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La chambre du prince était plongée dans une obscurité presque totale, à l'exception des dernières lueurs vacillantes d'une torche murale qui mourait lentement. Le plafond en bois sculpté, avec ses motifs d'ancêtres et de créatures mythologiques, semblait figé dans le silence. L'air était dense, presque lourd de l'odeur de cire, d'encens et de la chaleur de la nuit.
Ismène, allongée sur le dos, respirait profondément, mais son esprit tournait en cercles, incapable de trouver la paix. Sa peau, encore marquée par la chaleur de l'union, semblait vibrer sous chaque mouvement, mais c'était la tension dans son ventre qui la rendait nerveuse.
Elle tourna lentement la tête vers Kael, endormi à ses côtés. La lumière de la torche se reflétait faiblement sur son visage, apaisé, sans l'ombre d'un soupçon. Sa posture détendue contrastait avec l'agitation qui secouait Ismène. Elle se leva doucement, ses pieds nus frôlant le sol froid du marbre. Le drap était repoussé sous elle, et l'empreinte rouge, la tâche du sang, marquait la couverture d'une manière irréversible. Elle se mordit la lèvre, la réalité de la situation pesant lourdement sur ses épaules.
Elle se tourna une dernière fois vers Kael, son cœur serré. Cet homme, ce prince, ne savait pas. Il ne savait rien, et elle ne pouvait rien changer à cela. Il fallait qu'elle parte, avant que l'aube n'arrive, avant que la vérité ne se déclare.
Ses doigts tremblants effleurèrent la porte, et elle sortit silencieusement, sans un bruit, dans le corridor sombre et froid du palais. La pierre sous ses pieds était fraîche et l'air, chargé de mystère, semblait la guider vers l'extérieur. Elle ne s'arrêta pas, ne se retourna pas. Le seul objectif qui comptait à cet instant était de retrouver Naïla. Elle savait que chaque seconde comptait.
Naïla l'attendait dans l'ombre des appartements adjacents, le visage pâle, marqué par des heures d'angoisse et de tension. Elle se redressa vivement en apercevant Ismène. Ses yeux étaient emplis de cette nervosité palpable, mais aussi d'une fébrilité qu'elle ne cherchait pas à dissimuler.
- Est-ce fait ? chuchota Naïla, le regard scrutant le corps d'Ismène, cherchant la moindre trace, le moindre indice de ce qui venait de se passer.
Ismène hocha la tête lentement, mais une angoisse profonde se lisait sur son visage. Elle ne savait même pas comment décrire ce qu'elle venait de vivre. Tout semblait si irréel, comme un lourd fardeau.
- Oui. La réponse se perdit dans l'air, presque inaudible.
Naïla la scruta un instant, puis, comme si elle avait attendu ce moment depuis des heures, elle s'approcha vivement. Sa main se posa fermement sur le bras d'Ismène, ses yeux brillants de hâte.
- Le drap ? Il doit être là... Pas de doute possible, n'est-ce pas ?
Ismène se tourna, son regard perçant la pièce avant de se poser sur la porte de la chambre royale. Elle ferma brièvement les yeux, rassemblant ses pensées, puis murmura d'une voix plus ferme :
- Il est là, Princesse. La tâche est marquée, il n'y a aucun doute.
Naïla pâlit de soulagement, puis, dans un geste rapide et précis, elle se dirigea vers la chambre conjugale.
- Parfait, il faut que je retourne dans le lit. Dès maintenant.
Ismène hésita un instant, mais ne dit rien. Dans le silence du palais, chaque pas semblait résonner dans les couloirs. Naïla s'avança sans hésitation, son visage figé dans une expression déterminée. Les servantes, assoupies et ignorantes de ce qui se tramait, n'avaient pas conscience de la manigance qui se jouait sous leurs yeux.
Naïla atteignit la porte de la chambre, son cœur battant plus fort à chaque seconde. Elle entra discrètement, son corps glissant sous les draps sans faire un bruit. Elle s'installa rapidement à côté de Kael, repliant ses bras autour de lui, imitant parfaitement l'attitude d'Ismène. Le prince ne bougea pas, comme s'il n'avait jamais quitté ses rêves.
Elle prit une grande inspiration, prête à entamer ce qui allait être la dernière étape de leur plan. Ce dernier acte d'une nuit secrète.
Ainsi, la nuit se termina, mais les mensonges, eux, se tissèrent plus serrés que jamais.
*****
Les premières lueurs de l'aube pénétraient à peine dans la chambre lorsque la nouvelle se répandit parmi les servantes et les membres du palais : la princesse avait rempli son devoir, et la nuit de noces ne souffrait d'aucun doute.
La cour royale était en effervescence. Le grand palais resplendissait sous les lampes à huile et les torches, projetant des ombres dansantes sur les murs décorés de tissus précieux. Des musiciens accordaient leurs instruments, les tambours résonnaient doucement, annonçant la célébration.
Dans une salle richement décorée, Naïla était assise au centre sur une estrade surélevée, parée d'or et de perles, drapée dans un pagne finement brodé qui soulignait sa silhouette svelte. Ses bras et son cou scintillaient sous le poids des bijoux que les tantes royales avaient soigneusement disposés sur elle. Ses cheveux avaient été tressés avec soin, et un parfum envoûtant émanait d'elle, témoignant du rituel de purification qu'elle avait subi avant cette cérémonie.
Les griots entonnaient des chants en son honneur, vantant sa grâce, sa beauté et surtout sa vertu. C'était une fête pour célébrer sa pureté, une tradition honorant la nouvelle épouse royale qui avait su préserver son honneur jusqu'à la nuit de noces.
Naïla, fille noble, femme irréprochable, perle du royaume ! clamait le plus vieux des griots d'une voix vibrante.
Les invités applaudissaient, scandant son nom avec ferveur. Naïla souriait, baissant humblement la tête, jouant parfaitement son rôle de jeune épouse pudique et exemplaire. Elle se savait observée, jugée, et elle excellait dans cette mise en scène.
Au pied de l'estrade, Ismène était là, parmi les servantes, comme toujours. Elle portait un simple pagne en coton et gardait les yeux baissés, se contentant d'observer discrètement la scène. Son cœur battait irrégulièrement. Cette fête... c'était une célébration d'un mensonge.
Elle savait que la nuit de noces n'avait pas été ce que tous croyaient. Et pourtant, ici, Naïla était glorifiée.
Un murmure parcourut l'assemblée lorsque la reine mère fit son entrée. Son port majestueux imposa immédiatement le silence. Drapée dans un tissu aux reflets d'or, elle avançait d'un pas lent et assuré, son regard impénétrable scrutant la jeune mariée.
Une des tantes royales s'avança avec un linge immaculé, soigneusement plié. Elle s'agenouilla devant la reine et, avec une révérence parfaite, lui tendit le drap.
Reine mère, voici la preuve que ta belle-fille est digne de porter la couronne.
La reine mère prit le tissu, le déplia lentement sous le regard attentif de l'assemblée. Des exclamations émerveillées s'élevèrent lorsque les traces rougeâtres furent dévoilées. La preuve supposée de la virginité de Naïla était brandie devant tous, consolidant son statut de femme honorable.
Naïla, toujours assise avec grâce, baissa les yeux, feignant la modestie.
Tu fais honneur à notre famille, déclara la reine mère en s'approchant d'elle.
Elle posa une main sur la tête de sa belle-fille en signe de bénédiction.
Que ton mariage soit prospère, que ton ventre soit fécond et que tu apportes à ce royaume des héritiers dignes de ce nom.
Les femmes royales poussèrent des cris de joie, des chants éclatèrent à nouveau, et les tambours reprirent de plus belle.
Ismène, toujours en retrait, sentit son estomac se nouer. Elle savait que tout cela n'était qu'une façade. Naïla, cette femme adulée et portée aux nues, était en réalité une manipulatrice habile.
Et Ismène, elle, devait se taire.
Elle baissa encore plus la tête, gardant son rôle de servante insignifiante, tout en sentant au fond d'elle que ce mensonge pourrait finir par éclater un jour.