Chapitre 10 Chapitre 10

Début des sentiments, un moment où les murs invisibles de la distance se fissurent, et où ce qui n'était qu'un contrat devient peu à peu une réalité plus complexe qu'on ne l'aurait imaginé.

Clara s'était habituée à la grande maison d'Alexandre. Ce qui avait commencé par un sentiment de malaise, de décalage, était devenu un peu plus confortable avec le temps. Elle ne s'était toujours pas habituée à cette vie pleine de luxe et d'attentions, mais elle savait désormais comment naviguer dans cet univers. Le personnel de maison la saluait avec respect, et elle commençait à se faire à l'idée que, même si elle n'était là que pour une façade, elle n'était pas un simple meuble dans cette grande demeure.

Mais ce qui la déstabilisait de plus en plus, c'était Alexandre. Le milliardaire distant, celui qui semblait dénué de toute émotion, était en train de changer, doucement, imperceptiblement. Il devenait plus présent, plus attentif. Ses gestes étaient plus marqués par une sorte de protection qui, au début, l'avait laissée perplexe.

Il la suivait du regard lors de leurs repas, s'assurant que tout allait bien pour elle, qu'elle était à l'aise, qu'elle n'avait pas de soucis. Il venait parfois la voir dans son bureau, s'arrêtait dans l'encadrement de la porte, un sourire en coin.

« Ça va ? » demandait-il souvent, comme s'il s'attendait à ce qu'elle ait des réponses plus profondes que ce qu'elle lui donnait en général.

Elle ne savait pas quoi lui répondre. Elle avait l'impression de jouer un rôle dans sa propre vie, mais cette protection, bien que bienveillante, commençait à la troubler. Elle n'était plus aussi sûre de ce qu'il attendait d'elle. Leur relation était toujours, officiellement, une simple union de façade, un contrat qui n'avait pas encore évolué au-delà de ce qui était convenu.

Un soir, alors qu'ils dînaient ensemble dans le grand salon, un repas privé entre eux deux, la conversation prit un tour inattendu. Alexandre semblait plus détendu que d'habitude. Il posait ses couverts lentement, son regard plongeant dans le sien avec une intensité qu'elle n'avait pas remarquée jusqu'alors.

« Clara, » commença-t-il, sa voix soudainement plus douce, « tu sais, j'ai l'impression que tu te bats encore contre ça. Contre tout ce qui se passe ici. » Il semblait sincèrement préoccupé. « Tu sais que tu n'es pas obligée de jouer un rôle. »

Elle eut un rire nerveux, fuyant son regard. « C'est difficile de ne pas jouer un rôle quand on m'a dit que c'était ce que je devais faire, » répondit-elle, essayant de détendre l'atmosphère. Mais en voyant la lueur dans ses yeux, quelque chose dans son ventre se serra.

« Je ne veux pas que tu te sentes comme ça, » dit-il, sa main se posant doucement sur la sienne. « Je ne t'ai jamais forcée à faire quoi que ce soit. »

Cette simple caresse, ce contact qui n'était pourtant rien de plus qu'un geste amical, fit naître une chaleur inexplicable dans sa poitrine. Elle détourna les yeux, gênée, ses doigts se repliant instinctivement. Mais, curieusement, elle n'eut pas envie de retirer sa main. Il la regardait maintenant avec une attention qui était loin de ce qu'elle avait imaginé au début de leur contrat. Un frisson la parcourut, qu'elle s'efforça de cacher, mais qui la fit se sentir plus vulnérable que jamais.

Les jours suivants, ce comportement protecteur et attentif d'Alexandre se poursuivit. Lors d'une réunion importante pour son entreprise, il était venu avec elle, attendant patiemment en arrière-plan. Ce n'était pas habituel. Elle n'avait pas besoin de sa présence pour prendre des décisions professionnelles, mais elle appréciait son soutien tacite, même si cela la perturbait un peu.

Le soir, après cette journée épuisante, ils s'étaient retrouvés dans le jardin. Un calme étrange régnait. La lune baignait de sa lumière argentée les allées de fleurs et les arbres parfaitement taillés. Clara s'assit sur un banc, respirant profondément l'air frais. Alexandre, lui, resta debout quelques instants, la regardant, puis se posa lentement à côté d'elle.

« Clara, » dit-il, d'un ton qu'elle ne lui connaissait pas. « Tu es plus forte que ce que tu penses. »

Elle tourna la tête vers lui, une moue perplexe sur le visage. « Je ne comprends pas ce que tu veux dire. »

Il la regarda dans les yeux, sans détourner le regard. « Tu crois que tu n'as pas d'importance dans cette histoire. Mais, crois-moi, tu en as plus que tu ne l'imagines. »

Elle sentit ses joues s'empourprer sans raison. C'était un compliment ou quelque chose de plus ? Elle n'en savait rien. Leurs regards se croisèrent et, pendant un instant, tout sembla suspendu dans le temps. Elle n'avait jamais vu Alexandre aussi vulnérable, aussi humain.

Un silence s'installa. Puis, comme si le monde s'était arrêté autour d'eux, il se pencha soudainement vers elle. Ses lèvres effleurèrent les siennes, un baiser furtif, presque timide. Clara resta figée, incapable de réagir immédiatement. L'effleurement dura un instant, un instant suspendu dans l'espace et dans le temps, avant qu'il ne se retire aussi soudainement qu'il était venu.

Elle sentit son cœur s'emballer. Son souffle se coucha lourdement dans sa gorge. Le monde autour d'elle sembla se distordre un instant. Pourquoi cela la perturbait-elle autant ? Un simple baiser. Mais il n'était pas si simple. Ce n'était pas ce qu'elle attendait, ce qu'elle imaginait. Elle ne savait plus vraiment ce qu'elle ressentait.

Alexandre se redressa, son regard fuyant, comme s'il avait commis une erreur. Il se leva brusquement du banc, se repliant sur lui-même, comme s'il voulait s'éloigner d'elle, de ce qui venait de se passer.

« Je... je suis désolé, » murmura-t-il, presque inaudible. « Je ne voulais pas... »

Clara resta là, figée, incapable de formuler une réponse. La chaleur qui envahissait ses lèvres, qui semblait encore imprégnée de ce contact, la paralysait. Elle n'avait jamais eu ce genre de réaction, surtout pas avec lui. Ils n'étaient censés être que mari et femme de convenance. Ils n'étaient pas censés ressentir des choses aussi humaines, aussi confuses.

« Non, » finit-elle par dire, sa voix plus douce qu'elle ne l'aurait souhaité. « Ce n'est pas grave. Je... » Elle s'interrompit, cherchant ses mots. « Je ne sais pas ce que c'était, mais ce n'est pas grave."

Alexandre hocha la tête, mais il ne répondit pas. Il tourna lentement les talons, s'éloignant d'elle, laissant Clara seule avec ses pensées. Le baiser était comme une brume qui s'évanouissait, mais qui laissait derrière elle une empreinte indélébile. Une empreinte de doute, de confusion, de désir non formulé.

Elle resta là, les mains serrées sur ses genoux, le regard perdu dans l'obscurité du jardin, se demandant, une fois encore, ce qu'elle ressentait vraiment pour lui.

            
            

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