, observant les lieux avec un regard vide, presque détaché.
« Chiara. » Sa voix brisée trahit une vulnérabilité qu'il n'avait jamais montrée auparavant.
Elle le fixa, un instant prise de court. « Raffaele... »
Il la regarda dans les yeux, et ce regard, pourtant si familier, portait une étrange incertitude. « J'ai réfléchi à ce que vous avez dit. Je suis venu... parce que je crois qu'il est temps que nous parlions. »
Chiara le guida vers un coin plus calme de l'hôtel, un petit salon privé où ils pouvaient parler sans être dérangés. Le roi, habituellement si distant et intransigeant, s'assit sur le canapé sans cérémonie. Il avait l'air fatigué, comme si le poids des jours précédents le rattrapait enfin. Il plongea ses mains dans ses poches, puis les sortit en signe de frustration.
« Vous avez raison, Chiara. J'ai passé trop de temps à fuir la vérité, à fuir ce que je suis devenu. » Il marqua une pause, cherchant ses mots. « Mais je ne savais pas comment... comment vivre autrement. »
Elle s'assit en face de lui, écoutant attentivement. La gravité de ses mots l'atteignait plus qu'elle ne l'avait imaginé. Elle avait toujours su que Raffaele était plus complexe qu'un simple roi. Mais là, devant elle, il y avait un homme brisé, un homme qui avait perdu son chemin.
« Vous ne pouvez pas changer votre passé, Raffaele, mais vous pouvez changer votre avenir. Vous avez encore le choix. »
Il la regarda longuement, une lueur de reconnaissance dans ses yeux. « Et quel choix est-ce, selon vous ? »
Chiara réfléchit un instant. Elle savait qu'elle ne pouvait pas prendre cette décision pour lui. « Vous devez choisir ce qui compte vraiment. Est-ce que ce royaume, cette couronne, vaut la solitude dans laquelle vous vous enfermez ? Ou est-ce l'amour, la liberté d'être vous-même, sans les chaînes du devoir qui vous définissent ? »
Il baissa les yeux, semblant peser chacune de ses paroles. Les secondes s'étiraient, et Chiara attendait, une tension douce mais persistante entre eux. Puis, sans prévenir, il se leva brusquement, comme si un poids venait de tomber sur lui.
« Je n'ai jamais su... ce que c'était que de vivre pour autre chose que ce royaume. Je n'ai jamais su comment aimer, comment être humain. » Il tourna son regard vers elle, plus intense que jamais. « Mais je crois que je commence à comprendre. »
Chiara ne sut comment réagir. Elle sentit son cœur battre plus fort, mais elle n'eut pas le temps de formuler une réponse. Raffaele se dirigea vers la fenêtre, contemplant la ville qui s'étendait au loin. « Je dois faire face à tout cela. Au royaume, à mes responsabilités, à ce que j'ai négligé pendant si longtemps. » Il se tourna brusquement vers elle. « Et je dois savoir si vous serez là, Chiara, quand je serai prêt. »
Elle se leva à son tour, marchant vers lui. « Je serai là, Raffaele. Mais ce n'est pas une question de moment. Ce n'est pas une question de temps. C'est une question de choix. »
Il hocha la tête lentement, semblant comprendre ce qu'elle venait de dire. Puis il s'approcha d'elle, un pas timide mais sûr, comme si, pour la première fois depuis longtemps, il cherchait quelque chose de plus profond que les obligations qui l'avaient toujours guidé. Il prit une profonde inspiration et, dans un murmure presque inaudible, il ajouta :
« Peut-être que le royaume ne doit pas tout définir. Peut-être que, pour une fois, je dois simplement être... un homme. »
Chiara sourit doucement, un sourire qui disait tout ce qu'elle n'osait pas dire. Elle savait que le chemin serait long, incertain, mais peut-être qu'ils avaient enfin franchi un seuil. Un seuil où la liberté de Raffaele, sa vraie liberté, pouvait enfin commencer.