Chapitre 3 Chapitre 3

Le bruit d'un pas lourd sur les dalles froides fit écho dans le silence lourd de la maison. Camille s'arrêta un instant, son regard flottant sur les portraits imposants qui ornaient les murs du long couloir. Ils semblaient l'observer, figés dans des regards étranges, comme si leur présence intemporelle n'avait de sens que dans cette vaste demeure. Chaque tableau, chaque objet semblait empreint d'une histoire que Bastien n'avait jamais partagée.

Elle posa une main sur le bois d'une porte fermée, hésitante. Une porte comme tant d'autres, mais qui, dans ce silence imposé, prenait des allures de mystère. Elle savait que ce qu'elle cherchait, elle ne pourrait pas le trouver en posant simplement des questions. Bastien était un homme de secrets, et son passé s'étendait plus loin que les murs qu'il avait construits autour de lui.

Un éclat de lumière traversa le hall par une fenêtre, se posant sur une vieille malle en bois, soigneusement rangée dans un coin. Camille s'avança vers elle sans même réfléchir. Elle ne savait pas pourquoi, mais l'intuition la poussait à l'explorer, à comprendre un peu plus l'homme que Bastien semblait être, celui qu'il cachait derrière des couches de silence et d'indifférence.

Elle s'agenouilla devant la malle, ses doigts glissant sur le bois usé, gravé par le temps. Un air lourd flottait dans la pièce, mais l'appel du mystère était plus fort. Elle tourna délicatement le verrou, sentant l'extrémité de son doigt frôler quelque chose de glacé à l'intérieur. Le son métallique du verrou qui céda lui fit frissonner. Elle souleva le couvercle avec précaution, comme si elle allait ouvrir une porte vers un autre monde.

À l'intérieur, des lettres, des documents, et une photo en noir et blanc. Camille s'empara doucement de la photo, ses yeux se fixant sur le visage d'un jeune homme, inconnu mais pourtant... d'une étrange ressemblance avec Bastien. Il était là, un sourire mélancolique sur les lèvres, l'expression marquée par quelque chose qu'elle ne parvenait pas à identifier. À côté de lui, une femme, son visage doux, mais profondément marqué par une douleur qu'elle pouvait presque sentir à travers l'image. C'était la femme de la photo, plus que l'homme, qui l'intriguait. Quelque chose en elle semblait avoir été brisée.

Elle tourna les pages des lettres qui suivaient. Les mots écrits à la main, tremblants parfois, semblaient sortir d'un autre temps. Camille sentit l'air se couper autour d'elle, comme si chaque mot la tirait plus profondément dans un tourbillon de secrets qu'elle n'était pas prête à découvrir.

Les lettres parlaient d'une époque révolue, d'une passion perdue et d'un homme brisé. Les mots étaient doux, pleins de regrets, d'amertume, mais aussi d'espoir. C'était clair. Bastien, ce masque de dureté et de contrôle, avait été un autre homme. Un homme vulnérable. Un homme capable d'aimer, de souffrir.

Un bruit la fit sursauter, et la porte derrière elle s'ouvrit soudainement. Camille se retourna, le cœur battant. C'était Bastien. Il se tenait là, figé, les yeux fixés sur la malle ouverte. Un long silence s'étira entre eux.

- Tu cherches quelque chose ? Sa voix était comme un coup de fouet, tranchante, mais sans la force qu'elle avait l'habitude d'entendre.

Elle se leva d'un coup, les lettres glissant entre ses doigts.

- Je... Je n'ai pas...

Il s'approcha d'un pas, une tension presque palpable entre eux.

- C'est ce que tu voulais, non ? Découvrir des choses sur moi que tu ne devrais pas.

Il n'était plus l'homme distant et froid qu'elle avait connu. C'était comme s'il s'était transformé sous ses yeux, comme si la douleur qu'il avait enfouie pendant des années avait soudainement refait surface.

- Je ne voulais pas... je n'ai pas cherché à te faire du mal, murmura-t-elle, les lettres serrées contre sa poitrine.

Il secoua la tête, un léger sourire amer sur les lèvres.

- Ce n'est pas ça, Camille. C'est la façon dont tu agis. Tu crois pouvoir tout résoudre en fouillant dans mon passé, en creusant dans mes blessures. Mais tu n'as aucune idée de ce que ça implique.

Elle baissa les yeux vers les lettres, comme si elles brûlaient dans ses mains. Elle savait qu'elle avait franchi une limite, mais la curiosité l'avait poussée à agir avant de réfléchir.

Bastien tourna les talons brusquement, son dos maintenant tourné vers elle, comme s'il l'avait complètement oubliée.

- Tu veux savoir ? Tu veux savoir pourquoi je suis comme je suis, pourquoi je porte ce fardeau ? demanda-t-il, la voix froide. Va lire ces lettres, et tu verras.

Il s'avança vers la porte, et Camille sentit une vague de panique monter en elle.

- Bastien...

Il se tourna légèrement, mais ne la regarda pas.

- Ce n'est pas un jeu, Camille. Ce que je porte, ce n'est pas une histoire d'amour et de regrets. C'est quelque chose de bien plus lourd, bien plus dangereux.

Il se figea un instant, un éclair de douleur traversant ses yeux avant qu'il ne disparaisse derrière la porte, la laissant seule avec un poids qu'elle n'avait pas prévu de supporter.

Elle resta là, seule dans la pièce, les lettres tremblantes dans ses mains. L'histoire qu'elles racontaient n'était pas celle qu'elle avait imaginée. Elle avait sous-estimé la profondeur du passé de Bastien, pensant que tout ne se résumait qu'à une vieille douleur, une vieille trahison. Mais ce qu'elle venait de découvrir allait bien au-delà.

Une partie de Bastien qu'elle ne comprenait pas encore, mais qu'elle sentait désormais s'imposer dans chaque geste qu'il faisait, dans chaque parole qu'il prononçait. Elle ne savait pas encore si elle était prête à affronter cette vérité. Mais ce dont elle était sûre, c'était que rien ne serait plus pareil désormais.

Camille n'aurait jamais cru qu'une simple porte entrebâillée pourrait révéler plus qu'une pièce dans la maison de Bastien. Mais ce soir-là, le son des pas qu'elle avait entendus la conduisit dans une direction qu'elle n'aurait jamais imaginée. Elle avait cru que la soirée serait comme les autres : calme, tendue, remplie de silences lourds qui les oppressaient tous les deux. Mais lorsqu'elle s'avança dans le couloir, une sensation étrange la tira dans une direction particulière, comme si une force invisible la guidait.

Elle s'arrêta devant une porte partiellement ouverte, un bruit étouffé provenant de l'intérieur. Le souffle de Bastien, court et profond, résonnait dans l'air. Camille hésita un instant. Elle savait qu'elle ne devait pas. Tout dans l'atmosphère de cette maison lui criait de respecter les frontières, de ne pas chercher à déterrer ce qui pouvait être enfoui. Pourtant, son corps agissait de lui-même, comme mû par un instinct plus fort que sa volonté.

Sans un bruit, elle poussa la porte, une fine lueur de lumière tombant sur une silhouette massive qui se tenait près d'une fenêtre. Bastien. Mais ce n'était pas l'homme implacable, le patron froid et distant qu'elle connaissait. Non, c'était une autre version de lui, plus fragile, plus humaine. Sa posture était affaissée, son dos courbé, et sa tête était baissée, comme s'il essayait de fuir ses propres pensées. Camille s'arrêta, figée, les yeux rivés sur lui.

Il n'avait pas remarqué sa présence, comme s'il était trop perdu dans son monde pour entendre le moindre bruit autour de lui. Ses mains, qui se serraient contre le rebord de la fenêtre, étaient tremblantes. Camille pouvait voir les traces d'une lutte intérieure sur ses traits. Elle s'était habituée à l'idée que Bastien portait en lui des ombres de douleur, mais les voir se manifester aussi directement, aussi ouvertement, la déstabilisa.

Elle avança d'un pas, ses respirations devenant plus profondes. Il semblait vouloir contenir quelque chose, comme une tempête prête à éclater, mais ne laissait personne y accéder. Pas même elle. Elle s'apprêtait à reculer, à quitter la pièce sans un mot, lorsque la tension dans son dos éclata.

Bastien se redressa brusquement, ses yeux se tournant vers elle avec une violence qui la fit presque reculer. Il la fixa un instant, sans dire un mot, avant de se détourner, se rendant compte qu'il avait été pris en flagrant délit de faiblesse. Camille sentit son cœur se serrer. Elle avait vu quelque chose en lui, quelque chose d'humain qu'il ne voulait pas qu'elle voie. Cette fraction de seconde où la façade se brisa, où il fut simplement un homme, vulnérable et brisé, la marqua plus profondément qu'il n'aurait pu l'imaginer.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? Sa voix était basse, tendue, comme une corde prête à casser.

Camille ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne sortit. Il était bien plus que celui qu'elle avait connu jusque-là. Cette façade qu'il portait si bien se fissurait, et il ne savait plus comment la réparer.

- Je... je ne voulais pas déranger, répondit-elle finalement, sa voix fragile.

Il se tourna, s'éloignant vers la porte sans un mot, mais Camille ne pouvait détourner les yeux de lui. C'était un homme, un homme avec ses propres démons, et il était là, devant elle, plus démuni qu'il ne l'aurait jamais voulu.

- Ce que tu viens de voir, c'est... inutile, murmura-t-il, comme s'il s'adressait plus à lui-même qu'à elle.

Il s'arrêta avant de quitter la pièce, se tournant à peine vers elle. Il avait les poings serrés, et son regard, d'habitude si perçant, était maintenant fuyant. Il semblait avoir sombré dans une mer de regrets et de solitude. C'était comme s'il voulait s'enfuir de lui-même, de cette vérité qui le rongeait à chaque instant.

- Tu n'as pas à t'excuser, répondit-elle, ses paroles un peu plus fermes cette fois. Mais elle savait qu'elle ne pouvait pas dire plus. Pas encore.

Un silence lourd s'abattit entre eux. Elle sentit une tension nouvelle naître, un fossé plus profond que celui qu'ils avaient construit jusqu'ici. Bastien se tenait là, figé, les yeux fixés au sol. Tout à coup, il semblait si lointain, si inaccessible, comme une montagne qu'elle ne pourrait jamais gravir.

- Je ne veux pas de ta pitié, dit-il enfin, les mots percutant l'air avec une brutalité qui la fit sursauter.

Elle le regarda, tentant de déchiffrer ce qu'il ressentait, mais il ne lui laissa aucune chance. En un éclair, il se referma à nouveau, son visage redevenant celui qu'elle connaissait, inexpressif, presque froid. Il tourna les talons et, sans un mot de plus, s'éclipsa dans le couloir, disparaissant dans les ombres de la maison. Elle resta là, perdue dans l'écho de ses paroles, secouée par l'intensité du moment.

Camille se sentit stupide. Elle avait brisé quelque chose. Quelque chose de fragile. Mais il y avait aussi une étrange satisfaction en elle, une prise de conscience qu'elle n'était pas seule à porter un fardeau. Que même cet homme qu'elle avait appris à craindre et à désirer avait ses propres blessures, cachées derrière des murs de glace. Elle n'aurait jamais cru que la vulnérabilité de Bastien pourrait l'attirer, mais dans cet instant suspendu, elle avait compris que, sous cette carapace impénétrable, il y avait un homme qui souffrait autant qu'elle.

Elle se laissa tomber sur le canapé, les mains encore tremblantes. Elle avait vu, et elle savait maintenant que cette connaissance allait changer tout ce qu'elle pensait savoir sur lui. Mais était-elle prête à accepter la vérité ? Et plus encore, était-elle prête à voir ce que cela signifierait pour elle ?

Le mystère autour de Bastien ne faisait que s'épaissir, et maintenant, il était plus dangereux que jamais. Il y avait des secrets en lui qu'il ne pourrait pas cacher éternellement. Mais elle le sentait : elle aussi faisait partie de son monde désormais, même si cela signifiait qu'il fallait prendre des risques pour comprendre la profondeur de ses ombres.

            
            

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