Chapitre 2 02

Élara sentit son cœur se serrer dans sa poitrine, un frisson d'angoisse la parcourant. Ses paroles avaient été un avertissement, une supplication, et pourtant, Kael n'avait rien montré d'autre que cette détermination qui frôlait la folie. Il ne comprenait pas, pas encore. Il ne voyait pas ce qu'elle portait en elle, ce poids qu'elle traînait depuis des années.

Elle tenta une dernière fois de se dégager, mais sa tentative échoua encore. Le contact de Kael sur son poignet était comme un enchevêtrement de chaînes invisibles, chaque mouvement de sa main créant une sensation de fardeau supplémentaire, de lien invisible qui la rongeait.

- Tu penses vraiment que je vais t'abandonner maintenant ? demanda-t-il, sa voix aussi sombre que l'obscurité environnante.

Elle roula sur le côté, désespérée, le sol humide la soutenant à peine. Elle se haussait du sol avec difficulté, son corps épuisé, mais son esprit farouche. Elle devait partir, elle devait s'éloigner de lui. Elle ne pouvait pas être la cause de sa destruction.

- Tu ne comprends pas, Kael...

Elle s'interrompit alors qu'il se penchait, son visage si près du sien qu'elle pouvait sentir la chaleur de son souffle sur ses lèvres. Il l'étudiait intensément, comme s'il cherchait à percer tous les secrets qu'elle tentait de lui cacher.

- Ce que je comprends, Élara, c'est que tu m'appartiens, et je ne vais pas te laisser fuir. Peu importe ce que cette malédiction dit, je ne vais pas t'abandonner.

Elle détourna le regard, les yeux brûlants de larmes qu'elle refusait de laisser couler. Elle n'était pas faible, pas maintenant.

- Tu vas mourir... tout est déjà écrit. Je... je ne veux pas être responsable de ça.

Les mots semblaient s'échapper d'elle comme une confession trop lourde à porter, trop ancienne. Elle se redressa lentement, mais il l'en empêcha d'un simple geste, la repoussant doucement, mais fermement, contre le sol.

- Tu m'as dit que tu n'avais pas de choix, Élara. Mais c'est toi qui as choisi de me fuir. Tu m'as dit que tu n'étais pas la personne que je pensais que tu étais, mais maintenant je vois que tu me mens. Tu m'as déjà choisi.

Ses mots résonnaient en elle, comme un écho sourd. Elle ferma les yeux, une partie de son âme hurlant, une autre partie prête à se briser. Oui, Kael avait raison. Dans un autre monde, un autre temps, elle l'aurait choisi de bon cœur. Mais elle n'était pas dans un monde où les décisions étaient simples. Elle était dans un monde où la magie, la malédiction, et la souffrance étaient des maîtres invisibles, des fantômes qui dansaient autour d'elle.

Elle se leva lentement, son regard ancré dans celui de Kael, un défi silencieux dans les yeux.

- Je te l'ai dit. Si tu veux rester près de moi, tu mourras.

Il se redressa à son tour, sans hésiter, ne montrant aucune peur, aucune hésitation.

- Et si je te disais que je préfère mourir près de toi, plutôt que de vivre sans toi ?

Elle le fixa, se mordillant la lèvre inférieure. Il n'était pas raisonnable. Il ne comprenait pas. Il ne pouvait pas.

- Je suis une malédiction, Kael. Un fardeau. Je te fais souffrir sans même le vouloir.

Il s'avança vers elle d'un pas assuré, sa main effleurant doucement sa joue, sa peau chaude contre la sienne. Une sensation étrange, une chaleur réconfortante, mais dangereuse.

- Alors souffrons ensemble. Je suis prêt à tout pour toi, Élara.

Le monde sembla s'effacer autour d'eux alors qu'ils se faisaient face. Le vent soufflait à travers les arbres, brisant le silence entre eux, mais ils étaient seuls. Juste eux deux. La vérité se tint entre eux, lourde et incertaine. La malédiction les séparait, mais en même temps, elle les liait d'une manière encore plus profonde.

Élara se sentit prise au piège, mais il n'y avait pas de retour en arrière. Il n'y avait que lui. Et elle. Et la terrible certitude que quoi qu'il advienne, leur avenir serait marqué par la même ombre qui les poursuivait depuis la naissance d'Élara.

Elle ferma les yeux un instant, sentant la chaleur de sa peau contre la sienne, et elle murmura presque à elle-même :

- Alors sois prêt à tout perdre, Kael. Parce que je suis prête à te détruire.

Un sourire triste se dessina sur ses lèvres. Mais Kael n'eut pas peur. Pas cette fois. Il se pencha doucement, l'embrassant sans un mot, comme une promesse muette que la fin ne les séparerait pas. Que même face à la mort, ils s'accrocheraient à cette folie qu'était leur amour.

Et l'ombre, enfin, se resserra autour d'eux, inexorable, comme une vieille amie qu'ils ne pouvaient plus fuir.

La nuit s'étira en un silence oppressant, un écrin d'obscurité dans lequel Élara et Kael semblaient suspendus, enfermés dans une bulle hors du temps. Pourtant, malgré la douceur trompeuse de l'instant, elle sentait la menace qui planait au-dessus d'eux, cette malédiction invisible qui imprégnait l'air autour d'elle comme un poison insidieux.

Elle savait ce qui allait se passer. Kael ne voulait pas l'entendre, mais la malédiction n'avait jamais faibli, jamais hésité. Ceux qui s'étaient trop approchés d'elle avaient tous connu le même sort. Elle l'avait vu se répéter inlassablement. Des ombres du passé revenaient sans cesse la hanter, lui rappelant les visages de ceux qui avaient tenté de l'aimer, et qui, un jour, s'étaient effondrés sans un mot, emportés par un sort inéluctable.

Kael ne serait pas différent.

Élara le savait.

Mais ce qui la terrorisait le plus, c'était qu'une part d'elle ne voulait plus fuir.

Elle se redressa lentement, rompant la proximité entre eux, sentant l'air froid s'engouffrer entre leurs corps comme un avertissement. Kael la regarda avec intensité, ses yeux ambrés brillant sous le clair de lune. Il ne dit rien, ne chercha pas à l'arrêter. Il attendait. Comme s'il savait qu'elle était à un souffle de renoncer, qu'elle était sur le fil du rasoir entre son instinct et son désir.

Elle inspira profondément.

- Il faut partir, murmura-t-elle.

Kael haussa légèrement un sourcil, mais ne protesta pas. Il savait que ce n'était pas une invitation. C'était une tentative désespérée d'échapper à l'inévitable.

Ils avancèrent à travers la forêt, foulant le sol humide sous leurs pas silencieux. Les arbres se refermaient autour d'eux, hautes silhouettes tordues sous la lumière blafarde de la lune. Un brouillard léger rampait entre les racines noueuses, glissant sur la mousse comme des doigts invisibles cherchant à les saisir.

Élara connaissait ce chemin. Elle l'avait emprunté mille fois. Elle savait où il menait.

Au sanctuaire.

Là où tout avait commencé. Là où peut-être, tout pouvait se terminer.

Le silence n'était interrompu que par les bruits feutrés de la nuit, le craquement des feuilles sous leurs pas, et le souffle du vent qui murmurait entre les branches.

Mais quelque chose d'autre s'insinuait dans l'air.

Une présence.

Élara s'arrêta brusquement, tendant l'oreille. Son cœur accéléra instinctivement, ses sens s'aiguisant face au danger latent qu'elle percevait sans le voir.

Kael le sentit aussi.

Un frisson parcourut son échine alors qu'un bruissement sourd s'élevait dans l'ombre. Une sensation familière, oppressante, rampante. Quelqu'un les observait.

Elle tourna lentement la tête, scrutant l'obscurité.

Un éclat fugace. Des yeux rouges, dissimulés derrière le rideau de brume.

Le cœur d'Élara se serra.

- Ils sont là, souffla-t-elle.

Kael ne posa aucune question. Il connaissait déjà la réponse.

Les gardiens de la malédiction les avaient trouvés.

Un grondement bas résonna, suivi d'un second, plus proche. Des ombres mouvantes se détachaient dans la brume, avançant avec une lenteur calculée, encerclant leur proie comme des prédateurs savourant l'instant précédant l'attaque.

Kael se plaça devant Élara, son corps tendu, chaque muscle prêt à exploser à la moindre provocation. Ses yeux s'illuminèrent d'une lueur dorée alors qu'un frisson d'énergie parcourait son échine.

Ils n'étaient pas seuls.

Élara sentait l'ombre de la malédiction se refermer sur elle, plus tangible que jamais.

Il était trop tard pour fuir.

            
            

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