Chapitre 5 05

Le cri brisa le silence de la nuit, résonnant comme un appel désespéré dans l'air frais. Léna n'eut pas à réfléchir. Elle se précipita en avant, poussée par un instinct qu'elle ne comprenait pas. Le nouvel arrivant tenta de l'arrêter d'un geste rapide, mais elle se dégagea de sa prise, son cœur battant à tout rompre.

Elle se glissa entre les ombres, courant sans savoir vraiment où elle allait, mais suivie par cette urgence irrationnelle. Le cri venait de la direction où elle avait vu Mathieu et l'homme mystérieux. Elle s'arrêta brusquement en atteignant un vieil entrepôt abandonné. Les fenêtres étaient obscurcies par des planches de bois, et la porte, bien que fermée, semblait avoir été forcée récemment.

Léna s'approcha prudemment, son souffle haletant, écoutant attentivement. Un bruit de pas lourds et précipités se faisait entendre à l'intérieur. Elle colla son dos contre le mur de l'entrepôt, son regard scrutant l'obscurité. La scène semblait se jouer à une vitesse folle, trop vite pour qu'elle puisse la saisir dans son entièreté. Ses pensées se bousculaient, les émotions se mélangeaient : l'inquiétude, la curiosité, la peur... tout se confondait en elle.

Elle aperçut enfin une silhouette à travers une fissure dans le bois. C'était Mathieu. Il semblait en pleine discussion avec l'homme qu'elle avait vu plus tôt, celui qui avait surgi derrière elle. Mais ce qui la fit frissonner, ce n'était pas la discussion elle-même, mais l'intensité de la situation. Mathieu semblait acculé, presque vulnérable. Il était à genoux, la tête basse, comme s'il attendait quelque chose, ou pire, comme s'il attendait une décision.

- Tu ne comprends pas, Mathieu, dit l'homme d'un ton sec. Ce n'est pas toi qui as le contrôle ici.

La voix de Mathieu, habituellement calme et rassurante, tremblait cette fois-ci. Léna sentit une boule de glace se former dans son ventre.

- Mais... je n'ai pas le choix, souffla-t-il, presque inaudible. Ils vont me tuer. Et si je te laisse faire ce que tu veux, tu sais ce qui va se passer, non ?

L'homme haussait les épaules, comme si la situation n'avait aucune importance pour lui.

- Tu étais censé tenir ta promesse, Mathieu. Mais tu n'as pas respecté ton engagement. Alors, il est trop tard maintenant. La meute attend sa revanche.

Léna comprit, en une fraction de seconde, que ce qu'elle observait n'était pas une simple dispute. C'était une guerre qui se déroulait devant elle. Une guerre qu'elle ne comprenait pas encore, mais qui la concernait désormais. Elle sentait une étrange connexion avec ce moment, comme si elle faisait partie de cette bataille, bien que tout cela lui échappait.

Elle s'apprêtait à intervenir, à faire quelque chose, n'importe quoi, pour aider Mathieu, quand une lumière vive éclata dans l'obscurité, suivie d'un bruit sourd. Un autre cri. Cette fois-ci, c'était un cri de douleur, plus proche, plus intense. Le bruit venait de l'intérieur de l'entrepôt.

Léna se figea, une peur glacée la traversant. Ce cri... Elle savait que ce n'était pas une simple douleur physique. C'était quelque chose de plus profond, de plus effrayant. Elle sentit une énergie s'éveiller en elle, une pulsion qui la poussait à entrer, à aider, mais en même temps, une voix intérieure la retenait. Le danger était trop grand.

Elle se faufila à l'intérieur, aussi discrète que possible, son cœur battant dans ses tempes. Elle aperçut Mathieu, les mains serrées autour de son torse, ses yeux emplis de terreur. L'autre homme s'éloignait, murmure menaçant à l'oreille de l'un de ses compagnons, sans prêter attention à elle.

Puis, un bruit lourd. Un craquement sourd. Une ombre surgit de derrière une pile de caisses, une silhouette gigantesque, presque monstrueuse, émergeant des ténèbres. Léna n'eut pas le temps de réagir. L'ombre s'approcha de Mathieu avec une rapidité fulgurante, le projetant au sol. Il émit un grognement rauque, un son qui n'avait rien d'humain.

Les autres silhouettes dans la pièce semblaient attendre, immobiles, comme des spectateurs dans une arène.

- C'est toi qui l'as amenée ici, Mathieu ? siffla l'une des silhouettes. Tu ne savais donc pas ce que tu mettais en marche ?

La colère dans la voix de l'homme résonna dans l'entrepôt. Mathieu, encore à terre, leva les yeux vers l'ombre géante qui se tenait au-dessus de lui. Il avait l'air épuisé, abattu, presque vaincu. Mais il réussit à murmurer :

- C'est elle. Elle est la clé. Vous n'avez pas compris, vous n'avez pas vu ce qu'elle est capable de faire.

Les ombres autour d'eux se figèrent un instant, avant de se tourner vers Léna, qui venait d'apparaître, à peine à quelques mètres d'eux. Leurs yeux se braquèrent sur elle, une lueur d'intérêt froid et calculateur brillant dans leur regard.

Léna fit un pas en arrière, son esprit en ébullition. Elle avait l'impression d'être prise dans un piège dont elle ignorait les tenants et aboutissants. Mais il était trop tard pour faire marche arrière.

Léna se sentit paralysée, comme si le sol sous ses pieds avait disparu. Les regards des créatures se faisaient plus insistants, plus pressants, chaque mouvement de ses mains semblait devenir un acte risqué. Elle pouvait sentir l'angoisse monter dans sa gorge, cette sensation viscérale qui lui faisait presque oublier comment respirer.

Elle tenta de se concentrer, de ne pas céder à la panique, mais une étrange chaleur commença à envahir son corps, comme si quelque chose d'invisible s'éveillait en elle. Le regard des créatures sur elle ne faisait qu'accentuer cette sensation, comme si elles la sondait profondément, cherchant une faiblesse, une ouverture.

L'ombre géante s'avança encore, sans précipitation, comme si chaque pas qu'elle faisait était mesuré, calculé. Son regard glissa de Mathieu à Léna, un éclair de reconnaissance – ou était-ce de mépris ? – traversa ses prunelles. Elle pouvait presque sentir la tension palpable dans l'air, une force prête à exploser à tout instant.

- Alors, c'est vrai... murmura l'un des hommes dans la pièce, sa voix comme un murmure inquiétant. L'humaine... C'est elle.

Léna tourna lentement la tête vers Mathieu. Son cœur s'accéléra en voyant la terreur dans ses yeux. Ce n'était pas la terreur d'une simple victime. Non, il semblait aussi terrifié par ce qu'il venait de révéler.

- Mathieu... Que veulent-ils de moi ? demanda-t-elle d'une voix brisée, sans même se rendre compte qu'elle venait de l'interroger directement.

Ses paroles flottèrent dans l'air comme une brise légère, mais elles étaient lourdes de sens, et elles frappèrent de plein fouet l'ombre géante qui se tenait face à elle. L'énorme silhouette se redressa, ses traits se modelant à la lumière de la faible lueur dans la pièce. L'expression de son visage était une parfaite combinaison de froideur et d'intensité, une pure menace incarnée. Mais derrière cette froideur, Léna pouvait distinguer un éclat de calcul, une intelligence sinistre qui semblait percer la brume d'incertitude qui enveloppait cette rencontre.

L'ombre la regarda longuement avant de répondre. Sa voix profonde résonna comme un écho dans la pièce.

- Tu es plus que ce que tu penses, humaine, plus que ce que tu veux croire. Tu es la clé, le catalyseur que nous attendions. Tu es celle qui pourra briser ou ouvrir la porte de ce que tu ne comprends même pas encore. Nous avons des comptes à régler avec ceux qui t'entourent, et toi, tu es le moyen d'arriver à la fin de ce jeu.

Léna sentit ses jambes fléchir sous elle. C'était trop. Elle n'avait jamais imaginé que sa vie de simple humaine pouvait être liée à quelque chose d'aussi vaste, d'aussi terrifiant. Les images des phénomènes étranges qu'elle avait vécus avec Mathieu prenaient soudainement un sens qu'elle n'avait pas voulu accepter.

- Tu mens, articula-t-elle, sa voix tremblante mais déterminée. Il n'y a pas de... porte. De quoi parles-tu ?

L'ombre esquissa un sourire glacial, comme si la simple idée de répondre à cette question était au-delà de ce qu'il était prêt à partager. Ses yeux, perçants, brillèrent d'une lueur dangereuse.

- Tu découvriras bientôt ce qu'il en est, mais sache ceci, humaine : tout ce que tu connais, tout ce que tu crois comprendre, est sur le point de s'effondrer. Mathieu, ici, le sait. Mais lui aussi, il fait partie de la solution... ou de la destruction.

La tension dans la pièce monta d'un cran, et Léna pouvait sentir une chaleur étrange, insoutenable se former autour d'elle. C'était comme si une partie d'elle-même, une part oubliée, commençait à se réveiller.

Soudainement, un autre cri perça la tension dans la pièce. Cette fois, il était plus proche, encore plus intense. Le cri semblait provenir de l'extérieur, un son aigu, désespéré, qu'elle reconnaissait. C'était celui de quelqu'un qu'elle connaissait. Mais qui ? Son esprit chercha frénétiquement à identifier la source, avant de se figer.

Elle n'eut pas le temps de réfléchir davantage. Les créatures dans la pièce semblaient toutes avoir entendu ce cri, car elles se tournèrent toutes brusquement vers la porte, prête à attaquer ou à fuir. Mathieu, toujours à terre, se redressa légèrement, luttant contre la douleur, les mains tendues vers elle.

- Léna... ne les suis pas, murmura-t-il faiblement, sa voix brisée par la terreur. Ce que tu cherches, ce que tu veux comprendre... cela va te détruire.

Il avait à peine terminé sa phrase que les portes de l'entrepôt s'ouvrirent brusquement, et une silhouette imposante s'avança, éclipsant tout sur son passage. Les autres créatures reculèrent instinctivement, mais pas par peur. Non, il y avait du respect dans leurs gestes.

La silhouette massive s'arrêta au centre de la pièce, un regard perçant braqué sur Léna. Il y avait quelque chose dans son regard, une certitude glacial, un savoir ancien.

- Tu ne peux pas fuir, Léna, dit-il d'une voix profonde, qui semblait percer les ténèbres. Nous savons maintenant qui tu es. Et il est trop tard pour reculer.

                         

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