Chapitre 5 Chapitre 5

L'odeur de bois fumé et de cuir tanné emplissait l'air tandis que Sélène franchissait les limites du village. Le chemin étroit serpentait entre des maisons de pierre grossièrement assemblées, dont les toits étaient couverts de chaume usé par les intempéries. Des yeux curieux se tournèrent vers elle, se détournant aussitôt avec un mélange de crainte et de respect réticent. La tension dans l'air était palpable, presque lourde, comme un orage suspendu juste au-dessus des têtes.

Des murmures discrets mais insistants fusaient parmi les villageois.

- Elle n'est pas d'ici... Tu crois qu'elle cherche Tarek ?

- Il ne sera pas content qu'on l'ait laissée passer.

Le nom surgit, glissant dans l'air comme une lame délicate mais acérée. Tarek. Chaque fois qu'il était prononcé, la peur teintée d'admiration enrobait les paroles. L'aurait-elle reconnu sans même avoir besoin de le voir ? Ce n'était pas un homme que l'on évoquait légèrement. Les histoires qu'elle avait entendues depuis qu'elle avait quitté la Lune Obscure le décrivaient comme un loup solitaire, redoutable et insaisissable, gardien farouche des frontières sauvages.

Elle sentit son coeur s'accélérer. Ses bottes écrasèrent le gravier avec une régularité rassurante tandis qu'elle continuait d'avancer sans un mot, les mains crispées sur la sangle de son sac. Pourtant, son esprit s'enflammait de questions. Qui était-il vraiment, cet homme dont tout le monde parlait avec tant d'égards ? Et pourquoi son nom provoquait-il une telle appréhension ?

À l'angle d'une maisonnette aux murs couverts de lierre, une silhouette robuste surgit brusquement devant elle. L'homme était large d'épaules, le visage mangé par une barbe noire, ses yeux plissés d'un mélange d'intrigue et de méfiance.

- Que fais-tu ici, étrangère ? demanda-t-il d'une voix rocailleuse.

Sélène soutint son regard sans ciller, le menton légèrement relevé.

- Je suis de passage. Je ne cherche pas d'ennuis, seulement des informations.

L'homme la jaugea du regard, notant les griffures sur ses avant-bras et la dague accrochée à sa ceinture.

- Le chemin ici n'est pas pour les faibles. Tu es chanceuse d'être encore debout.

- La chance n'y est pour rien, répliqua-t-elle, un sourire fugace sur les lèvres. « Je sais me défendre. »

Le silence s'étirait. Puis, finalement, il hocha la tête et s'éloigna sans un mot de plus, ses pas lourds faisant crisser le sol sous lui. Il n'était pas utile d'en dire davantage pour l'instant.

Dans une petite auberge au bout de la rue, l'ambiance était plus animée. Des voix rauques s'élevaient autour de tables bancales, des chopes d'hydromel s'entrechoquaient dans un tintement régulier. Mais même ici, dans la chaleur étouffante des discussions et des rires, le nom de Tarek semblait être une ombre omniprésente.

- Il a repoussé les bandits de la Passe Noire la semaine dernière, tout seul, entendit-elle dans un coin de la salle.

- Tout seul ? Ce n'est pas possible.

- Possible ou non, ils sont morts. Et il est toujours vivant, lui.

Un frisson glissa le long de l'échine de Sélène. Chaque rumeur nourrissait sa curiosité. Mais elle n'avait pas le luxe de la prudence. Pas maintenant. Elle se dirigea vers le comptoir, où un homme ventripotent épongeait des traces de bière renversée.

- Vous cherchez quelqu'un ? demanda-t-il sans la regarder.

- Peut-être. J'ai entendu parler d'un certain Tarek.

L'homme se figea un instant, ses petits yeux noirs se levant lentement vers elle.

- Pourquoi veux-tu le trouver ?

- J'ai besoin de son aide.

Il ricana, secouant la tête.

- L'aide de Tarek n'est jamais gratuite, ma fille. Si tu tiens à la vie, tourne-toi et reprends ton chemin.

Elle posa une pièce d'argent sur le comptoir, la fit glisser du bout des doigts. Le tintement du métal sembla capter toute l'attention de l'aubergiste.

- Où puis-je le trouver ?

Un soupir las franchit ses lèvres.

- Tu es bien plus têtu que je ne l'imaginais. Traverse la forêt jusqu'au vieux poste de garde. S'il veut te voir, il te trouvera.

La clairière s'ouvrit devant elle comme une promesse silencieuse de rencontres imminentes. La nuit avait posé son voile sombre, et les bruissements de la nature étaient les seuls compagnons de Sélène tandis qu'elle approchait d'un bâtiment de pierre, solitaire et imposant.

Là, dans l'ombre d'une arche éboulée, se tenait un homme. Sa stature était massive sans être lourde, chaque ligne de son corps respirant une puissance contenue. Ses cheveux noirs tombaient en mèches désordonnées sur un visage taillé comme la roche, où des yeux d'un ambre ardent semblaient voir droit à travers elle.

- Tarek, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui.

Il inclina légèrement la tête, une étincelle de curiosité brillée dans ses yeux. Mais il ne parla pas.

- On dirait que vous aimez impressionner les gens en restant silencieux, lâcha-t-elle, ses nerfs à vif. « Mais moi, je suis fatiguée des jeux de mystère. Parlez, ou je partirai. »

Un sourire en coin étira ses lèvres.

- Si tu partais, pourquoi être venue jusque ici ? demanda-t-il calmement.

Le ton était paisible, mais chaque mot vibrait d'une autorité naturelle. Elle sentit sa fierté s'enflammer.

- Parce que j'ai besoin de quelqu'un capable de protéger ce qui compte.

Il s'approcha d'un pas, la toisant de toute sa hauteur.

- Tu crois que je suis ce genre d'homme ?

- Je crois que les légendes ne naissent pas sans raison.

Son sourire disparut. Il ne répondit pas. Mais le silence qui s'étira entre eux n'était pas un vide. C'était un prélude. Un danger. Une promesse.

Avant qu'elle ne puisse réfléchir davantage, un hurlement lointain déchira la nuit, glaçant le sang dans ses veines.

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L'air crépitait de tension, saturé de l'odeur âcre de la poudre et du métal chaud. Les cris rauques des chasseurs humains résonnaient entre les arbres, se mêlant aux grognements gutturaux des loups en pleine lutte pour leur survie. Sélène sentit son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine alors qu'elle bondissait pour éviter un filet barbelé lancé dans sa direction.

Elle roula au sol, ses paumes raclant la terre humide, avant de se redresser avec l'agilité féroce d'un prédateur traqué. « Encore un pas et je te déchire la gorge, » cracha-t-elle d'une voix chargée de menace, ses crocs luisant sous la lumière diffuse de la lune.

Face à elle, un homme masqué, armé d'une arbalète à flèches argentées, hésita. Son regard perçant scruta les alentours, cherchant des renforts. Avant qu'il ne puisse réagir, une ombre massive surgit de nulle part, frappant avec une force brute.

Tarek.

                         

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