Sur l'image, Thomas avait ce sourire éclatant qu'elle aimait tant, ses cheveux en bataille, la lumière dorée du soleil soulignant les éclats de rire dans ses yeux. Derrière lui, le bateau qu'il chérissait tant se tenait fièrement, les voiles blanches gonflées par le vent marin. Élise se souvenait encore de ce jour, de la sensation du sel sur sa peau, du vent qui lui faisait voler les cheveux, et de la promesse qu'il lui avait faite.
- "Un jour, je t'emmènerai de l'autre côté de l'horizon," avait-il dit, les mains posées sur le gouvernail. "Nous découvrirons des étoiles que personne n'a jamais vues."
Elle avait ri, le traitant de rêveur, mais une part d'elle avait espéré que ce jour viendrait. Aujourd'hui, il ne lui restait que cette photo, ce souvenir figé dans le temps, et des milliers de questions sans réponses.
La soirée où elle avait rencontré Thomas revenait souvent hanter ses pensées. C'était à une fête organisée sur la plage de Rivemarine, une de ces nuits où le ciel était si clair qu'il semblait possible de toucher les étoiles. Élise, fraîchement arrivée dans cette petite ville côtière pour y commencer un travail comme restauratrice d'œuvres d'art, ne connaissait presque personne. Thomas, avec son énergie débordante et son charisme naturel, s'était approché d'elle avec un verre de jus de fruit en main et un sourire désarmant.
- "Vous êtes nouvelle ici, n'est-ce pas ?" lui avait-il demandé.
- "Et si je dis que non ?" avait-elle répliqué avec un sourire en coin.
- "Alors je dirais que je suis mauvais observateur, mais ça, je ne le crois pas," avait-il répondu.
Ce fut le début d'une conversation qui dura toute la nuit, et d'une histoire qui semblait hors du commun dès ses premiers instants. Thomas, avec sa passion pour la mer et ses récits de voyages maritimes, avait ouvert un monde nouveau à Élise. Elle, en retour, l'avait fasciné avec sa capacité à voir la beauté dans les détails les plus insignifiants.
Un éclair soudain illumina la pièce, ramenant Élise au présent. Ses doigts effleurèrent la boussole qu'elle avait récupérée auprès d'Antoine, un objet qui semblait murmurer des vérités oubliées. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander combien de secrets cette boussole détenait, combien de vérités sur Thomas et sur cette nuit fatidique étaient encore cachées dans l'ombre.
Le souvenir de Samuel restait également présent dans son esprit, bien que trouble. Elle savait qu'il jouait un rôle dans tout cela, mais son comportement ambigu laissait plus de questions que de réponses. Et Antoine... lui, semblait insaisissable, toujours entre ombre et lumière.
Ne sachant plus vers qui se tourner, Élise décida de fouiller dans les quelques affaires personnelles de Thomas qu'elle avait conservées depuis sa disparition. Parmi les livres, les lettres, et les souvenirs de leurs escapades, une carte attira son attention. Une vieille carte maritime, annotée de l'écriture soignée de Thomas. Elle la déploya sur sa table, découvrant des marques sur plusieurs points de la côte, des annotations qu'elle ne comprenait pas entièrement, mais qui semblaient correspondre aux trajets maritimes du Lune de mer.
Près de l'un des points marqués se trouvait une phrase écrite en rouge : "Le silence cache ce que les vagues ne peuvent effacer."
Un frisson parcourut Élise. Ces mots, bien qu'énigmatiques, semblaient presque résonner avec ce qu'Antoine lui avait dit. Elle sortit son téléphone et composa son numéro, mais comme à son habitude, il ne répondit pas.
Elle ne savait pas pourquoi, mais une intuition la poussa à retourner à l'atelier d'Antoine, malgré son avertissement de rester à l'écart.
Lorsqu'elle arriva sur place, la nuit avait déjà enveloppé Rivemarine. La lumière dans l'atelier était éteinte, mais la porte était à nouveau entrouverte. Avec précaution, Élise entra. La pièce était plongée dans l'obscurité, mais un faible rayon de lune illuminait un objet posé sur l'établi : un carnet, différent de celui qu'elle avait trouvé auparavant.
Elle s'en empara et se mit à le feuilleter rapidement. Les premières pages contenaient des croquis de symboles, des coordonnées, et des notes en abrégé. Mais ce fut une photo insérée entre deux pages qui la fit s'arrêter brusquement : une photo de Thomas, entouré de plusieurs hommes qu'elle ne connaissait pas, tous debout devant ce qui semblait être le Lune de mer.
Elle tourna le carnet, son cœur battant de plus en plus vite. Une annotation au dos de la photo attira son attention : "Dernier voyage - Port de Valmont."
Alors qu'Élise continuait à parcourir les pages, des bruits de pas retentirent derrière elle. Elle se retourna brusquement, son souffle coupé. Antoine se tenait dans l'encadrement de la porte, son visage plongé dans l'ombre.
- "Je t'avais dit de rester loin de tout ça," dit-il calmement, mais avec une dureté dans la voix qui fit frissonner Élise.
- "Je ne peux pas rester loin," répliqua-t-elle, serrant le carnet contre elle. "C'est toi qui cache des choses, Antoine. Ce symbole, cette boussole, ce carnet... Tu savais tout depuis le début, n'est-ce pas ?"
Antoine s'approcha lentement, mais ne répondit pas immédiatement.
- "Ce que tu fais est dangereux, Élise. Tu ne comprends pas ce que tu mets en marche," dit-il finalement.
- "Alors explique-moi !" cria-t-elle, la colère et la frustration éclatant dans sa voix. "Dis-moi ce qui est arrivé à Thomas. Dis-moi pourquoi tu joues à ce double jeu avec moi."
Antoine la fixa un long moment, son expression indéchiffrable. Puis, lentement, il tendit la main.
- "Donne-moi ce carnet," dit-il.
Mais Élise recula, refusant de céder.
- "Pas tant que tu ne me dis pas la vérité."
Antoine soupira, mais un éclat dans son regard trahit quelque chose d'inquiétant.
- "Très bien," dit-il finalement. "Si tu veux savoir, alors suis-moi."
Antoine la conduisit hors de l'atelier, jusqu'à un vieux hangar près du port. Le bâtiment, abandonné depuis des années, était rempli d'outils rouillés et d'anciennes caisses marquées par l'usure du temps. Antoine alluma une lampe torche et pointa vers une caisse en particulier, fermée par un cadenas.
- "Tout ce que tu veux savoir est là-dedans," dit-il.
Élise s'approcha, méfiante, alors qu'il cherchait une clé. Mais quelque chose dans son attitude la dérangeait. Pourquoi semblait-il si calme, presque résigné ?
Lorsqu'il ouvrit finalement la caisse, Élise retint son souffle. À l'intérieur, des documents, des objets personnels de Thomas, et... une étoile en métal, identique à celle de son pendentif.
- "Qu'est-ce que c'est ?" demanda-t-elle, la voix brisée.
- "C'est ce que Thomas essayait de protéger," répondit Antoine.
Mais alors qu'elle plongeait ses mains dans la caisse, cherchant des réponses parmi les objets et papiers épars, une autre pensée l'effleura : et si tout cela n'était qu'une autre manipulation ? Antoine était peut-être en train de l'orienter vers une fausse piste, la menant plus loin de la vérité qu'elle cherchait désespérément. Dans l'ombre du hangar, Élise se rendit compte qu'elle ne savait plus à qui elle pouvait faire confiance.
La découverte des objets dans la caisse laissait Élise à la fois en état de choc et submergée par une confusion grandissante. Elle avait espéré trouver des réponses claires, mais tout ce qu'elle voyait ne faisait qu'éveiller davantage de questions. Les documents semblaient authentiques, et certains portaient même des annotations faites de la main de Thomas, mais leur signification restait floue.
- "Tu ne m'as toujours pas dit ce que tout ça signifie," lança-t-elle, brisant le silence tendu.
Antoine, toujours debout près de la caisse, la regarda longuement avant de répondre.
- "Thomas a mis les pieds dans une histoire qui le dépassait. Il ne savait pas dans quoi il s'engageait..." commença-t-il, sa voix tremblant légèrement.
- "Quelle histoire ? Et pourquoi tu sembles toujours savoir tout ce que je ne sais pas ?" répliqua Élise, la colère montant en elle.
Antoine détourna les yeux, comme s'il cherchait ses mots.
- "Il y avait quelque chose sur ce bateau... quelque chose qu'il ne devait pas voir. C'est tout ce que je peux te dire."
Ces demi-vérités ne faisaient qu'accentuer la frustration d'Élise. Elle s'approcha de lui, tenant un document qu'elle venait d'extraire de la caisse : un reçu d'expédition avec une mention écrite à la main en lettres rouges - "Confidentiel. Ne pas ouvrir."
- "Et ça ? Tu vas me dire que c'est sans importance ? Qui sont ces gens qui semblent contrôler tout ce qui se passe ici ?" demanda-t-elle en levant le papier.
Antoine se passa une main nerveuse dans les cheveux.
- "Élise, si tu continues à poser des questions, tu risques de... attirer l'attention des mauvaises personnes."
Mais avant qu'il ne puisse terminer sa phrase, des bruits de moteurs résonnèrent dans la nuit. Antoine, soudain tendu, éteignit la lampe torche et tira Élise vers un coin sombre du hangar.
- "Ne fais aucun bruit," murmura-t-il, sa voix presque inaudible.
Dehors, des ombres se dessinaient sous la lumière tremblotante des phares. Élise distinguait plusieurs silhouettes, et bien qu'elle ne puisse pas entendre leurs mots, elle sentait une tension palpable dans l'air. Antoine semblait reconnaître les intrus, car son visage était marqué par une peur qu'elle ne lui avait jamais vue auparavant.
Après quelques minutes interminables, les silhouettes quittèrent le hangar, et les moteurs s'éloignèrent dans la nuit. Antoine se leva lentement, scrutant les environs avant de parler.
- "Je crois qu'on t'a suivie," dit-il finalement.
- "Moi ? Mais pourquoi ?" demanda Élise, bien que son esprit commençât à assembler les pièces du puzzle.
- "Parce que tu poses trop de questions," répondit-il, sa voix teintée de reproche.
Ils quittèrent le hangar peu après, et Antoine insista pour marcher avec elle jusqu'à chez elle, malgré ses protestations. Tout au long du chemin, elle ne put s'empêcher de repasser en boucle les événements de la soirée : la caisse, la boussole, les intrus... Mais plus que tout, les réponses évasives d'Antoine l'irritaient profondément.
Quand ils atteignirent enfin la maison, Antoine se tourna vers elle, l'air grave.
- "Élise, promets-moi de laisser tomber tout ça," dit-il.
Elle secoua la tête.
- "Je ne peux pas, Antoine. Thomas mérite que je sache la vérité."
- "Et si cette vérité te détruisait ?" murmura-t-il, avant de tourner les talons et de disparaître dans la nuit.
De retour à l'intérieur, Élise s'effondra dans son fauteuil, l'esprit en ébullition. Elle ouvrit les documents qu'elle avait pu emporter discrètement du hangar et tenta de les analyser. Certains semblaient liés à des itinéraires maritimes, d'autres contenaient des codes incompréhensibles. Mais ce fut une note manuscrite, griffonnée à la hâte, qui attira son attention :
"Les étoiles cachent la clé. Valmont est le début, pas la fin."
Ces mots, mystérieux et énigmatiques, ravivèrent sa détermination. Valmont, un nom qui revenait sans cesse dans cette enquête. Si c'était le début, comme le disait cette note, alors peut-être trouverait-elle là-bas des réponses qu'Antoine refusait de lui donner.
Ce qu'Élise ignorait, c'est qu'Antoine, à cet instant, était retourné à son atelier, où il se tenait devant son bureau, les mains tremblantes. Il ouvrit un tiroir et en sortit une photo de Thomas et lui, prise à bord du Lune de mer.
- "Je suis désolé, mon ami," murmura-t-il, ses yeux fixant le visage souriant de Thomas sur la photo.
Antoine savait que le passé finirait par le rattraper, tout comme il savait qu'Élise finirait par découvrir ce qu'il avait fait. Mais il espérait pouvoir retarder ce moment aussi longtemps que possible, car lorsque la vérité éclaterait, elle détruirait plus que des souvenirs.