Chapitre 4 04

Isabelle s'approcha d'Emily d'un pas mesuré, son regard aussi intense que celui de Daniel, mais bien plus doux, comme si elle cherchait à lire au-delà des apparences. Elle s'arrêta juste à côté d'Emily, sans un mot, puis croisa les bras, observant la porte du bureau de son frère. Un silence lourd s'installa entre elles, comme un écho du poids des événements passés.

Emily attendit un moment, sachant que Isabelle n'était pas du genre à se précipiter dans les conversations. Elle respectait toujours ce genre de silences, ces pauses nécessaires avant que les mots n'éclatent, mais elle savait aussi que l'attente ne ferait que durer un peu plus longtemps. Finalement, c'est Isabelle qui brisa le calme, sa voix douce mais marquée par une sorte de résignation.

"Tu sais, il n'est pas facile avec les autres." Ses yeux se baissèrent brièvement avant de se poser sur Emily. "Daniel... il a toujours été plus fragile qu'il n'y paraît. C'est juste qu'il ne le montre pas."

Emily n'eut pas de réponse immédiate. Ce que disait Isabelle n'était pas faux. Elle avait elle-même observé Daniel dans ses moments de faiblesse, lorsqu'il pensait être seul, son masque d'homme d'affaires impénétrable se fissurant un instant. Mais elle ne s'était jamais sentie assez proche de lui pour comprendre l'étendue de cette fragilité. Elle haussait les épaules intérieurement. Que pouvait-elle faire avec quelqu'un comme lui ? Elle n'était pas là pour sauver qui que ce soit, même pas lui. Mais la vérité, si désagréable soit-elle, se glissait toujours dans ses pensées. Elle était la dernière personne à avoir eu une relation sincère avec Jonathan, et cette responsabilité pesait lourd sur ses épaules.

"Je sais," répondit-elle finalement, d'un ton qui n'avait rien d'agressif, mais qui exprimait néanmoins une forme de distance. "Mais il faut aussi qu'il comprenne que les choses ne sont pas aussi simples. Que les responsabilités, et surtout celles de cette entreprise, ne se règlent pas par des mots ou des promesses."

Isabelle la regarda de biais, semblant mesurer chacune de ses paroles. Puis, comme si elle avait pris une décision, elle se pencha un peu plus près d'Emily, baissant le ton.

"Je ne te demande pas de réparer quoi que ce soit. Mais... Elle marqua une pause, cherchant ses mots avec soin. "... il y a beaucoup de choses que Daniel ignore. Des choses que tu pourrais peut-être comprendre mieux que lui."

Emily fronça légèrement les sourcils. Elle n'aimait pas les insinuations, encore moins quand elles provenaient d'une personne avec qui elle avait toujours eu une relation de politesse distante. Mais cette fois, Isabelle semblait différente. Elle avait quelque chose à dire, quelque chose de crucial.

"Tu veux dire... que je devrais découvrir des secrets ?" Emily s'efforça de maintenir son calme, bien que l'idée même d'un secret n'était jamais loin de la surface de ses pensées. Les secrets, dans cette entreprise, étaient aussi fréquents que les chiffres sur un bilan financier. Mais ce qu'Isabelle insinuait semblait avoir plus de poids.

Isabelle hésita, puis hocha la tête, son expression devenant plus sombre.

"Jonathan... mon père... Elle marqua une nouvelle pause, comme si les mots lui échappaient. "Il y avait des choses qu'il n'a jamais partagées avec Daniel. Des décisions qu'il a prises seul. Et peut-être que tout ça... peut avoir un lien avec ce qui se passe aujourd'hui."

Un frisson parcourut le dos d'Emily à ces mots. Elle se tourna légèrement vers Isabelle, son regard s'intensifiant.

"Qu'est-ce que tu veux dire ?"

Isabelle déglutit, son visage marqué par une certaine appréhension, mais aussi une forme de détermination. Elle posa une main légère sur l'épaule d'Emily, un geste discret mais significatif.

"Je ne sais pas encore. Mais je te conseille de fouiller davantage, Emily. Tu n'es pas simplement une spectatrice ici. Si tu veux comprendre ce qui se passe, tu dois regarder là où personne ne veut regarder."

Emily ne répondit pas tout de suite. Elle avait du mal à digérer cette nouvelle perspective. Mais dans son esprit, quelque chose venait de s'enclencher. Elle se sentait poussée dans une direction qu'elle n'avait pas choisie. D'un côté, elle se doutait que ce que disait Isabelle était plus qu'une simple suggestion. C'était un avertissement. Mais de l'autre, la possibilité que ce secret puisse concerner Jonathan... et ce qu'il représentait pour elle, pour l'entreprise... Cela la rongeait.

"Je vais regarder," dit-elle enfin, son ton plus ferme, son regard plus déterminé que jamais. "Mais je te préviens, Isabelle, je n'ai pas l'intention de m'impliquer davantage dans cette histoire. Ni pour toi, ni pour Daniel."

Isabelle sembla légèrement soulagée par la réponse d'Emily. Elle hocha la tête.

"Tu as raison," dit-elle d'une voix calme. "Mais sache que tout ce qui se cache ici pourrait tout changer."

Emily resta silencieuse un instant, avant de tourner les talons. Elle n'avait pas besoin de plus d'informations, pas pour l'instant. Ce qu'Isabelle venait de dire avait suffi à lui faire comprendre qu'elle se trouvait au cœur d'un tourbillon dont elle ne mesurait pas encore toute l'ampleur.

Elle s'éloigna, mais son esprit était déjà en proie aux questions sans réponse. Qui pouvait encore savoir tout ce qui s'était réellement passé dans l'ombre de l'empire Harper ?

Emily traversa le hall de l'immeuble, ses pas résonnant sur le marbre froid du sol. Chaque son semblait amplifier la lourdeur de ses pensées, comme si l'immensité de l'édifice reflétait l'enchevêtrement des mystères auxquels elle devait faire face. Alors qu'elle s'approchait des ascenseurs, elle sentit son cœur s'accélérer légèrement, une nervosité qu'elle n'arrivait pas à chasser. Elle savait que chaque décision qu'elle prenait désormais l'entraînait plus profondément dans un réseau complexe de mensonges, de secrets et de manipulations. Mais elle n'avait pas d'autre choix que d'avancer.

Elle attendit l'ascenseur en scrutant la hauteur des murs, absorbée dans ses réflexions. Le silence était presque oppressant, mais à mesure que l'ascenseur arriva, elle sentit un léger soulagement. Elle entra et appuya sur le bouton pour les bureaux de direction, les derniers étages où l'air semblait plus lourd encore. Au fur et à mesure de la montée, elle se surprit à se poser la question : pourquoi l'énigme des Harper la fascinait-elle autant ? Après tout, Jonathan était mort, et avec lui, ses attaches à cette entreprise et à ces personnes.

Le regard d'Isabelle, ce soir-là, n'avait pas laissé de place au doute. Elle était de l'autre côté, celle qui observait depuis toujours les failles de cette famille. Un instant, Emily avait cru entrevoir un soupçon de complicité, une forme de reconnaissance muette dans les yeux d'Isabelle. Mais cette pensée se dissipait aussitôt qu'elle tentait d'y accorder trop d'attention. Isabelle n'était pas là pour lui donner des réponses. Elle savait que la vérité se trouvait dans les zones grises, là où les autres refusaient de regarder.

L'ascenseur s'arrêta dans un chuintement, et Emily sortit, les mains un peu moites, le cœur lourd. Le bureau de Jonathan était toujours là, parfaitement rangé, comme si le temps s'était suspendu depuis sa disparition. La lumière tamisée, la décoration sobre mais élégante, les papiers laissés à moitié traités – tout semblait figé, dans une sorte de respect envers l'homme qui n'était plus là. Mais au fond, cette atmosphère la dérangeait plus qu'elle ne l'apaisait. Elle n'avait pas envie de se retrouver seule avec des souvenirs, elle ne voulait pas se laisser submerger par cette sensation de perte. Pourtant, c'était exactement ce qu'elle ressentait, plus que jamais.

Elle s'approcha du bureau, les yeux se posant sur l'ordinateur de Jonathan. C'était là que se trouvaient probablement les dernières informations qui pourraient l'éclairer. Elle hésita un instant, se demandant si elle ne commettait pas une erreur. Mais la curiosité l'emporta, elle en avait trop vu, trop entendu. Elle ouvrit l'ordinateur, entra le mot de passe qu'elle connaissait depuis des années, et attendit que l'écran s'allume. Les dossiers apparaissant sur l'écran semblaient anodins au départ, des rapports financiers, des échanges avec des partenaires commerciaux. Mais il y avait, dans ce flot de données, des incohérences. Quelques fichiers mal rangés, des documents aux titres vaguement suspects.

Emily parcourut les dossiers, prenant soin de ne pas laisser de trace, de ne pas être vue. Elle savait qu'elle jouait avec le feu, mais il n'y avait plus de retour en arrière. Un fichier particulier attira son attention. Il était intitulé "Partenariat Global – Confidentiel". Un frisson la traversa. Pourquoi un document aussi important avait-il été étiqueté de cette manière, dans l'ordinateur personnel de Jonathan ? Pourquoi lui, alors qu'il semblait avoir des agents et des assistants pour gérer ce genre de chose ? Elle ouvrit le fichier.

Les informations étaient complexes, des noms de sociétés inconnues, des chiffres qui ne correspondaient pas, des accords entre des entreprises étrangères et Harper Enterprises qui semblaient sortir de nulle part. Une partie de ce qui était écrit sur l'écran semblait lié à des investissements à l'étranger, des transactions occultes qui auraient pu mettre l'entreprise en difficulté si elles venaient à être découvertes. Mais c'était un détail, tout à la fin, qui fit trembler la main d'Emily. Une signature, une petite note en bas du document. Jonathan n'était pas seul dans cette affaire. Il avait agi en secret avec un partenaire dont le nom n'apparaissait pas dans les registres officiels de l'entreprise.

Emily ferma brusquement le fichier, comme si elle avait été surprise. Elle avait l'impression d'avoir pénétré un monde qu'elle n'était pas prête à comprendre, un monde où ses actions auraient des conséquences bien plus graves qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Elle se leva, se dirigea vers la fenêtre, les mains légèrement tremblantes. Le vent soufflait dehors, apportant avec lui une brume légère qui obscurcissait la vue.

Elle savait désormais qu'elle ne pourrait pas se contenter de rester spectatrice. Il y avait trop de choses en jeu. Trop de secrets. Et à présent, les Harper étaient liés à son propre destin, tout autant que l'entreprise. La question n'était plus de savoir si elle voulait s'impliquer. La véritable question était : combien de temps pourrait-elle supporter de vivre dans cette ombre, sans en connaître le véritable prix ?

Les réponses ne se trouvaient pas dans les dossiers ou les rapports. Elles étaient là, dans l'histoire de Jonathan et dans les sombres alliances qu'il avait tissées tout au long de sa vie. Un frisson la parcourut, mais elle savait qu'elle ne pourrait plus revenir en arrière. Ce jeu de pouvoir, de secrets et de manipulations était devenu le sien.