Chapitre 4 04

Livia se redressa, les muscles tendus comme des câbles prêts à céder sous la pression. Le vent soufflait à travers les ruelles, porteur de cette odeur de cendres, du goût de la terre brisée. Mais au fond de ses entrailles, un feu farouche brûlait, le genre de feu qu'aucune pluie, aucune menace ne pouvait éteindre.

Darius s'avança encore, son regard perçant ne la quittant pas. Ses pas étaient mesurés, calculés, mais il y avait cette aura indiscutable, presque divine, qui enveloppait chaque mouvement, chaque respiration. Il savait qu'il avait le pouvoir. Mais Livia ne voulait pas le reconnaître. Pas encore.

- Tu veux me défier, Livia ? dit-il d'une voix calme, comme si chaque mot pesait des siècles de sagesse. C'est une mauvaise idée.

Elle serra les dents. Sa main se resserra sur celle d'Elya, sa sœur trop faible pour tenir sa propre place dans cette guerre. Mais Elya était plus qu'une sœur, elle était sa dernière raison de vivre, sa dernière lueur d'espoir. Elle n'allait pas la perdre. Pas maintenant.

- Je ne défie rien, répondit Livia d'une voix froide, son regard se durcissant. Je ne fais que survivre. Et je vais te montrer que ce n'est pas toi qui contrôles tout, Darius.

Il haussait les sourcils, l'expression de l'Alpha Suprême oscillant entre amusement et agacement. Il avait déjà vu des femmes se rebeller, mais jamais avec une telle intensité. Jamais avec cette volonté de fer. Livia avait quelque chose en elle que les autres n'avaient pas, quelque chose de dangereux. Quelque chose qu'il voulait... comprendre.

- C'est toujours la même chose, n'est-ce pas ? Un autre loup maudit, une autre âme perdue dans ce monde de désolation. Tu penses que tu peux m'échapper, mais tu sais au fond de toi que tu n'y arriveras pas, Livia. Tu as la marque, tu as le lien, et tu sais que c'est là pour rester.

Livia n'eût aucune réponse. Elle ne le regarda même pas. Elle fixait Elya, dont la respiration devenait de plus en plus irrégulière. Les mots de Darius résonnaient en elle comme un écho douloureux, mais elle n'allait pas céder. Pas à ce démon.

- Je sais ce que tu veux, Darius, dit-elle finalement, sa voix tranchante. Tu veux que je me soumette, que je m'incline devant toi. Mais ça ne va pas arriver. Pas tant que je respirerai.

Le vent souffla plus fort, balayant ses cheveux en arrière, faisant scintiller la marque sur son poignet. Le lien, cette malédiction qui la liait à lui, ne cessait de pulser, de brûler à travers sa peau. Mais au lieu de la briser, cela la fortifiait. Il pensait qu'il avait le contrôle, mais il se trompait. C'était elle qui le portait. Et elle le porterait jusqu'à ce qu'elle puisse le briser.

Darius s'arrêta enfin, la fixant d'un regard pénétrant, presque sadique.

- Tu parles de soumission, mais tu oublies une chose, Livia. La soumission n'est pas une faiblesse. C'est une force. Le pouvoir réside dans l'acceptation de ce que nous sommes. Et toi, tu n'es qu'une petite louve enragée. Tu n'as même pas encore effleuré le véritable pouvoir que tu pourrais avoir si tu cessais de te battre contre ce qui est inévitable.

Livia secoua la tête, une lueur de défi brillant dans ses yeux.

- Et tu crois que je vais te croire ? Que je vais te suivre comme un chien ? Non, Darius. Tu es l'Alpha de la meute, mais tu n'as aucun pouvoir sur moi.

Darius s'avança d'un pas, une lueur dangereuse dans le regard. Le vent autour de lui se calma, comme si l'univers tout entier attendait sa prochaine action.

- Tu parles de liberté, mais tu ne sais même pas ce que c'est, Livia. Tu es perdue dans tes propres illusions. Tu crois que tu peux m'échapper. Mais au fond, tu sais que ce lien, ce destin... il t'entraîne vers moi. Et tu finiras par accepter cela. Parce qu'il n'y a rien de plus puissant que ce qui nous est destiné.

Livia se tendit, prête à sauter, à fuir si nécessaire. Mais elle savait que ce combat, ce n'était pas le moment de le mener. Elle devait protéger sa sœur, à tout prix.

Elya, toujours faible, murmura dans un souffle étouffé :

- Livia... il faut... partir. Ils vont venir. Nous ne sommes pas assez forts.

Les paroles de sa sœur lui frappèrent comme un coup de poing. Livia baissa la tête un instant, les yeux fermés. Elle ne voulait pas admettre la vérité, mais Elya avait raison. Ils étaient vulnérables. Et Darius n'était qu'un symbole de tout ce qui pouvait les détruire.

Livia regarda son adversaire, son regard se durcissant.

- Tu penses que je vais fuir ? lança-t-elle d'une voix de plus en plus assurée.

Darius haussait un sourcil.

- Non, tu vas courir vers ta fin, dit-il froidement. Parce que c'est ainsi que tout cela doit se terminer.

Livia déglutit, mais une lueur d'espoir se fit jour en elle. Ce n'était pas encore la fin. Ce n'était pas ce soir.

Elle fit un signe à Elya, se redressant et la prenant dans ses bras. Elya, bien que faible, s'accrocha à elle, les yeux emplis de gratitude et d'inquiétude.

- Nous n'avons pas encore tout donné, Darius, murmura Livia, un défi dans la voix. Ce n'est que le début.

Et alors qu'elle se détourna, elle savait que cette nuit marquerait un tournant. Elle n'était plus seule. Elle avait Elya. Et elle avait un plan. Celui qui la conduirait à la liberté, à la destruction de ce lien, et à la fin de la malédiction que Darius voulait lui imposer.

Ils n'avaient pas encore perdu. Pas tant qu'ils se battaient.

Livia se hâta dans les ruelles sombres, l'obscurité de la nuit l'enveloppant comme une couverture froide. Elle sentait les pas lourds de Darius dans son dos, mais elle n'osait pas se retourner. La peur n'avait plus de place dans son cœur, seulement l'adrénaline. Ses muscles étaient tendus à l'extrême, son esprit focalisé sur l'unique objectif : fuir, protéger Elya, et trouver un moyen de se libérer de cette malédiction.

Elya, blottie contre elle, respirait difficilement, ses forces partant par vagues. Livia savait que chaque seconde comptait. Si elles s'arrêtaient trop longtemps, Darius, ou ses sbires, les retrouveraient. Le souffle rauque de sa sœur contre sa peau la poussait à aller plus vite, mais l'inquiétude pour elle ne cessait de grandir. Elle savait qu'elle ne pouvait pas continuer à courir éternellement avec Elya dans cet état.

Il fallait un plan. Et vite.

Livia se glissa dans une ruelle étroite, longeant les murs pour se cacher des regards. Son cœur battait fort, mais sa détermination était plus forte encore. Elle connaissait cet endroit, elle y avait vécu autrefois, mais ces rues n'étaient plus les mêmes. Elles étaient désormais pleines de dangers, infestées par ceux qu'elle fuyait, ceux qui la traquaient sans relâche.

Elya, les yeux fermés, murmura faiblement :

- Il... Il nous a trouvées.

Livia la serra contre elle, accélérant le pas.

- Non, il ne nous a pas encore trouvées, dit-elle d'une voix ferme. Il va falloir qu'il fasse plus que ça. Mais on doit bouger. Maintenant.

Les mots d'Elya résonnaient en elle comme un avertissement. Ils n'étaient pas encore à l'abri, et Darius n'abandonnerait pas. Il la voulait, il le lui avait clairement dit. Mais Livia savait qu'il avait sous-estimé sa capacité à résister, à se battre. Elle avait survécu à pire que ça.

Elle avait survécu à la Nuit du Sang.

Les souvenirs de cette nuit affluèrent dans son esprit comme un torrent en furie. Le cri perçant de sa mère, la violence des flammes, l'odeur de la chair brûlée... Tout était gravé dans sa mémoire, une douleur lancinante qui ne la quitterait jamais. Mais ce qui la brûlait le plus, ce n'était pas la perte de sa meute, ni même la tragédie de la Nuit du Sang. C'était cette marque, ce lien. Ce qu'elle avait dû endurer pour protéger Elya, et ce qu'elle devrait encore affronter pour la sauver.

Livia pressa le pas. Elle avait une idée. Une solution, peut-être. Il y avait un endroit, un vieux sanctuaire, un ancien repaire de loups solitaires où elle pourrait se cacher. Mais elle ne pouvait pas s'y rendre seule. Et elle ne voulait pas se retrouver face à Darius dans un combat à découvert. Ils avaient l'avantage du terrain, mais la situation était encore trop incertaine.

Elle s'arrêta brusquement, tendant l'oreille. Un bruit lointain, presque imperceptible, se fit entendre. Un murmure. Des voix. Les battements de son cœur s'accélérèrent, mais elle resta calme. C'était une meute. Une meute qui ne tarderait pas à arriver dans les rues.

- Livia... chuchota Elya, sa voix faible, tremblante de fatigue. Ils sont là. Ils arrivent...

Livia se tourna vers sa sœur, les yeux pleins d'une détermination féroce.

- Reste avec moi, dit-elle d'une voix basse et pleine de gravité. Nous allons les semer. Tu dois tenir encore un peu, d'accord ?

Elya acquiesça faiblement, et Livia la guida rapidement vers un petit passage secret qu'elle connaissait bien. Une issue dans les égouts qui menait à l'extérieur de la ville, un endroit sûr, mais pour combien de temps ?

Ils s'y glissèrent, le sol humide sous leurs pieds. L'odeur de moisissure envahit leurs narines, mais cela importait peu. Livia savait qu'elles ne pouvaient pas rester à découvert. Leur seul espoir résidait dans leur capacité à disparaître avant que la meute ne les trouve. Et la seule façon de le faire était de plonger plus profondément dans l'obscurité, dans les recoins que personne ne fouillait. Un refuge oublié.

Les bruits de pas s'amplifièrent au-dessus de leur tête, mais Livia n'y prêta plus attention. Elle ne s'arrêterait pas. Pas maintenant.

Les voix, de plus en plus proches, se perdirent alors dans un bourdonnement sourd, mais Livia était concentrée sur l'étroit passage devant elle. Elle connaissait cet endroit. Elle y avait été un jour, toute petite, à la recherche d'un refuge pour sa meute. Mais aujourd'hui, c'était elle qui avait besoin de ce refuge. Elle avait besoin d'un endroit où la peur ne pouvait pas les atteindre.

Ils finirent par sortir, après ce qui sembla être une éternité, respirant enfin l'air frais de la nuit. Mais à peine avaient-elles franchi l'entrée du sanctuaire que des bruits de pas se firent entendre au loin. Livia se figea, un frisson glacé parcourant sa colonne vertébrale. Darius... ou l'un de ses sbires.

- Nous devons nous cacher, chuchota-t-elle à Elya. Vite.

Sans un mot de plus, elles s'élancèrent dans la direction du sanctuaire, espérant avoir un peu d'avance sur ceux qui les traquaient.

Livia savait qu'elle n'avait pas beaucoup de temps. Mais elle n'avait pas encore tout perdu. Pas tant qu'elle pouvait encore se battre. Pas tant qu'elles étaient ensemble.