Le plafond familier de sa chambre danse sous ses yeux. Céleste sent les battements désordonnés de son propre sang dans ses tempes. Ce plafond, elle l'a connu. Mais il n'était plus là. Il avait disparu avec tout le reste. La trahison, la ruine, la prison dorée qui avait remplacé cette pièce. Pourtant, elle est bien ici, allongée dans ce lit qu'elle croyait perdu à jamais.
Elle ferme les yeux une seconde, rouvre aussitôt. Son corps est léger, trop léger. Sa peau lisse, sans cicatrice. Elle se redresse d'un bond, cherchant un miroir, un indice, n'importe quoi pour prouver que ce n'est pas un rêve. Mais son regard s'accroche d'abord à sa main. Des doigts fins, sans la moindre marque des années passées. Des ongles impeccables, loin de ceux rongés par l'angoisse et le désespoir.
Non. Ce n'est pas possible.
Sa respiration s'accélère. Son corps a changé. Il n'est plus celui d'une femme usée par la trahison et la douleur. Ce corps appartient à une jeune fille. Une héritière encore innocente.
Les souvenirs affluent, brutaux, insoutenables.
Adrien, son cousin, sourire poli, mots mielleux, promesses vides. Le venin caché sous le velours de sa voix. L'amie qu'elle croyait sincère, prête à l'enfoncer dès que l'occasion s'était présentée. L'héritage envolé, sa réputation détruite. L'isolement, la honte. L'humiliation de réaliser trop tard qu'elle n'avait été qu'un pion, un pantin façonné pour être brisé.
Et ensuite...
La peur.
Céleste secoue la tête, chasse ces images. Ce n'est plus vrai. Ça ne peut plus être vrai.
Elle se lève, titube légèrement, comme si elle apprenait à marcher avec ce corps oublié. Les murs sont intacts, la chambre baignée d'une lumière douce. Son ancien refuge.
Puis, un bruit. Une voix.
« Mademoiselle ? »
Son souffle se bloque. Cette voix...
La porte s'ouvre doucement et une femme entre, ses traits empreints de bienveillance. Anne. Sa domestique, celle qui lui avait été arrachée lorsque tout s'était effondré.
Céleste la fixe sans un mot, incapable de bouger. L'émotion lui serre la gorge. Anne est là. Vivante. Fidèle.
« Mademoiselle, vous allez bien ? Vous êtes pâle. »
L'inquiétude sincère dans son regard est presque trop à supporter. Céleste ferme les yeux une seconde, absorbe la réalité qui s'impose.
Elle est revenue.
Avant tout. Avant la chute.
Une seconde chance.
L'envie de pleurer est violente. Mais elle se retient. Plus de faiblesse. Plus jamais.
« Je vais bien, Anne, » murmure-t-elle enfin, sa voix plus assurée qu'elle ne l'aurait cru.
Anne la dévisage, visiblement surprise par son ton. La Céleste d'avant aurait bredouillé, cherché ses mots. Mais cette Céleste-là a déjà connu la douleur de la perte. Elle sait ce qu'elle doit faire.
« Le petit-déjeuner est prêt, » annonce Anne après une hésitation. « Votre mère est déjà levée. »
Sa mère.
Un frisson lui court le dos. Sa mère, encore vivante, encore distante. Toujours trop froide, trop stricte. Mais pas encore brisée par la honte de voir sa fille déshonorée.
Céleste inspire profondément.
Chaque seconde qui passe est un cadeau empoisonné. Le passé veut s'imposer, la paralyser. Mais elle refuse.
Elle ne fera pas les mêmes erreurs.
***
La table du petit-déjeuner est comme dans ses souvenirs. Intimidante, trop grande, ornée de vaisselle parfaite. Une scène figée dans le temps.
Sa mère est assise, impeccable, sa posture rigide. Elle relève à peine les yeux de son assiette lorsque Céleste entre.
« Tu es en retard. »
Les mots sont secs, dénués d'émotion.
Céleste s'assoit sans rien dire, prenant un moment pour observer cette femme qui lui a donné la vie. Dans son ancienne existence, elle avait désespérément cherché son approbation, quémandé son amour comme une enfant affamée. Aujourd'hui, elle voit les choses différemment.
Sa mère n'a jamais été cruelle. Juste distante. Prisonnière de son propre monde de devoirs et de responsabilités.
« Désolée, mère, » répond-elle finalement, sans la moindre supplication dans la voix.
La femme lève enfin les yeux, légèrement surprise.
« Tu sembles... différente, ce matin. »
Céleste retient un sourire amer. Si seulement elle savait.
« J'ai réfléchi à certaines choses. »
Sa mère ne répond pas, mais l'observe plus attentivement.
Le silence s'installe, pesant. Céleste le laisse durer. Avant, elle aurait cherché à combler ce vide. À se justifier. Plus maintenant.
Un domestique entre, déposant un courrier sur la table.
« Un message de votre cousin Adrien, » annonce-t-il.
Le sang de Céleste se glace.
Adrien.
Elle tend la main, attrape la lettre, ses doigts ne tremblant même pas. Elle sait déjà ce qu'elle va y trouver. Des mots doux, un appel à la confiance.
Un piège déguisé en promesse.
Son cœur bat plus vite.
C'est le moment.
La première épreuve.
Elle ouvre la lettre, parcourt les lignes. Il l'invite à une rencontre. Une discussion entre « famille ».
Céleste referme doucement le papier.
Son cousin ignore encore qu'elle a changé.
Elle lève les yeux vers sa mère.
« Je vais aller le voir. »
Sa mère ne cache pas sa surprise.
« Pourquoi ? Tu n'as jamais été très proche d'Adrien. »
Céleste sourit.
« Disons que je compte rectifier certaines erreurs. »
Elle replie la lettre, calme, maîtrisée.
Elle est prête.
Adrien pense la manipuler encore une fois.
Mais cette fois, c'est elle qui mène la danse.