Chapitre 3 03

L'air se chargea d'une tension électrique, une vibration sourde qui faisait écho à l'inéluctable. Les silhouettes se découpaient dans la brume, leurs yeux rougeoyants perçant l'obscurité comme des éclats maudits. Ils avançaient lentement, méthodiques, tels des spectres surgis des abysses.

Élara savait qui ils étaient.

Les gardiens de la malédiction.

Des êtres anciens, façonnés par la sorcière elle-même, destinés à veiller sur le poids de son courroux. Ils ne parlaient pas, ne négociaient pas. Leur seule mission était d'exécuter le châtiment à chaque fois que la malédiction était menacée.

Kael ne bougea pas, son regard fixé sur les ombres mouvantes. Il émanait de lui une force implacable, une autorité brute qui aurait pu intimider n'importe quelle créature de ce monde. Mais pas eux.

Ils n'étaient pas des ennemis ordinaires.

Élara le savait.

Elle se rapprocha de Kael, le frôlant à peine, mais il perçut son hésitation.

- Reste en arrière, grogna-t-il.

Elle serra les poings.

- Ils sont là pour moi, Kael. Pas pour toi.

- Alors ils vont devoir passer sur mon cadavre.

Elle ferma brièvement les yeux. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait toujours pas. Ce n'était pas une bataille qu'on pouvait gagner.

Mais il était Kael Draven. Un Alpha. Un guerrier. Un être qui ne connaissait que la lutte et la domination. L'idée même de reculer lui était étrangère.

Le premier assaillant bondit.

Kael réagit avant même qu'Élara ne puisse crier son nom. Son corps pivota, sa main se refermant sur la gorge de la créature en une fraction de seconde. Il la projeta violemment contre un tronc d'arbre, un craquement sinistre résonnant dans l'air. Mais avant qu'il n'ait pu se préparer à la suite, un second gardien fondit sur lui, le griffant à l'épaule.

Kael grogna, ses yeux virant à l'or incandescent. L'air vibra autour de lui, son pouvoir pulsant dans ses veines comme une marée montante.

Mais ils étaient trop nombreux.

Élara sentit la panique l'envahir.

Elle ne pouvait pas le laisser les affronter seul.

Elle leva les mains, sentant l'énergie de la malédiction bouillonner en elle, une force qu'elle avait toujours tenté de réprimer. Mais ce soir, elle n'avait plus le choix.

Les symboles gravés sur sa peau s'illuminèrent.

Un cri perça la nuit, un hurlement déchirant qui ne venait ni d'un loup, ni d'un humain. Une onde de choc explosa autour d'elle, projetant les gardiens en arrière.

Kael tourna la tête vers elle, stupéfait.

Élara vacilla sous l'effort, sa vision troublée par la douleur qui pulsa dans son crâne. Elle sentit le sol se dérober sous ses pieds, mais avant qu'elle ne sombre, deux bras puissants l'attrapèrent.

Kael.

Son regard brûlait d'une rage contenue, mais aussi de quelque chose d'autre. Quelque chose qu'elle redoutait encore plus que la colère.

De la compréhension.

- Qu'est-ce que tu es ? demanda-t-il d'une voix rauque.

Élara n'eut pas la force de répondre.

L'obscurité l'engloutit.

L'obscurité était lourde, poisseuse, comme une mer d'encre dans laquelle elle s'enfonçait lentement. Tout son corps semblait flotter entre conscience et néant, bercé par une vague de douleur sourde. Des fragments de souvenirs tournaient dans sa tête, des éclats d'un passé qu'elle tentait d'oublier, des visages effacés par le temps, des promesses brisées, et cette voix... cette voix qui murmurait son nom au milieu du chaos.

Élara ouvrit les yeux dans un sursaut.

Un plafond de bois brut s'étendait au-dessus d'elle, faiblement éclairé par la lueur vacillante d'un feu de cheminée. L'air portait l'odeur de la résine et de la terre humide, un parfum familier et apaisant. Son corps, pourtant, était une prison de douleur. Chaque muscle criait sous le moindre mouvement.

- Tu es enfin réveillée.

La voix était grave, rauque, imprégnée d'un mélange de soulagement et d'exaspération.

Kael.

Elle tourna lentement la tête vers lui. Il était assis à côté du lit, les bras croisés sur son torse nu, où une bande de tissu tâchée de sang entourait son épaule blessée. Ses yeux d'ambre la fixaient avec une intensité troublante, emplis d'une tension contenue.

- Où sommes-nous ? murmura-t-elle d'une voix rauque.

- Chez moi.

Elle fronça légèrement les sourcils. La cabane d'un Alpha ? Loin du territoire de la meute ?

- Pourquoi...

Elle tenta de se redresser, mais la douleur lui arracha un gémissement. En un instant, Kael fut sur elle, ses mains la retenant avec une douceur inattendue.

- Ne bouge pas.

Le contact de sa peau contre la sienne envoya une décharge brûlante dans tout son être. Elle aurait dû reculer, le repousser. Mais elle était trop faible.

- Pourquoi m'as-tu amenée ici ? souffla-t-elle.

Kael ne répondit pas immédiatement. Son regard la scruta, cherchant des réponses qu'elle-même n'était pas sûre de posséder.

- Parce que tu es à moi.

Les mots frappèrent comme une sentence.

Élara ferma brièvement les yeux.

- Non...

- Si.

Il ne flanchait pas. Il ne flancherait jamais.

- Tu es mon âme sœur, Élara.

Un frisson la parcourut. L'entendre de sa bouche rendait l'horreur plus réelle encore.

- Tu ne comprends pas, Kael.

- Alors explique-moi.

Il s'assit sur le bord du lit, son regard perçant le sien.

Elle détourna la tête.

Comment lui dire ? Comment lui faire comprendre que chaque minute passée à ses côtés le condamnait un peu plus ?

- Il n'y a rien à expliquer, murmura-t-elle.

Il soupira, sa patience visiblement à bout.

- Tu m'as sauvé la vie hier soir. Ce pouvoir... tu l'as toujours eu ?

Elle hocha lentement la tête.

- Il est lié à la malédiction.

- Quelle malédiction ?

Élara sentit son cœur se serrer.

Elle aurait préféré ne jamais avoir à prononcer ces mots.

Mais elle ne pouvait plus fuir.

- Si je reste auprès de toi trop longtemps... tu mourras.

Kael ne réagit pas immédiatement.

Puis, lentement, un sourire amer étira ses lèvres.

- Tu crois vraiment que je vais accepter ça ?

Élara sentit les larmes lui brûler les yeux.

- Ce n'est pas une question de choix, Kael. C'est une réalité.

Un silence pesant s'abattit sur eux.

Puis, d'un mouvement fluide, Kael se leva.

- Je trouverai un moyen de briser cette malédiction.

Son ton était une promesse.

Élara détourna le regard, le cœur en miettes.

Il ne comprenait pas encore.

Mais bientôt, il comprendrait.

Quand il commencerait à dépérir. Quand son souffle se ferait plus court. Quand son cœur ralentirait...

Quand la mort viendrait le réclamer.

Elle devait partir avant qu'il ne soit trop tard.

            
            

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