Chapitre 3 Chapitre 3

Une chaise vole à travers la pièce et s'écrase contre le mur. Mon souffle est court, mes poings serrés, et je n'ai jamais ressenti autant de rage de ma vie.

- Vous êtes un monstre.

Ma voix tremble, pas de peur, mais de fureur contenue. Il est là, impassible, appuyé contre le bureau comme si rien de tout ça n'avait d'importance. Comme si mon explosion de colère ne l'atteignait pas.

- Un monstre ? répète-t-il d'un ton presque amusé.

Son regard capte le mien, d'un calme insupportable.

- C'est ainsi que vous me voyez ?

- Comment voulez-vous que je vous voie ? Vous m'avez enlevée. Vous m'avez gardée prisonnière. Vous me parlez comme si je n'avais aucun droit, comme si j'étais un fichu objet qui vous appartient !

Je m'avance d'un pas, défiant l'espace entre nous.

- Alors oui, Maxime. Vous êtes un monstre.

Le silence s'installe, pesant, tendu comme un fil prêt à rompre.

Puis il bouge enfin. Lentement.

Il se redresse, s'approche avec cette démarche calculée qui m'exaspère autant qu'elle me trouble.

- Je pourrais l'être, murmure-t-il.

Son regard ne quitte pas le mien.

- Mais pas pour les raisons que vous croyez.

Je secoue la tête, furieuse.

- Ne jouez pas à ce jeu-là avec moi. Vous croyez quoi ? Que si vous parlez avec assez de mystère, je vais oublier ce que vous avez fait ?

Il ne répond pas tout de suite.

Il me scrute, comme s'il pesait chaque mot avant de les libérer.

- Ce que j'ai fait...

Il s'arrête à quelques centimètres de moi.

- C'était nécessaire.

Un rire amer m'échappe.

- Vous avez une définition bien à vous de ce mot.

- Vous ne comprenez pas.

- Alors expliquez-moi.

Je le défie du regard.

- Allez-y, Maxime. Dites-moi pourquoi. Dites-moi ce qui, dans votre tête dérangée, vous a fait penser que c'était la seule option.

Il inspire lentement, et je le vois hésiter. Juste une fraction de seconde.

Puis, enfin, il parle.

- Parce que si je ne l'avais pas fait, vous seriez morte.

Ma gorge se serre.

- Belle excuse.

Il hoche la tête.

- Je m'en doutais. Vous n'êtes pas prête à entendre la vérité.

Je lève les yeux au ciel.

- Parce qu'il y a une « vérité » derrière tout ça ?

Son expression se durcit.

- Oui.

- Alors dites-la.

- Non.

Je recule d'un pas.

- Vous êtes un lâche.

- Non.

Il croise les bras, son regard ancré dans le mien.

- Je vous protège.

Je ris de nouveau, sans joie.

- Vous protégez qui, exactement ? Moi, ou votre secret ?

Il ne répond pas.

Et c'est là que je comprends.

Mon cœur rate un battement.

- C'est ça, pas vrai ?

Je le scrute, cherchant la moindre faille.

- Ce n'est pas moi qui suis en danger. C'est vous.

Je vois sa mâchoire se contracter, une tension nouvelle sur son visage pourtant si contrôlé.

- Vous cachez quelque chose.

Un silence.

Puis, dans un murmure presque inaudible :

- Oui.

Je me fige.

Il n'a pas cherché à nier.

Mon cœur s'emballe.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Quelque chose que vous n'êtes pas prête à entendre.

- Essayez-moi.

Il ferme les yeux un instant, comme s'il pesait l'ampleur de sa réponse.

- Vous croyez aux monstres, Émilie ?

Un frisson me traverse.

- C'est quoi, cette question ?

- Répondez-moi.

Son regard est plus intense, presque hypnotique.

- Non, bien sûr que non.

- Alors c'est là votre erreur.

Il avance encore, et cette fois, je recule instinctivement.

- Parce qu'ils existent.

Un silence.

Je secoue la tête, tentant de chasser le frisson qui remonte le long de ma colonne vertébrale.

- Vous délirez.

- Vraiment ?

Sa voix est basse, menaçante.

- Regardez-moi dans les yeux et dites-moi que je mens.

J'ouvre la bouche, prête à répliquer.

Mais ses yeux.

Ils changent.

Ce n'est pas une illusion.

Ce n'est pas un jeu de lumière.

C'est... réel.

Ma gorge se noue.

- Qu'est-ce que vous êtes ?

Il ne répond pas.

Mais il n'a pas besoin de le faire.

Parce que, pour la première fois depuis mon enlèvement, une peur réelle s'infiltre sous ma peau.

Et cette fois, ce n'est pas lui que je crains.

C'est ce qu'il est.

Je reste figée, incapable de détourner les yeux. Ce que je viens de voir défie tout ce que je crois possible. Ses pupilles, d'un noir insondable, ont pris une teinte surnaturelle, un éclat presque bestial. L'illusion ne dure qu'une seconde. Une fraction de seconde, mais c'est suffisant pour que tout mon corps se fige sous l'onde glaciale de la peur.

- Vous avez vu, murmure-t-il.

Ce n'est pas une question.

Ma respiration est erratique. Je veux nier, rationaliser, trouver une explication. Mais aucune ne me vient.

- Qu'est-ce que vous êtes ?

Ma voix est faible. Ce n'est pas une accusation. C'est une supplication.

Son expression se ferme. Son masque d'impassibilité revient, mais il est trop tard. Je l'ai vu trembler. Je l'ai vu hésiter.

- Je suis juste un homme, Émilie.

Je ris, un rire nerveux, incontrôlable.

- Un homme ne fait pas... ça.

Il ne répond pas immédiatement. Son regard glisse sur moi, calculateur, mais il y a quelque chose de différent cette fois-ci. Une fissure dans son armure.

- Vous ne comprendriez pas.

- Essayez-moi.

Il s'approche, et cette fois, je ne recule pas. Il tend la main lentement, comme s'il craignait ma réaction, puis l'arrête à quelques centimètres de mon bras. J'ai le souffle court.

- Vous êtes terrifiée.

Ce n'est pas une provocation. Ce n'est même pas un reproche.

C'est un constat.

Je déglutis avec difficulté.

- Je ne sais même pas ce que je dois craindre.

Il esquisse un sourire, un sourire qui n'a rien d'amusé.

- C'est peut-être mieux ainsi.

Sa main frôle finalement mon bras. Je tressaille. Son contact est... différent. Pas froid, pas brûlant. Juste intense.

Je veux le repousser, hurler, lui dire que rien de tout cela n'a de sens.

Mais je ne bouge pas.

- Vous avez enlevé la mauvaise personne, dis-je d'une voix plus fragile que je ne l'aurais voulu.

Son pouce effleure ma peau.

- Je ne suis pas sûr de ça.

Mon cœur s'emballe.

- Pourquoi moi ?

Il ne répond pas immédiatement. Son regard s'attarde sur mes traits, cherchant quelque chose que je ne peux pas identifier.

- Parce que vous avez vu quelque chose que vous n'auriez pas dû voir.

- Je ne comprends pas.

- Vous comprendrez.

Il recule légèrement, mais son regard est toujours ancré au mien.

- Vous avez essayé de fuir.

Je serre les dents.

- Et je recommencerai.

Son sourire est furtif.

- C'est bien ce que je pensais.

Un silence.

Puis, contre toute attente, il tend la main vers moi.

- Venez.

Je fronce les sourcils.

- Où ça ?

- Vous voulez des réponses ?

Je hoche la tête malgré moi.

- Alors suivez-moi.

Je ne sais pas pourquoi je le fais. Peut-être parce que je n'ai pas le choix. Peut-être parce qu'une partie de moi veut comprendre.

Je prends sa main.

Et cette fois, je n'arrive pas à ignorer le frisson qui me parcourt l'échine.

            
            

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