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Les arbres chuchotaient sous la caresse du vent, leurs branches noueuses s'élevant vers un ciel chargé de nuages sombres. La forêt millénaire s'étendait à perte de vue, un labyrinthe de feuillages denses et d'ombres mouvantes où les secrets du passé s'attardaient encore, murmurant aux âmes perdues qui osaient s'y aventurer.
Élara Sylvestre connaissait ces bois mieux que quiconque. Depuis son enfance, elle en parcourait les sentiers escarpés, évitant les villages et les routes fréquentées, fuyant le regard des autres comme si leur seule présence pouvait éveiller les fantômes qui pesaient sur son existence. Ici, dans le silence vertigineux des sous-bois, elle pouvait exister sans craindre d'être la cause d'une nouvelle tragédie.
Sa malédiction était une cage invisible, un poids qu'elle portait depuis toujours sans espoir d'en être libérée. Elle se souvenait des larmes de sa mère, des murmures étouffés des anciens du village, des visages détournés lorsqu'elle passait. Mais par-dessus tout, elle se souvenait du premier être qu'elle avait aimé... et perdu.
Elle s'arrêta au bord d'un petit ruisseau, observant son reflet se briser dans l'eau trouble. Ses longs cheveux noirs cascadaient sur ses épaules, mêlés de brins d'herbe et de feuilles, vestiges de sa dernière course à travers la forêt. Ses yeux d'un bleu pâle, presque spectral, portaient la trace des années passées à lutter contre l'inévitable.
Un bruissement derrière elle. Elle se tendit, ses sens aiguisés par l'habitude du danger. Elle savait qu'elle n'était jamais vraiment seule. Parfois, c'était un animal curieux, une biche effrayée ou un renard en quête de nourriture. D'autres fois, c'était une présence plus menaçante, tapie dans l'ombre, attendant le moment opportun.
Cette fois, cependant, elle sentit une énergie différente. Quelque chose de puissant, de primitif.
Elle se redressa lentement, le cœur battant.
Et alors, il apparut.
Kael Draven.
Son nom résonnait comme une légende parmi les hommes et les créatures de la nuit. Un Alpha redouté, dont la seule présence suffisait à plier les plus téméraires sous son autorité implacable. Il se tenait à quelques pas d'elle, sa silhouette massive découpée contre le rideau d'arbres.
Le vent souleva sa cape de cuir, révélant un torse sculpté par les batailles et les années passées à dominer les siens. Ses cheveux noirs, légèrement ondulés, tombaient sur ses épaules, encadrant un visage dur, marqué par la guerre et la fierté. Ses yeux, d'un doré incandescent, la fixaient avec une intensité troublante.
Élara sentit un frisson lui parcourir l'échine.
Elle savait.
Elle savait ce que ce regard signifiait.
Elle recula d'un pas, mais il ne bougea pas, se contentant de l'observer comme un prédateur évaluant sa proie. L'instant s'étira, suspendu entre la crainte et l'inéluctable.
Le destin, cruel et implacable, venait de frapper.
La brume s'élevait lentement du sol humide, serpentant entre les racines des vieux arbres comme des doigts fantomatiques cherchant à emprisonner les âmes égarées. Le silence qui s'était abattu sur la forêt était presque surnaturel, comme si la nature elle-même retenait son souffle face à l'inéluctable.
Élara sentait son cœur battre à un rythme chaotique, chaque pulsation résonnant dans ses tempes comme un tambour de guerre. Elle aurait dû fuir, tourner les talons et disparaître dans les profondeurs de la forêt avant qu'il ne soit trop tard. Mais elle était figée, prise au piège dans l'intensité brûlante du regard de Kael Draven.
L'Alpha ne bougeait pas, mais sa présence emplissait l'espace, exerçant une pression presque palpable sur son être. Tout en lui dégageait une puissance contenue, une force brute capable de broyer ceux qui osaient se mettre en travers de son chemin. Et pourtant, dans cette immobilité calculée, il y avait autre chose, quelque chose de plus profond, de plus ancien, comme si une force invisible l'avait mené jusqu'ici, jusqu'à elle.
Élara ferma les yeux une fraction de seconde, cherchant à rassembler ses pensées en proie au chaos. Elle connaissait la vérité. Elle l'avait toujours su. Le destin était un bourreau impitoyable, tissant ses fils avec une précision cruelle, et ce soir, il venait de resserrer son étreinte autour d'elle.
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Kael avait avancé.
Le mouvement avait été imperceptible, fluide comme celui d'un fauve s'approchant de sa proie. Il était plus proche maintenant, si proche qu'elle pouvait sentir la chaleur émanant de son corps, une chaleur qui contrastait avec le froid mordant de la nuit.
Elle se força à parler, sa voix à peine plus qu'un murmure.
- Tu ne devrais pas être ici.
Un éclair passa dans les yeux de Kael, une étincelle dorée qui illumina ses iris fauves l'espace d'un instant avant de s'éteindre. Un sourire fugace effleura ses lèvres, un sourire dénué de toute douceur, empreint d'une certitude implacable.
- Et pourtant, me voici.
Sa voix était grave, rocailleuse, traversée d'une note rauque qui résonna dans tout son être. Il n'y avait ni question ni hésitation dans ses mots, seulement une vérité irréfutable.
Élara recula d'un pas, mais il avança à son tour, maintenant la distance entre eux, un jeu silencieux dont elle connaissait déjà l'issue.
- Tu ne comprends pas... souffla-t-elle.
Kael inclina légèrement la tête, l'observant avec une intensité qui semblait la disséquer.
- C'est toi qui ne comprends pas, Élara.
Son nom, prononcé par cette voix profonde, résonna en elle comme une invocation ancienne, un appel auquel elle ne pouvait pas répondre sans précipiter leur perte.
Elle sentit un vertige la saisir, un frisson lui parcourir l'échine alors que le poids invisible de la malédiction se rappelait à elle. Le froid de la nuit s'insinua sous sa peau, se mélangeant à la chaleur oppressante que dégageait l'Alpha.
Elle devait fuir. Maintenant.
Sans un mot de plus, elle se retourna brusquement et s'élança dans la forêt. Les branches fouettaient son visage, les racines tentaient de la faire trébucher, mais elle ne ralentit pas. Son souffle était court, son cœur tambourinait contre sa poitrine alors qu'elle courait, encore et encore, comme elle l'avait fait toute sa vie.
Mais cette fois, ce n'était pas suffisant.
Un grondement sourd déchira la nuit.
Et avant qu'elle ne puisse réagir, une force implacable s'abattit sur elle.
Le monde bascula.
Le choc la projeta violemment au sol, l'air s'échappant brutalement de ses poumons dans un gémissement étranglé. La douleur irradia dans son dos tandis qu'elle luttait pour reprendre son souffle. L'herbe froide et humide s'écrasait sous son corps, et le battement frénétique de son cœur résonnait dans ses tempes comme un tambour de guerre.
Élara tenta de se redresser, mais une pression implacable l'immobilisa. Une main ferme, chaude, ancrée sur son poignet, la maintenait au sol. L'odeur boisée, brute et sauvage de Kael l'enveloppa immédiatement, aussi écrasante que sa présence.
Elle sentit son souffle contre sa joue avant même qu'il ne parle.
- Tu pensais pouvoir me fuir ?
Sa voix était un murmure grave, vibrante d'une note rauque qui fit frissonner chaque parcelle de son être.
Élara ferma les yeux, le souffle court, une panique sourde lui enserrant la gorge. Elle pouvait sentir la force contenue dans la prise de Kael, cette puissance brute prête à se déchaîner à tout instant. Il aurait pu lui briser le poignet d'un simple geste, et pourtant, il n'exerçait qu'une pression suffisante pour lui rappeler qu'elle ne partirait pas.
- Lâche-moi, Kael.
Il ne bougea pas.
- Non.
Le mot était tombé, tranchant comme une lame.
Un grondement sourd vibra dans sa poitrine, une menace silencieuse qu'elle n'osa pas défier. Pourtant, elle se débattit malgré tout, tentant de dégager son bras, de forcer la distance entre eux. Mais il était plus fort, et il ne céderait pas.
Elle ouvrit les yeux et croisa son regard.
Là, dans cette obscurité pesante, sous l'ombre mouvante des arbres, ses iris d'or brillaient comme deux braises vivantes. Il n'y avait ni colère ni amusement dans son expression, seulement une intensité brute, une détermination absolue.
- Je t'ai dit de me lâcher.
Un sourire fugace passa sur ses lèvres, un sourire sans douceur, empreint d'une certitude implacable.
- Et moi, je t'ai dit non.
Le silence tomba entre eux, aussi dense que l'obscurité qui les entourait.
Élara sentit sa respiration devenir erratique. Elle savait que lutter était inutile. Pas contre lui. Pas contre cette force implacable qui émanait de tout son être.
Mais ce n'était pas Kael qu'elle craignait le plus.
C'était elle-même.
C'était ce lien maudit qui pulsait entre eux, cette force invisible qui la rongeait déjà de l'intérieur. Elle pouvait sentir le fil du destin s'enrouler autour d'eux, inéluctable, et avec lui, l'ombre de la malédiction qui s'étendait sur leur avenir.
Kael ne savait pas.
Il ne comprenait pas qu'en la retenant ainsi, en la forçant à rester près de lui, il jouait avec sa propre mort.
Elle sentit une déchirure au fond de son âme, un désespoir glacé l'envelopper alors qu'elle murmurait d'une voix brisée :
- Si tu restes près de moi... tu mourras.
Un silence.
Un battement de cœur.
Puis un éclat doré traversa ses prunelles, un éclat brûlant, dévorant, un feu qu'aucune tempête ne pourrait jamais éteindre.
Et avec une certitude implacable, Kael répondit :
- Alors je mourrai.
La terreur la paralysa. Ce n'était pas une promesse d'amour ou un serment imprudent. C'était une vérité brute, un fait que Kael acceptait sans la moindre hésitation. Son regard ne vacilla pas, son corps ne recula pas. Il la dominait toujours de toute sa puissance, ancré dans cette certitude inflexible qui l'effrayait plus que la malédiction elle-même.
Élara savait qu'elle devait s'éloigner. Elle devait fuir avant qu'il ne soit trop tard, avant que la malédiction ne réclame son dû. Mais il était là, une ombre massive au-dessus d'elle, son corps irradiant une chaleur brûlante qui s'infiltrait dans sa peau, dans son sang, jusque dans les tréfonds de son âme.
Son cœur se débattait dans sa poitrine, battant à un rythme frénétique contre ses côtes, cherchant une échappatoire, une issue à cette prison invisible qui se refermait sur elle. Mais il n'y avait nulle part où aller.
Kael abaissa lentement son visage, et son souffle chaud caressa sa joue.
- Regarde-moi, Élara.
Elle secoua la tête, incapable d'affronter cette lueur dorée, incapable de voir ce qu'il lisait en elle.
- Regarde-moi.
La pression sur son poignet se relâcha légèrement, mais pas assez pour qu'elle puisse s'échapper. Juste assez pour qu'elle sente le contraste entre la force et la douceur, entre la contrainte et le contrôle absolu qu'il exerçait sur elle.
Elle releva les yeux.
Un frisson la traversa.
Kael n'était pas seulement puissant. Il était absolu. Une force brute façonnée par la nature elle-même, un être né pour gouverner, pour dominer, et pourtant...
Pour la première fois, elle vit quelque chose d'autre dans son regard.
Un écho de douleur.
Une solitude qui lui répondit en miroir, une faille imperceptible dissimulée sous la carapace de l'Alpha invincible.
Elle s'y attarda une fraction de seconde de trop.
Kael en profita.
Sa main quitta son poignet pour glisser sur sa joue, son pouce effleurant sa peau avec une délicatesse qui ne lui ressemblait pas.
Élara sentit une onde brûlante la traverser.
- Je ne crains pas la mort, murmura-t-il.
Sa voix résonna en elle comme une promesse silencieuse.
- Mais moi, je la crains pour toi, répliqua-t-elle dans un souffle.
Kael ne répondit pas immédiatement. Son regard s'assombrit légèrement, une ombre passant dans ses prunelles dorées.
Puis il se redressa enfin, libérant son corps de son emprise.
L'air s'engouffra dans les poumons d'Élara comme une bouffée salvatrice, mais elle ne se releva pas tout de suite. Elle resta allongée sur le sol, la poitrine soulevée par des respirations heurtées, les muscles tendus par la tension qui refusait de s'éteindre.
Kael recula de quelques pas, mais son aura restait oppressante, pesant sur elle avec la même intensité que ses mots.
- Tu peux fuir autant que tu veux, Élara. Tu peux me repousser, me haïr si cela te permet de survivre.
Sa voix était calme, trop calme.
- Mais sache une chose.
Il marqua une pause, et la nuit sembla retenir son souffle avec elle.
- Je ne renoncerai jamais.
Puis, sans un mot de plus, il tourna les talons et disparut dans l'obscurité.
Élara resta là, immobile, le regard perdu dans l'infini de la forêt, le cœur en lambeaux.
Car elle savait.
Elle savait que, quoi qu'elle fasse, Kael ne la laisserait jamais partir.