Chapitre 5 05

La nuit semblait plus sombre maintenant, comme si le monde s'était refermé autour de lui. Léo avançait sans but, chaque pas lourd sous le poids de ses pensées, chaque souffle plus difficile à prendre. Il avait cru qu'il était maître de la situation, qu'il pouvait contrôler chaque aspect de sa vie, chaque relation. Mais Ella venait de lui montrer la vérité : il n'était pas aussi invincible qu'il le pensait. Et, en réalité, il n'avait jamais été maître de rien. Il s'était toujours caché derrière des façades, derrière des illusions de pouvoir et de contrôle. Mais elle...

Elle n'avait jamais joué ce jeu. Elle était différente, authentique dans sa rébellion, dans son indépendance. Elle refusait d'être prise dans ses chaînes.

Ses pensées étaient un chaos qu'il ne parvenait plus à dominer. Il s'arrêta brusquement en pleine rue, les yeux fermés, comme pour se recentrer. Il ressentait une étrange chaleur monter en lui, une rage qu'il n'avait jamais connue. Ella avait refusé de se soumettre, et ça le perturbait. Pourquoi cela le perturbait-il tant ? Parce qu'il avait perdu le contrôle, ou parce qu'il ne pouvait pas accepter qu'une femme, une personne qu'il pensait pouvoir dominer, ait refusé ses règles ? Il n'avait pas de réponse, seulement un sentiment d'échec.

Il marcha encore, et le vent frais de la nuit sembla lui donner un peu de clarté. Il devait comprendre. Il ne pouvait pas simplement se rendre à l'évidence et accepter la défaite. Il n'avait jamais abandonné quelque chose dans sa vie. Et il ne commencerait pas maintenant.

Au détour d'une rue, il aperçut une silhouette. Une silhouette familière. La même silhouette qu'il avait vue sur le point de départ de cette folle aventure, au fond du café. Ella. Elle marchait, seule, comme si elle n'avait jamais été affectée par leur conversation, comme si le monde pouvait continuer à tourner sans qu'elle s'en soucie.

Elle ne l'avait pas suivi, ne l'avait pas appelé. Elle était partie, et il était resté là, comme un homme battu. Mais il ne pouvait pas la laisser s'échapper si facilement. Pas après tout ce qu'il avait investi dans cette situation. Pas après tout ce qu'il avait ressenti.

Il s'approcha d'elle en silence, presque en dépit de lui-même, son cœur battant la chamade. Ella tourna la tête au dernier moment, le regardant droit dans les yeux. Ce regard. Ce regard qu'il n'arrivait plus à déchiffrer.

- Léo... murmura-t-elle, comme une constatation, mais sans surprise.

Il s'arrêta à une distance raisonnable, et pendant quelques secondes, le silence régna entre eux, pesant et lourd.

- Tu te fous de moi ? lança-t-il, les poings serrés. Tu disparais sans un mot, tu me laisses dans le vide... et toi, tu vas continuer ta vie comme si de rien n'était ?

Ella haussait les épaules, l'air indifférente, mais son regard trahissait un léger tourment qu'elle n'avait pas complètement effacé.

- Je ne te fuis pas, Léo. Je me protège. C'est tout. Tu ne peux pas comprendre ça, pas maintenant. Pas dans ce jeu dans lequel tu veux me forcer à entrer.

Elle marqua une pause avant d'ajouter :

- Tu veux une réponse, Léo ? La vérité ? Je n'ai jamais voulu être celle que tu imaginais. Je n'ai jamais voulu être celle que tu voulais que je sois. Tu as essayé de me transformer, de m'enfermer dans une cage dorée, mais je refuse d'être ce que tu attends de moi. Je ne serai jamais ton jouet, et je ne te serai jamais soumise.

Ses mots frappèrent Léo comme une claque. Il ne savait pas comment réagir, comme si la réalité qu'elle venait de lui présenter était trop cruelle pour qu'il puisse la digérer en une seule fois. Son ego, qu'il avait toujours soigné avec tant de soin, était en train de se fissurer, de se briser sous le poids de ses propres insécurités. Elle avait raison. Il n'avait jamais accepté qu'elle puisse être autre chose qu'un instrument dans son jeu. Il l'avait vue comme une conquête, comme une pièce à ajouter à son tableau, mais pas comme une personne à part entière.

Ella, elle, avait tout vu. Elle avait tout compris depuis le début. Et il avait l'impression de s'être fait duper. Mais le plus dur, c'était qu'il savait au fond de lui que ce qu'elle disait était vrai. Il n'avait pas su la comprendre. Il n'avait pas su la respecter.

Il se tourna légèrement sur lui-même, perdu, comme si sa propre existence venait de perdre son sens. Il n'avait pas de réponse à ses accusations, pas d'excuse qui vaille. Il ne pouvait plus jouer à ce jeu-là.

- Tu m'as fait perdre tout contrôle, Ella, avoua-t-il, sa voix brisée par l'émotion qu'il n'avait pas prévu. Mais il n'y a rien que je puisse faire pour te faire changer d'avis, n'est-ce pas ?

Ella le fixa longuement, ses yeux sombres scrutant les siens, comme si elle cherchait à lire dans son âme, à déceler la moindre trace de sincérité.

- Non, répondit-elle doucement. Il n'y a rien que tu puisses faire. Parce que ce jeu... il est terminé.

Elle tourna les talons et s'éloigna dans la nuit, laissant Léo seul avec ses démons et un cœur lourd de regrets. Elle avait raison. Le jeu était terminé. Et il n'avait plus rien à perdre, sauf sa propre dignité. Mais peut-être que, d'une certaine manière, c'était ça, la vérité.

Elle était partie.

Léo resta là, figé, observant la silhouette d'Ella se dissiper dans la pénombre. Un froid glacé s'empara de lui, un froid qui ne venait pas seulement de la brise nocturne, mais de l'intérieur. Il se sentait vidé, comme si toute l'énergie qu'il avait accumulée au fil des années venait d'être éjectée d'un coup, ne laissant que des cendres.

Il se tenait là, seul avec ses pensées. Chaque mot d'Ella résonnait dans sa tête, et malgré tout ce qu'il voulait encore dire, il savait que tout cela était vain. Elle avait raison. Elle avait toujours eu raison, mais il avait choisi de ne pas le voir. Pendant tout ce temps, il s'était accroché à une version de la réalité où il était maître, où il était l'acteur principal, où il contrôlait tout. Mais Ella, elle l'avait vu pour ce qu'il était vraiment : un homme en quête de pouvoir, mais terrifié à l'idée de perdre son emprise.

Il se laissa tomber contre un mur, ses mains dans les poches, et ferma les yeux. Son esprit, d'ordinaire rapide, vif, semblait être dans un état de torpeur. Le monde autour de lui paraissait flou, comme un rêve dont il ne parvenait plus à s'échapper. Il aurait aimé tout effacer, tout oublier, revenir en arrière et prendre un autre chemin, un chemin où les choses auraient pu être différentes, où il aurait vu Ella avant qu'elle ne devienne un simple jeu. Mais il savait qu'il n'y avait pas de retour possible. Les mots d'Ella avaient mis fin à tout ça.

La réalité commençait à l'étouffer. Chaque souffle qu'il prenait était lourd, comme s'il respirait sous l'eau. Il s'était toujours cru invincible, capable de tout manipuler, de tout contrôler, mais là, il était impuissant. Et pour la première fois de sa vie, Léo se rendait compte qu'il avait perdu. Non seulement Ella, mais aussi son propre sens du contrôle. Elle n'était pas une pièce de son jeu. Elle était une personne. Et il l'avait réduite à une simple fonction dans son monde.

Il leva les yeux vers le ciel, cherchant une réponse parmi les étoiles. Il se sentait vide, comme si tout avait perdu son sens. La luxure, l'argent, le pouvoir... tout cela n'avait plus d'importance. Il avait tout ce qu'il voulait, mais ce qu'il ne comprenait pas, c'était que ce n'était pas ce qui le rendait heureux. Il l'avait cherché là où il ne pouvait jamais la trouver : dans le pouvoir, dans la domination, dans le contrôle.

Il savait qu'il devait la retrouver. Pas pour la conquérir, mais pour lui montrer qu'il avait changé, pour lui prouver qu'il pouvait être plus que ce qu'il avait été. Mais comment ? Comment revenir sur ses erreurs sans paraître encore plus faible aux yeux d'une femme qui avait déjà vu toute sa vulnérabilité ?

Léo se releva, déterminé, mais la route qui s'étendait devant lui semblait plus complexe que jamais. Il n'avait plus les réponses. Il n'avait plus de certitudes. Mais une chose était sûre : il ne pouvait pas la laisser partir ainsi, sans au moins tenter de la comprendre, de l'honorer pour ce qu'elle était, pour ce qu'elle avait éveillé en lui.

Il se détourna enfin, marchant lentement dans la rue déserte, son esprit bouillonnant de questions. Il savait que cette confrontation, ce moment où tout avait changé, n'était que le début d'un long chemin de rédemption. Il ne pouvait plus être l'homme qu'il avait été. Il devait changer. Mais le changement, comme il l'avait découvert, n'était pas aussi facile que de redresser une situation par un simple sourire ou une promesse. Il n'avait pas de garantie que ses efforts seraient suffisants. Mais il ne pouvait pas simplement l'accepter.

Dans son cœur, une flamme nouvelle s'était allumée. Il n'était plus le même homme qu'auparavant. Mais ce qu'il en ferait... ce serait à lui de le découvrir.