Chapitre 2 Chapitre 2

Chapitre 2

Le papier glisse sous ses doigts, une texture familière qui masque une lame affûtée. Les mots tracés avec soin respirent la fausse bienveillance. *Ma chère Céleste...* Les souvenirs affluent, menaçants. Cette lettre, elle l'avait déjà lue. Ce piège, elle y était tombée.

Elle inspire profondément. Pas cette fois.

- Vous êtes sûre de vouloir lui répondre, mademoiselle ?

Anne a le regard inquiet. Elle aussi, dans cette autre vie, avait vu venir la tempête. Mais Céleste n'avait pas écouté.

Elle se lève, la lettre toujours en main.

- Oui. Et je vais le voir.

La domestique fronce les sourcils, mais ne discute pas.

**

Adrien a toujours su sourire. C'est ce qui le rend dangereux. Les gens voient ses yeux clairs, son air affable, et ils oublient de se méfier.

Il l'accueille avec cet éternel sourire en coin, affable et chaleureux.

- Céleste ! C'est un plaisir de te voir.

Elle incline la tête, s'assoit en face de lui. Ses doigts effleurent la porcelaine de la tasse qu'il lui tend. Dans une autre vie, elle aurait bu sans réfléchir.

Cette fois, elle se contente d'un regard appuyé. Il hésite une fraction de seconde avant de poser la théière. Elle sourit intérieurement.

- J'espère que ma lettre ne t'a pas inquiétée.

- Devrais-je l'être ?

Un éclat amusé passe dans son regard.

- Bien sûr que non. Je voulais simplement parler affaires.

*Affaires.* Un mot qui, dans sa bouche, signifie *arnaque*.

Il sort une chemise en cuir, l'ouvre d'un geste précis et fait glisser un document vers elle.

- Je voulais ton avis. Je sais que tu n'as jamais été très intéressée par la gestion, mais ton nom figure encore sur certains papiers.

Céleste baisse les yeux, feuillette le document. Une reconnaissance de dette, habilement rédigée, l'impliquant dans un prêt hypothécaire douteux.

Dans son ancienne vie, elle avait signé sans même comprendre. Quelques mois plus tard, on lui avait présenté les factures et la honte était tombée sur elle comme un couperet.

Elle lève les yeux vers Adrien.

- Tu crois que je vais signer ça ?

Il ne cille pas.

- Pourquoi pas ? Nous sommes de la même famille, Céleste.

- Exactement.

Elle pousse la chemise en cuir vers lui. Il l'observe, intrigué.

- Ce n'est pas un refus, j'espère ?

- Si.

Le mot claque dans l'air. Adrien la fixe un instant, surpris, puis son sourire revient, plus crispé.

- Je crois que tu ne comprends pas vraiment les implications...

- Oh, mais si.

Elle se lève.

- D'ailleurs, je vais demander à notre avocat de revoir certains documents. Après tout, je suis une Verlay. Il est temps que je m'intéresse aux affaires de la famille.

Un éclair passe dans ses yeux. Il ne s'y attendait pas.

Elle sourit, tourne les talons.

Adrien pensait jouer une partie dont il contrôlait les règles. Mais il ne sait pas que le jeu a changé.

**

La musique tourbillonne autour d'elle, un flot de conversations, de rires feutrés et de promesses murmurées. Les bals ont toujours été une scène où les alliances se forgent et se brisent sous des sourires polis.

Céleste avance avec assurance, les regards se posent sur elle. Dans sa mémoire, ce bal avait été le début de sa chute. Ce soir, il marquera sa renaissance.

Elle repère Livia sans mal.

Sa « meilleure amie ».

Celle qui avait ri avec elle, l'avait conseillée... avant de la trahir avec une précision chirurgicale.

Livia tourne la tête, l'aperçoit. Un instant d'hésitation traverse son regard avant qu'elle ne compose son sourire parfait.

- Céleste, enfin !

Elle s'avance, lui prend les mains avec une chaleur feinte.

- J'avais peur que tu ne viennes pas.

- Et rater ça ? Impossible.

Livia rit doucement.

- Tu es ravissante ce soir.

- Comme toujours, non ?

Une pointe d'arrogance. Juste ce qu'il faut pour être crédible.

Livia observe, intriguée.

- Tu as l'air... différente.

- Vraiment ?

Elle incline la tête, faussement innocente.

Livia la détaille. Cette fois, ce n'est pas de l'admiration, mais une évaluation. Elle cherche à comprendre ce qui a changé.

Céleste attend qu'elle baisse sa garde.

- Dis-moi, Livia, qu'as-tu entendu dernièrement ? Des nouvelles intéressantes ?

Elle joue avec son éventail, simulant l'insouciance. Livia hésite, mais elle adore être celle qui détient les secrets.

- Il paraît que Gabriel d'Aurillac est ici ce soir.

Le nom fait frissonner quelque chose en Céleste.

Gabriel. L'homme qu'elle avait ignoré autrefois.

Il n'était pas comme les autres. Pas un courtisan. Pas un traître.

Un joueur redoutable, mais intègre.

Et elle l'avait méprisé.

Elle sourit légèrement.

- Intéressant.

Livia fronce les sourcils.

- Pourquoi ce sourire ?

- Pour rien.

Elle repère Gabriel au loin.

Livia continue de parler, mais Céleste n'écoute plus.

Elle a une nouvelle cible.

**

Gabriel est adossé à une colonne, un verre en main, observant la foule comme un loup jaugeant un troupeau.

Céleste s'avance, sent son regard se poser sur elle.

- Mademoiselle Verlay.

Sa voix est posée, un peu moqueuse.

- Monsieur d'Aurillac.

Elle incline légèrement la tête.

Il arque un sourcil.

- Vous daignez m'adresser la parole ? Je suis flatté.

Le souvenir de leur dernière rencontre la frappe. Dans son autre vie, elle l'avait ignoré. Il n'était pas un courtisan flatteur, pas un allié évident. Elle l'avait jugé inutile.

Erreur fatale.

- Il faut croire que je suis plus attentive, cette fois.

Il la fixe, curieux.

- Cette fois ?

Elle sourit, évite de répondre.

Gabriel est intelligent. Trop pour se laisser berner par des faux-semblants.

Il penche légèrement la tête.

- Que me vaut cet honneur ?

- Je voulais simplement discuter.

- Discuter ?

Un éclat d'amusement passe dans son regard.

- Vous et moi n'avons jamais eu de grandes conversations, de ce que je me souviens.

- On change.

- Certains changent. D'autres jouent simplement un autre rôle.

Il la teste.

Elle ne bronche pas.

- Peut-être. Mais cela ne vous intrigue pas un peu ?

Gabriel sourit.

- Beaucoup, en réalité.

Le jeu commence.

Mais cette fois, Céleste en connaît les règles.

            
            

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