Une silhouette émergea des ombres. Grande, enveloppée dans un manteau sombre, ses pas lents et calculés. L'éclat d'un éclat d'acier brilla furtivement sous la lueur de la lune.
Un chasseur.
Ou pire.
La prise de Lyra se raffermit sur une pierre humide à ses pieds. Son esprit analysait déjà la situation : il était seul – du moins, il en donnait l'illusion. Elle, blessée, affaiblie. Une confrontation directe serait un pari suicidaire.
L'homme s'arrêta à quelques pas, sa voix basse et rauque fendit l'air.
- Si j'étais toi, je ne sauterais pas.
Un sourire étira ses lèvres, mais son regard restait glacial.
- L'eau est plus traîtresse que les loups.
Lyra ne répondit pas. Elle sentait le piège dans chacun de ses mots.
Elle ne le connaissait pas. Ce n'était pas un des hommes de Kain. Il ne portait ni leur odeur, ni leurs symboles. Mais cela ne le rendait pas moins dangereux.
L'homme baissa légèrement son arme – un couteau au manche usé, taché de quelque chose qu'elle préféra ne pas identifier.
- Tu saignes, petite louve. Ça attire des choses bien pires que moi.
Un autre craquement, plus lointain cette fois. Des hurlements se rapprochaient.
Lyra serra la pierre dans sa paume.
Elle n'avait plus beaucoup de temps.
Et encore moins d'options.
Le vent se leva, charriant avec lui l'odeur métallique du sang et celle, plus acide, de la peur. Lyra sentait son propre cœur cogner contre sa poitrine, le sang battre à ses tempes. Elle n'avait pas le luxe de l'hésitation.
L'homme devant elle ne bougeait pas. Il la détaillait avec une patience inquiétante, comme un chasseur jaugeant une proie trop fragile pour offrir une réelle résistance.
Derrière elle, les hurlements se faisaient plus distincts.
Ils la traquaient toujours.
Elle raffermit sa prise sur la pierre, évaluant l'angle, la force nécessaire. Un seul coup bien placé. Juste une ouverture.
L'homme dut percevoir son intention. Un sourire amusé étira ses lèvres, et il fit un pas de plus.
- Vraiment ? murmura-t-il. Tu crois pouvoir me surprendre ?
Le défi dans sa voix mit le feu à son instinct. Lyra n'attendit pas.
Elle lança la pierre de toutes ses forces.
L'homme esquiva d'un mouvement fluide, mais elle ne comptait pas le toucher. L'instant où il s'était détourné fut suffisant.
Elle bondit.
Une douleur fulgurante lui traversa le flanc, mais elle l'ignora. Ses doigts trouvèrent son bras, l'agrippèrent, le tordirent dans un angle douloureux. Il grogna, tentant de se dégager, mais elle était déjà en mouvement.
Son pied rencontra son genou dans un craquement sec.
L'homme bascula en arrière avec un juron étouffé, mais avant qu'il ne touche le sol, Lyra plongea dans la rivière.
L'eau glacée lui arracha un cri silencieux. L'obscurité l'engloutit aussitôt, étouffant le monde en un instant de néant glacial.
Son corps protesta, ses muscles se contractèrent sous le choc thermique. Mais elle se força à bouger, à battre des jambes, à se laisser emporter par le courant.
Au-dessus d'elle, des ombres s'agitaient.
Un éclat d'acier fendit l'eau, sifflant à quelques centimètres de son bras.
L'homme ne comptait pas la laisser partir.
Lyra se força à descendre plus profondément, ses poumons déjà en feu. Elle savait que la rivière ne la protégerait pas longtemps.
Mais elle n'avait pas besoin de longtemps. Juste d'une chance.
Elle ouvrit les yeux dans l'eau trouble et distingua enfin ce qu'elle cherchait : un passage entre deux rochers, une brèche étroite où le courant s'accélérait.
Elle s'y laissa glisser.
Le monde tourna, la propulsant violemment en avant.
Puis, soudain, la rivière la recracha dans un bassin plus calme, bordé par une rive boueuse.
Elle se redressa tant bien que mal, haletante, trempée, le corps endolori.
Le silence régnait autour d'elle.
Pas de hurlements.
Pas de pas précipités sur la terre ferme.
Elle avait semé son poursuivant.
Mais pas pour longtemps.
Elle tituba hors de l'eau, cherchant un abri.
Le froid mordait sa peau, la fatigue menaçait de la faire sombrer.
Mais une silhouette apparut soudain devant elle.
Silencieuse. Immobile.
Et cette fois... elle ne tenait pas une arme.
Juste un regard perçant, étrange.
Un homme aux cheveux sombres, vêtu de haillons, la fixait.
Puis, lentement, il s'agenouilla et tendit une main vers elle.
- Tu es plus résistante que je ne le pensais, petite louve.
Sa voix était rauque, marquée par l'ombre d'un passé qu'elle ne connaissait pas encore.
Mais elle savait une chose.
Elle venait de tomber sur un autre joueur de cette chasse.
Et elle ignorait encore s'il était un allié...
Ou un nouveau piège.
Le silence après la traque était trompeur, plus oppressant encore que la menace d'un combat imminent. Lyra recula d'un pas, sentant la boue froide s'infiltrer entre ses orteils, tandis que l'homme aux haillons ne bougeait pas. Son regard semblait la disséquer, analyser chaque frémissement de ses muscles, chaque inspiration heurtée.
- Qui es-tu ? demanda-t-elle d'une voix rauque, à peine plus qu'un souffle.
L'homme esquissa un sourire, un rictus qui n'avait rien d'avenant. Il ne répondit pas tout de suite.
Au loin, un hurlement résonna, plus lointain cette fois. La meute fouillait toujours la forêt, ses chasseurs flairant les traces humides laissées par Lyra. Elle n'avait que quelques minutes d'avance sur eux.
L'étranger inclina légèrement la tête, un éclat amusé dans les yeux.
- Si j'étais toi, je ne resterais pas ici. Ils sont rapides, mais ils ne connaissent pas les passages que je connais.
Il se releva sans effort, comme si son corps brisé n'était qu'une illusion. À cette lumière pâle, Lyra distingua mieux les détails de son visage : une barbe de plusieurs jours, des cernes creusant ses traits, une cicatrice fine courant de sa tempe à sa mâchoire.
Un loup, indéniablement. Mais pas un chasseur.
Elle plissa les yeux, méfiante.
- Pourquoi m'aiderais-tu ?
Il haussa un sourcil, comme si la question l'amusait réellement cette fois.
- Parce que j'aime voir les traîtres donner du fil à retordre aux tyrans.
Une réponse trop vague. Trop fluide pour être honnête.
Mais Lyra n'avait pas le choix.
Ses muscles criaient de douleur, le froid s'infiltrait dans ses os, et son corps réclamait du repos. Si elle voulait survivre, elle devait s'appuyer sur la moindre opportunité, même si elle menait à une autre forme de piège.
- Suis-moi.
L'homme tourna les talons sans attendre sa réponse. Il s'engagea entre les arbres, effaçant presque sa présence parmi les ombres mouvantes de la forêt.
Lyra hésita une fraction de seconde, puis se força à avancer.
Une nouvelle traque venait de commencer.
Mais cette fois, elle ignorait qui chassait réellement qui.
---
Les minutes qui suivirent furent un enchaînement de bruits étouffés et de déplacements prudents. L'homme savait exactement où poser ses pieds, évitant branches mortes et feuilles humides, guidant Lyra à travers un sentier qui ne ressemblait à rien de naturel.
Ils s'enfoncèrent dans un entrelacs de racines et de ronces, puis, soudain, le terrain s'affaissa sous ses pas.
Lyra eut un instant de panique en sentant son pied glisser, mais une main ferme la rattrapa.
- Attention.
Elle le fusilla du regard, repoussant son bras d'un geste brusque.
- Où m'emmènes-tu ?
Il désigna l'ouverture béante devant eux. Une faille rocheuse, dissimulée derrière un rideau de feuillage épais. De l'extérieur, on aurait dit une simple déchirure dans le sol, une formation naturelle ignorée par tous.
- À l'abri, répondit-il simplement.
Sans plus attendre, il se glissa dans l'étroite entrée.
Lyra serra les dents et lui emboîta le pas.
L'intérieur de la faille était plus vaste qu'elle ne l'aurait cru. Un tunnel s'enfonçait sous terre, dégageant une odeur de pierre humide et de terre retournée.
Elle posa une main sur la paroi froide, écoutant le silence dense qui les enveloppait. Pas d'écho. Pas de courant d'air.
Ils étaient loin, maintenant.
Assez loin pour que Kain et ses chasseurs perdent leur trace.
Mais cela ne signifiait pas qu'elle était en sécurité.
L'homme s'arrêta devant un renfoncement, où une petite lampe à huile jetait une lueur vacillante sur un matelas usé, quelques provisions et une trousse médicale éparpillée au sol.
Un repaire temporaire.
Un survivant, alors.
Lyra croisa les bras, s'efforçant de masquer son épuisement.
- Tu n'as toujours pas donné ton nom.
Il tourna légèrement la tête, l'observant dans la pénombre.
- Elias.
Un frisson la traversa. Ce nom...
Elle l'avait entendu avant.
Dans les murmures d'anciens récits, dans les souvenirs volés de Kain.
Elias.
Le frère qu'il avait perdu.
Ou plutôt... le frère qu'il avait renié.
Le silence s'étira entre eux, tendu comme la corde d'un arc sur le point de se briser.
Lyra détailla Elias du regard, à la recherche d'un indice, d'un mensonge dissimulé dans ses traits fatigués. Mais il ne détourna pas les yeux, soutenant son examen avec un calme presque dérangeant.
Un frère banni. Un homme qui aurait dû être mort depuis longtemps.
- Elias... murmura-t-elle enfin, goûtant ce nom sur sa langue comme un poison.
Un sourire fugace, ironique, effleura les lèvres de l'homme.
- Je vois que tu connais mon nom.
- Tout le monde connaît ton nom, répliqua-t-elle froidement. Ou du moins, l'histoire qu'on raconte sur toi.
Un rire bref, sans joie. Elias se détourna et commença à fouiller dans sa trousse médicale, sortant des bandages et une fiole d'alcool brunâtre.
- Ah... Oui. Je suppose que l'histoire officielle me peint comme un traître, un lâche, un fantôme à oublier.
Il s'agenouilla et tapota un rocher plat à côté de lui.
- Assieds-toi. Tu perds du sang.
Lyra hésita. Accepter son aide, c'était reconnaître qu'elle en avait besoin.
Mais son flanc la brûlait, et elle savait que si elle ne se soignait pas maintenant, elle deviendrait une proie facile.
Elle s'assit lentement, sans le quitter des yeux.
- Pourquoi m'aider ?
Elias ne répondit pas immédiatement. Il attrapa un chiffon propre et versa un peu d'alcool dessus.
- Je pourrais te dire que c'est par bonté d'âme, fit-il en pressant le tissu sur sa blessure.
Lyra serra les dents pour ne pas réagir à la brûlure.
- Mais ce serait un mensonge.
Il leva les yeux vers elle.
- Je t'aide parce que tu es la seule qui ait réussi à blesser Kain.
Un frisson la parcourut.
Elias connaissait la vérité.
Ce qui s'était réellement passé entre elle et Kain.
Pas la version déformée par la rumeur. Pas celle que la meute racontait pour justifier sa traque.
- Tu sais ce qui s'est passé, murmura-t-elle.
- Je sais que Kain ment.
Elias se redressa et croisa les bras, la fixant avec intensité.
- Je veux savoir pourquoi.
Lyra sentit un poids s'abattre sur ses épaules.
Depuis des semaines, elle fuyait. Depuis des semaines, elle survivait sans avoir le temps de réfléchir à ce qu'elle avait fait.
À ce qu'elle aurait dû faire.
Mais maintenant, dans l'ombre de cette grotte, face au frère oublié de Kain, la vérité revenait la hanter.
Elle inspira profondément.
Il était temps de raconter son histoire.