Emily savait qu'elle n'était plus qu'une silhouette parmi tant d'autres. Pourtant, dans sa tête, les pensées tourbillonnaient, aussi chaotiques que les souvenirs de ces dernières semaines. La souffrance de la perte de Jonathan se mêlait à la peur de ce qui allait suivre. Il y avait cette crainte latente qu'elle ait été trop impliquée dans les coulisses de l'entreprise, trop proche de lui pour rester indifférente au changement imminent. Tout allait basculer maintenant. Tout allait être réécrit, et elle ne savait pas si elle aurait encore sa place dans ce monde que Jonathan avait créé, un monde qu'elle avait appris à connaître dans ses moindres recoins.
Les mots de Jonathan résonnaient encore dans son esprit, des éclats de conversations partagées dans les moments de fragilité où l'homme au pouvoir laissait entrevoir un autre visage. Il lui avait parlé des dangers de son héritage, des responsabilités et des sacrifices que son fils ne comprenait peut-être pas encore. Emily se souvenait de cette phrase qu'il lui avait dite lors d'un dîner tardif dans son bureau, alors qu'ils discutaient des décisions à prendre pour l'avenir de l'entreprise : "Tout empire a ses fissures, Emily, et un jour, elles finiront par apparaître." À l'époque, elle avait cru qu'il parlait uniquement des finances, des comptes qui étaient un peu trop serrés pour être totalement propres. Mais aujourd'hui, avec la perspective de son départ, ces mots prenaient un tout autre sens. Jonathan n'avait jamais été naïf, et pourtant, Emily se demandait s'il avait vraiment mesuré l'ampleur de la guerre qu'il avait laissée derrière lui.
Elle sortit de l'église, le froid la frappant à la sortie comme un rappel brutal du monde extérieur. La lumière pâle de l'après-midi glissait entre les nuages, créant des ombres longues et traînantes sur les pavés. L'air lui paraissait plus dense, comme une enveloppe qui la serrait de plus en plus fort à chaque pas. Elle n'avait pas prévu de rester aussi longtemps, mais le besoin de fuir l'atmosphère étouffante de la cérémonie la poussa à s'éloigner davantage. Elle marchait sans but précis, le regard perdu dans la foule qui se dispersait lentement autour d'elle.
Les heures qui suivirent furent une succession de gestes mécaniques. Le retour à son appartement avait été un moment de flottement, comme si elle s'éveillait lentement d'un rêve étrange. Elle s'était enfermée dans sa chambre, la porte fermée derrière elle comme une barrière contre le monde extérieur. Elle n'avait pas faim, n'avait pas soif. Ses pensées tournaient autour de la même question : Que faire maintenant ?
Le téléphone vibra sur la table de chevet, brisant le silence de sa réflexion. Emily le saisit, son cœur manquant un battement à la vue du nom qui s'affichait à l'écran. Daniel Harper.
Elle hésita un instant avant de répondre, une légère appréhension naissant dans sa poitrine. Ce n'était pas un appel qu'elle attendait.
– "Emily ?" La voix de Daniel résonna dans le téléphone, basse et calme, presque distante. "Je sais que ce n'est pas le moment, mais je dois te parler. Il faut que tu viennes au bureau dès demain matin."
Elle sentit une tension se resserrer autour de son cou, une sensation qu'elle n'arrivait pas à chasser. Cette voix, ce ton, il n'y avait rien de chaleureux là-dedans. Juste l'ordonnance d'un ordre, froid et autoritaire, comme il en avait toujours été.
– "Je... Je comprends. Je serai là." Elle prit une grande inspiration pour masquer la nervosité qui montait en elle. Elle savait que cette conversation n'était que le début. Le début de quelque chose qu'elle n'aurait pas pu anticiper.
Elle raccrocha sans un mot supplémentaire, laissant le téléphone glisser lentement de sa main. Le silence retomba sur elle, plus oppressant que jamais. Le lendemain allait tout changer, elle le sentait. Daniel allait sans doute lui imposer ses conditions, définir des règles qu'elle ne pourrait pas contourner. Mais ce qui la perturbait le plus, c'était ce qu'elle ignorait. Que cachait-il réellement ? Pourquoi avait-il voulu qu'elle vienne la première au bureau ?
Les souvenirs de Jonathan l'assaillirent à nouveau. "Tu es plus qu'une simple assistante, Emily, tu es ma complice dans ce monde que je tente de bâtir." Ces mots résonnaient dans son esprit, et elle se demanda si Daniel comprenait cela, si lui aussi, au fond, voyait en elle autre chose qu'une simple employée.
Elle se leva, marchant lentement vers la fenêtre, les bras croisés sur sa poitrine. Elle regarda le ciel gris au-dessus de la ville, comme si cela pouvait lui offrir une réponse. Mais il n'y en avait pas. Juste des ombres, des éclats de lumière vacillants, et la sensation d'être piégée dans un jeu dont elle ne comprenait pas encore toutes les règles.