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Chapitre 5 – La Danse des Ambitions
La soirée du banquet arriva plus rapidement que prévu, comme un tourbillon dont les contours échappaient à Chiara. L'hôtel était métamorphosé pour l'occasion, chaque salle brillé d'une lumière dorée, chaque table ornée de fleurs fraîches, de chandeliers en cristal et de nappes immaculées. Tout était parfait, en apparence. Mais derrière cette perfection, Chiara sentait une tension palpable, une attente suspendue dans l'air. C'était la première fois qu'elle organisait un événement d'une telle envergure, avec des invités aussi prestigieux, et les pressions étaient énormes.
Les conversations entre les diplomates se faisaient de plus en plus intenses. Chiara n'était qu'un spectateur, mais elle ne pouvait ignorer que chaque regard, chaque sourire échangé entre ces puissants personnages dissimulait des enjeux bien plus grands. Raffaele, bien sûr, était l'attraction principale de la soirée, mais son rôle semblait aussi le contraindre à une position de solitaire, d'observateur.
Elle le repéra dans la grande salle dès qu'il entra, sa silhouette imposante traversant la pièce avec cette même tranquillité distante qu'il dégageait depuis leur première rencontre. Ses yeux sombres balayaient la salle, scrutant ses invités avec la même froideur royale qu'il avait adoptée au fil des années. Aucun sourire, aucun signe d'émotion. Juste une présence lourde, marquée par un fardeau invisible que Chiara ressentait de plus en plus intensément.
Ce soir-là, pourtant, il semblait presque... plus humain. Peut-être à cause de cette solitude qu'il arborait toujours, peut-être à cause des murmures qui couraient dans les couloirs du palais royal à propos de sa succession, des rumeurs qui, comme une vague sourde, secouaient chaque moment qu'il passait en public.
Chiara, concentrée sur sa tâche, s'éloigna de la salle principale, mais au moment où elle traversait le hall, elle sentit une présence familière se profiler derrière elle. Elle se retourna lentement.
« Vous vous éloignez trop vite ce soir, Chiara. » La voix de Raffaele, basse et mesurée, brisa le silence qui l'entourait.
Elle le fixa un instant, avant de répondre, un sourire nerveux effleurant ses lèvres. « Je suis simplement occupée à m'assurer que tout soit parfait pour les invités. C'est ce que je fais le mieux. »
Il s'avança légèrement, ses yeux se fixant sur elle avec une intensité qui la troubla. « Vous avez toujours cette manière de fuir. » Le ton de sa voix était difficile à déchiffrer, mais il y avait quelque chose de moins formel, de plus personnel dans ses mots.
Chiara haussait les épaules, l'air presque indifférent. « Fuir ? Je n'ai jamais fui, roi Raffaele. J'ai simplement appris à gérer les choses à ma manière. Vous aussi, semblez avoir beaucoup à fuir, mais vous le cachez derrière ces manières royales. »
Le regard qu'il lui lança était perçant, mais il ne répondit pas tout de suite. Les silences entre eux s'étaient densifiés au fil du temps, comme une danse silencieuse entre deux individus qui se défiaient, mais ne pouvaient s'empêcher de se rapprocher. Après un long moment, il fit un petit geste en direction de la salle où les invités étaient rassemblés.
« Venez danser avec moi. »
Chiara le fixa, stupéfaite. « Danser ? » Elle savait que cette invitation n'était pas banale, et elle sentait que chaque mot qu'il prononçait portait un poids. Il n'était pas un homme à inviter quelqu'un à danser pour le simple plaisir de la danse.
Il répondit simplement, sans aucune autre explication, « Oui, danser. Nous avons tous besoin de plus que ce que ce monde nous impose. »
Elle hésita un instant, déstabilisée par l'audace de sa proposition. Elle n'était pas du genre à se laisser entraîner dans des jeux de pouvoir. Mais quelque chose, dans la façon dont il la regardait, l'incita à le suivre. Elle prit une profonde inspiration et répondit enfin, d'une voix plus calme, presque à regret : « Très bien, une danse. »
Ils traversèrent ensemble la grande salle, et tout autour d'eux, les regards se braquèrent sur le roi et la simple hôtelière, unis dans cette étrange danse qui ne semblait appartenir à personne d'autre. La musique s'éleva doucement, un air lent et envoûtant, et les couples se mirent à se mouvoir autour d'eux. Mais Chiara et Raffaele restèrent comme suspendus dans un autre monde, comme les deux seuls à ne pas se plier aux règles d'un bal trop prévisible.
Il la prit par la taille, sa main froide et ferme contre son dos. Leur proximité était aussi troublante que le silence qui s'était installé entre eux. Chiara, habituellement si sûre d'elle, se retrouva presque perdue dans cet espace clos, cette danse silencieuse. La cadence était lente, mais chaque mouvement, chaque pas, portait l'écho d'une conversation non dite.
« Vous m'étonnez toujours, Chiara. » La voix de Raffaele, à peine un murmure, fit frémir la jeune femme. « Toujours si directe. Vous n'avez pas peur de ce que vous dites. »
Elle leva les yeux vers lui, cherchant un signe de ce qu'il pensait réellement. « Pourquoi aurais-je peur ? » répondit-elle, son regard ne se détournant pas. « Vous êtes humain, vous aussi. Pas seulement un roi. »
Un sourire furtif, presque imperceptible, effleura ses lèvres. Mais il n'ajouta rien. À la place, il continua de la guider dans la danse, la rapprochant encore, mais sans un geste brusque, sans forcer aucun contact plus intime. Il ne cherchait ni domination, ni attraction. Il cherchait quelque chose d'autre. Peut-être une forme de connexion, une recherche du moindre éclat d'humanité dans un monde trop froid pour les deux.
La danse se poursuivit, et Chiara se rendit compte que, malgré ses réserves, elle ne voulait pas la voir se terminer. Il y avait quelque chose de puissant dans ce simple échange, quelque chose qui émergeait, lentement mais sûrement, du silence et des gestes partagés.
Les secondes se transformaient en minutes, mais aucun des deux ne semblait pressé de rompre ce moment suspendu. Mais lorsqu'enfin la musique se tut, Raffaele la relâcha lentement, ses mains glissant doucement de ses hanches. Les invités autour d'eux éclatèrent en applaudissements, mais ni Chiara ni Raffaele ne se prêtèrent à ce spectacle. Ils restèrent là, quelques secondes encore, dans une complicité muette, un regard échangé.
Lorsque la danse prit fin, Chiara sentit qu'elle n'était plus tout à fait la même qu'auparavant. Elle se tenait droite, presque imperceptible dans son décalage avec le reste du monde. Elle avait l'impression d'avoir franchi une ligne invisible, et pourtant, une question restait suspendue : jusqu'où cet étrange jeu de pouvoir et de passion irait-il les mener ?
Chapitre 6 – Les Murs se Serrent
Le lendemain du banquet, l'hôtel semblait avoir perdu une partie de son éclat. L'odeur du vin et des plats somptueux s'était dissipée, remplacée par une atmosphère de calme étrange, presque assourdissant. Les invités étaient partis, emportant avec eux leurs sourires et leurs promesses de coopération diplomatique. Mais Chiara ne pouvait oublier la danse. Elle savait que ce moment particulier marquerait une ligne de démarcation dans ses relations avec Raffaele, mais elle ne parvenait pas à en saisir toutes les implications.
Elle se tenait dans le hall de l'hôtel, observant le ballet habituel des employés qui nettoyaient et rangeaient, quand elle aperçut Raffaele, encore une fois seul. Il semblait une nouvelle fois perdu dans ses pensées, son regard plongé dans le vide. Ses épaules, qui avaient paru si solides la veille, semblaient désormais plus courbées, comme si le poids de sa couronne l'écrasait un peu plus chaque jour.
Chiara s'approcha silencieusement, se demandant si elle devait briser l'intimité de ce moment. Mais avant qu'elle ne puisse se décider, il tourna la tête et la fixa, ses yeux sombres perçant la distance entre eux.
« Vous êtes là. » Sa voix, rauque, trahissait une forme de fatigue, un épuisement qu'il ne tentait même plus de dissimuler.
Elle haussait les épaules, comme si sa présence n'était qu'une simple coïncidence. « Je suis là parce que c'est mon travail. » Elle marquait une pause, puis ajouta d'un ton plus doux, « Mais je me demande ce que vous ressentez après hier. »
Il s'éloigna légèrement, s'appuyant contre un pilier décoré de drapés dorés. Ses yeux ne la quittaient pas, mais une ombre d'hésitation passa dans son regard. « Ce que je ressens ? » Il laissa échapper un petit rire amer. « Peut-être que j'éprouve enfin un peu de clarté, mais au fond, je sais que c'est inutile. »
Chiara le dévisagea, ne comprenant pas immédiatement. « Inutile ? »
Il se redressa lentement, un geste lourd de sens. « Le banquet, la danse... Ce n'était qu'un moment de distraction. Un moment qui ne changera rien. La réalité est bien plus dure, Chiara. » Ses yeux se fermaient brièvement, comme pour se donner le courage de continuer. « Il n'y a pas de place pour des illusions. Pas pour un homme comme moi. »
Chiara sentit son cœur se serrer face à l'intensité de ses paroles. Elle voulait réagir, lui dire que les choses pouvaient changer, que lui aussi méritait plus qu'une vie dictée par des règles ancestrales. Mais elle savait aussi qu'il était trop profondément ancré dans ses croyances pour entendre ce genre de réconfort.
« Vous vous trompez. » La voix de Chiara était calme, mais déterminée. « Les illusions sont tout ce qui nous permet de continuer à avancer. Si vous abandonnez ça, vous perdrez plus que votre royaume. »
Il la regarda intensément, comme s'il cherchait à lire chaque mot qu'elle prononçait. « Vous parlez de rêves, Chiara. » Il s'avança, réduisant l'espace entre eux. « Les rêves sont des luxes que je ne peux pas me permettre. »
Il se tenait à quelques centimètres d'elle, et l'air semblait s'alourdir. Chiara pouvait sentir la tension monter, cette tension qui les entourait depuis leur première rencontre, mais qui se manifestait plus intensément à chaque interaction.
« Vous ne pouvez pas vivre éternellement dans la peur, Raffaele. » La phrase sortait sans qu'elle puisse la contrôler. Elle était l'écho d'une vérité qu'elle n'avait jamais osé affronter. « La peur de l'échec, de la solitude, de l'impossibilité... Elle vous ronge. Vous ne pouvez pas laisser votre héritage définir qui vous êtes. »
Il se recula brusquement, comme si ses mots avaient créé une barrière invisible qu'il ne pouvait plus franchir. « Vous ne comprenez pas, Chiara. » La colère, ou plutôt la frustration, transparaissait dans ses mots. « Vous ne comprenez rien à ce que cela signifie d'être roi, d'être celui que tout le monde attend de vous. »
Chiara le fixa, son regard perçant. « Peut-être que je ne comprends pas, mais je sais une chose : personne ne devrait être contraint de vivre une vie qu'il déteste, pas même un roi. »
Elle tourna les talons et s'éloigna sans attendre sa réponse, son cœur battant fort dans sa poitrine. Elle n'avait jamais voulu se retrouver dans cette position, à confronter un homme à ses propres peurs et incertitudes. Mais elle avait agi, peut-être parce que, pour une fois, elle ne voulait pas fuir. Elle se doutait que cela aurait des conséquences. Elle savait qu'elle venait de briser une règle tacite entre eux, mais elle n'en ressentait ni regret ni remords.
Les jours qui suivirent furent marqués par un silence étrange entre eux. Raffaele se montrait encore plus distant qu'auparavant, mais quelque chose, une fissure dans son masque de glace, était désormais visible. Chiara sentait qu'elle l'avait poussé dans un coin, qu'il était désormais face à ses propres contradictions. Il avait besoin d'un héritier, mais il ne semblait pas comprendre qu'il ne pouvait pas simplement imposer cette nécessité sans se confronter à ce qu'il ressentait profondément.
Elle se concentra sur ses tâches quotidiennes, mais quelque part au fond d'elle, une question persistait : jusqu'où irait-elle pour pousser Raffaele à se confronter à ses vérités, et quel prix cela pourrait-il lui coûter ?