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Chapitre 7 – L'Héritage de Solitude
La journée suivante apporta une certaine lourdeur dans l'air, comme si le royaume lui-même ressentait le poids des paroles échangées la veille. Chiara, plongée dans ses préparatifs habituels, sentait l'ombre de la tension entre elle et Raffaele. Chaque interaction était marquée par une froideur nouvelle, un écart entre eux qu'ils ne pouvaient ignorer. Pourtant, quelque part au fond d'elle, Chiara savait que cette distance n'était qu'une surface, un moyen pour Raffaele de masquer des questions qu'il n'était pas encore prêt à affronter.
Le matin, elle se rendit à la réception pour discuter de quelques détails logistiques, lorsque la porte de l'hôtel s'ouvrit brusquement, et Raffaele entra, accompagné de son principal conseiller, le duc Dario Castellani. Il avait l'air préoccupé, les traits tirés, mais il conservait toujours cette aura royale de maîtrise parfaite. Pourtant, Chiara pouvait déceler l'ombre de l'incertitude qui flottait autour de lui, comme un nuage qui ne voulait pas se dissiper.
Le duc, qui semblait être le seul à garder une proximité constante avec le roi, jeta un regard furtif à Chiara avant de se concentrer sur son supérieur. « Votre Majesté, la situation avec la cour devient de plus en plus délicate. Les rumeurs autour de la succession se propagent comme une traînée de poudre. » Sa voix était basse, mais Chiara pouvait entendre l'angoisse derrière chaque mot.
Raffaele hocha lentement la tête, mais il ne répondit pas tout de suite. Ses yeux se tournèrent vers Chiara, et une fois de plus, elle perçut cette lourde présence, ce regard intense qu'il portait sur elle. « Vous avez raison, Dario. Mais il est déjà trop tard pour ignorer ce qui se dit. Les tensions sont inévitables. » Il marqua une pause, puis se tourna vers Chiara, comme si la simple présence d'une personne de l'extérieur pouvait rendre la situation plus claire. « Vous êtes la responsable de cet hôtel, n'est-ce pas ? »
Chiara se redressa, consciente qu'elle était désormais au centre de l'attention. « Oui, c'est moi. »
« Vous comprenez sans doute que le monde dans lequel je vis est régi par des lois impitoyables. » Raffaele s'avança, ses yeux se plantant dans ceux de Chiara, comme s'il cherchait à tester sa réaction. « Les rumeurs ne sont qu'un prélude à une bataille bien plus grande. »
Elle soutint son regard sans fléchir, même si elle sentait une part de doute l'envahir. « Mais il existe aussi des vérités que vous ne pouvez ignorer. Et peut-être qu'il est temps de ne plus vous cacher derrière des murs de silence. »
Un long silence s'installa entre eux, un silence où les mots de Chiara résonnèrent dans l'air, lourds de sens. Raffaele détourna finalement les yeux et se tourna vers le duc Dario. « Vous avez entendu ? Vous allez devoir agir. La cour n'attendra pas indéfiniment. »
Chiara sentit une brûlure dans sa poitrine à ses mots. Elle savait qu'il n'avait pas dit cela pour elle, mais pour les courtiers et les nobles qui attendaient désespérément la moindre faiblesse du roi. Il était pressé, accablé par son rôle, par le besoin constant de rassurer ses sujets et de préserver son héritage. Mais tout cela lui échappait. Il n'était pas un homme comme les autres. Il n'était pas un homme capable d'accepter de se soumettre à la politique sans comprendre qu'il en paierait le prix. Ce qu'il ignorait, c'était qu'il était déjà en train de perdre une partie de lui-même, sans même en avoir conscience.
Les jours suivants furent marqués par une agitation croissante au sein de la cour. La présence de Raffaele devenait de plus en plus difficile à ignorer, et chaque regard, chaque sourire échangé en sa direction, était empreint de politique. Les complots semblaient se multiplier dans les couloirs du palais, et Chiara, observatrice involontaire, commençait à comprendre l'ampleur de la solitude du roi.
Elle se rendait parfois à la fenêtre de son bureau pour observer les jardins royaux, se demandant comment il parvenait à vivre sous cette pression constante. Le roi Raffaele d'Orsini n'était pas comme les autres souverains qu'elle avait pu croiser dans les livres d'histoire. Ce n'était pas un homme avide de pouvoir ni un tyran en quête de gloire. C'était un homme dont les rêves avaient été écrasés avant même d'avoir eu la chance de s'épanouir. La stérilité, son plus grand secret, était la clé de sa souffrance. Mais il y avait aussi autre chose : un désir inavoué de changer les règles du jeu, de briser les chaînes qui l'enserraient. Et Chiara, sans le vouloir, devenait un catalyseur pour ces désirs enfouis.
Un matin, alors qu'elle était seule dans son bureau, une visite imprévue se présenta. Dario, le duc, entra sans frapper, son visage marqué par l'inquiétude. « La situation devient encore plus tendue, Chiara. » Il se pencha légèrement vers elle, comme pour lui confier un secret. « Vous êtes la seule à pouvoir intervenir auprès de Raffaele. »
Chiara le regarda, surprise par ses mots. « Intervenir ? Pourquoi moi ? »
Le duc hésita, cherchant les mots justes. « Parce que vous êtes la seule à avoir un accès direct à lui. Il vous écoute d'une manière qu'il n'écoute personne d'autre. Peut-être parce qu'il sent en vous quelque chose de... différent. »
Elle se leva brusquement, un frisson parcourant son dos. « Et vous, Dario, pourquoi m'en parler à moi ? Que voulez-vous que je fasse ? »
Il se redressa, les yeux évitant son regard. « Parce qu'il ne veut pas admettre qu'il a besoin de quelqu'un pour l'aider. Il est trop fier pour l'admettre. Mais si vous ne parvenez pas à l'approcher, à lui faire comprendre qu'il doit agir maintenant, ce royaume sera plongé dans le chaos. »
Chiara sentit son cœur s'emballer à cette perspective. Elle comprenait bien ce que Dario voulait dire. Raffaele ne pouvait plus se permettre d'ignorer les rumeurs qui circulaient sur son incapacité à avoir un héritier. Le royaume entier regardait, attendant le moindre faux pas. Et Chiara, malgré elle, était au centre de ce jeu complexe, une pièce essentielle dans la bataille pour l'avenir de Valdirosa.
Elle fixa le duc, puis détourna les yeux, une pensée fugitive traversant son esprit. Peut-être que, pour la première fois depuis longtemps, elle avait un pouvoir qu'elle ne soupçonnait pas. Un pouvoir capable de changer le cours des choses. Mais à quel prix ?
Elle savait que la route devant elle serait semée d'embûches. La confiance qu'elle avait cru comprendre dans les yeux de Raffaele ne pouvait être qu'une illusion. Mais l'illusion, parfois, était tout ce qui restait pour se frayer un chemin à travers la tempête.
Chapitre 8 – Les Jeux du Pouvoir
Les jours passaient dans une sorte de tourbillon de rumeurs, de stratagèmes et de tensions palpables. Chiara n'avait pas l'habitude de s'immiscer dans des affaires royales, mais elle savait désormais qu'elle n'avait d'autre choix que d'agir. Le duc Dario avait été clair : elle était la seule personne capable d'atteindre Raffaele, de lui faire comprendre que l'heure de l'action était venue. Et pourtant, chaque rencontre avec lui semblait toujours plus difficile, plus glaciale. Le roi d'Orsini s'était enfermé dans un silence obstiné, comme s'il attendait que les choses se résolvent d'elles-mêmes.
Chiara, malgré ses propres doutes et peurs, ressentait un besoin irrépressible de l'aider. Pour elle-même, peut-être, mais aussi pour Valdirosa, un royaume qui paraissait si fragile, dont la couronne reposait sur les épaules d'un homme visiblement dépassé par les événements. Elle ne pouvait s'empêcher de voir la solitude de Raffaele comme un fardeau qu'il portait bien trop longtemps, et chaque jour passé sans confrontation, sans échange véritable, la mettait davantage mal à l'aise.
Ce matin-là, elle se dirigea vers le palais, ses pas résonnant dans les corridors silencieux. Le vent d'automne soufflait dans les jardins royaux, mais la fraîcheur ne parvenait pas à effacer la chaleur oppressante de la situation. Le duc l'avait avertie que Raffaele était dans son bureau, occupé à des affaires d'État, mais Chiara savait que cette réunion ne serait pas comme les autres. Elle n'irait pas seulement pour discuter des détails administratifs. Elle allait lui parler, de manière franche, de manière directe.
Elle entra dans le bureau du roi sans prévenir, son regard se posant immédiatement sur lui. Raffaele était là, assis à son bureau, un tas de documents éparpillés devant lui. Mais, contrairement à ses habitudes, il ne semblait pas concentré. Ses yeux, bien que rivés sur le papier devant lui, étaient vides, comme s'il était ailleurs, perdu dans ses pensées.
Chiara s'approcha sans hésitation, un mélange de fermeté et de calme dans sa démarche. Lorsqu'il leva les yeux, leurs regards se croisèrent, et pour un instant, aucun mot ne fut prononcé. Elle sentit la tension dans l'air, cette même tension qui avait toujours été présente entre eux, mais qui semblait maintenant presque insoutenable.
Raffaele la regarda, puis, après une longue hésitation, se redressa légèrement. « Chiara. »
Elle ne répondit pas immédiatement. Elle savait que, pour la première fois, elle devait être directe, sans détour. « Nous devons parler. »
Il la fixa, un sourcil haussé, mais ne protesta pas. Il savait que quelque chose dans son attitude avait changé. Il n'y avait plus de place pour la diplomatie, plus de place pour les faux-semblants. Il se contenta de soupirer, se laissant retomber dans son fauteuil. « De quoi voulez-vous parler, Chiara ? »
« De vous. » Elle n'eut pas peur de l'affronter. « De ce que vous cachez, de ce que vous refusez d'admettre. »
Il se raidit, une lueur d'agacement traversa ses traits, mais il ne coupa pas la parole. Chiara savait qu'il n'avait pas d'autre choix que de l'écouter.
« Vous êtes le roi de Valdirosa. Vous portez une couronne qui a traversé des siècles d'histoire. Vous avez des obligations, des responsabilités... mais vous êtes aussi un homme, Raffaele. Un homme qui fuit la réalité de sa propre situation. » Elle marqua une pause, cherchant à mesurer l'effet de ses mots. « Vous ne pouvez pas continuer à vivre dans l'ombre de ce que vous ne pouvez pas changer. »
Le roi baissa les yeux, un long silence pesant entre eux. Chiara attendait, son regard fixé sur lui. Il ne laissait rien transparaître, mais il semblait profondément troublé.
« Vous ne comprenez pas, Chiara. » Sa voix était plus faible que d'habitude. « Ce que vous me demandez va bien au-delà de ce que je peux accomplir. » Il ferma les yeux, comme pour éviter son regard. « Je suis un roi sans héritier. Mon propre sang me fuit. Comment puis-je donner une succession à un royaume qui attend désespérément un successeur ? »
Chiara s'approcha lentement, se tenant devant lui. « Vous êtes plus que la couronne. Vous êtes plus que votre incapacité à avoir un héritier. Vous avez des options, Raffaele. Vous n'êtes pas obligé de suivre les règles imposées par le destin ou par les autres. »
Il leva les yeux vers elle, une étincelle d'incrédulité dans le regard. « Et qui êtes-vous pour me dire ce que je dois faire ? » Il s'avança à son tour, se rapprochant d'elle d'un pas. « Vous êtes une simple hôtelière, Chiara. Vous ne comprenez pas la portée de ce que j'endure, ni les sacrifices que j'ai dû faire pour en arriver là. »
Chiara ne se laissa pas intimider par sa proximité. « Ce que je comprends, c'est que vous êtes un homme perdu dans un système qui vous empêche de vivre. Vous êtes prisonnier de vos propres murs, Raffaele. Et ces murs vous isolent non seulement des autres, mais aussi de vous-même. »
Il se figea. La froideur qui avait marqué ses gestes sembla se dissiper, mais il ne répondit pas immédiatement. Chiara attendit, prête à accepter son silence si cela l'aidait à ouvrir les yeux.
Puis, après un long moment, il soupira profondément, la tête basse. « Peut-être que vous avez raison. Mais il y a des choses qu'un roi ne peut pas changer. » Il leva les yeux vers elle, un regard mélancolique. « Ce royaume est une prison pour moi, Chiara. Et il sera ma tombe si je n'arrive pas à lui offrir ce qu'il attend. »
Chiara sentit son cœur se serrer face à la douleur qui transparaissait dans sa voix. Elle s'assit alors, prenant une profonde inspiration. « Mais peut-être que vous vous y prenez mal. Peut-être que vous cherchez l'héritage dans le mauvais endroit. »
Elle le regarda dans les yeux, sa voix plus douce cette fois. « Vous n'êtes pas obligé de choisir entre votre humanité et votre royaume. Il existe un autre chemin, Raffaele. Un chemin qui vous permettrait d'accepter qui vous êtes, sans avoir à sacrifier l'un pour l'autre. »
Il la fixa longuement, comme s'il cherchait à comprendre ses mots. Puis, d'un geste las, il tourna le regard vers la fenêtre, où le vent d'automne faisait danser les feuilles dans les jardins.
Chiara savait que, pour la première fois, il réfléchissait. Mais elle n'était pas certaine de pouvoir changer sa manière de voir les choses. Il avait été façonné par des années de devoirs impitoyables, et ses peurs étaient profondément enracinées. Elle, elle était seulement une étrangère dans ce monde. Pourtant, une partie d'elle espérait qu'il comprendrait. Espérait qu'il ferait le choix qui libérerait non seulement le royaume, mais aussi lui-même.