Les meutes venaient de toutes les contrées. Certaines portaient les couleurs de leurs armoiries sur des capes épaisses ; d'autres arboraient des marques distinctives sur leur peau, des symboles anciens gravés dans la chair. Les Crocs d'Orage, eux, étaient reconnaissables sans artifices. Leur présence imposait naturellement le respect. Leur réputation n'était pas forgée sur des mots, mais sur des actes - brutaux, efficaces. Et, au centre de tout, se trouvait leur Alpha : **Ronan**.
Je sentis son arrivée avant même de le voir. Une tension palpable s'empara de la foule. Les discussions cessèrent comme si le vent avait volé toutes les voix d'un seul souffle. Il avança avec la grâce d'un prédateur en pleine possession de sa puissance, chaque mouvement calculé mais terriblement naturel. Il était grand, plus que je ne l'avais imaginé. Ses yeux d'un gris orageux balayèrent l'assemblée avec une intensité qui rendait difficile de soutenir son regard. Des mèches sombres encadraient un visage aux traits ciselés, durs comme la pierre.
« C'est lui, » murmura Myra à mon oreille, sa voix vibrante d'une excitation qu'elle ne dissimulait pas. « Ronan. »
Je ne répondis pas. Je ne pouvais pas. Mon souffle s'était coincé quelque part entre ma gorge et ma poitrine. Quand son regard croisa enfin le mien, tout changea.
C'était comme si le monde s'était arrêté.
Chaque son devint lointain, chaque mouvement autour de nous se fondit dans le néant. Il n'y avait plus que cette connexion invisible, puissante et terrifiante, qui me liait à lui. Mon loup intérieur, cette part de moi que je contrôlais si bien, poussa un hurlement de reconnaissance. Mon cœur battait si vite que j'étais certaine que tout le monde pouvait l'entendre.
Lui aussi sembla troublé, ses pupilles se dilatant légèrement, mais son expression resta impassible, froide. Un frisson glacé remonta le long de ma colonne vertébrale. Pourquoi ne ressentait-il pas ce que je ressentais ? Pourquoi cette distance, cette barrière glaciale dans ses yeux ?
Alors que je luttais pour retrouver mes esprits, il détourna le regard comme si de rien n'était, reprenant sa marche vers le centre de l'assemblée. Mon estomac se noua. Une chaleur brûlante envahissait ma poitrine, mais elle n'était pas faite de joie. Elle était alimentée par le doute et la confusion.
« Tu vas bien ? » demanda Myra en posant une main sur mon bras.
Je déglutis difficilement, mes pensées toujours embrouillées. « Oui... Oui, ça va. » C'était un mensonge évident, mais je n'avais pas la force de m'expliquer.
Ronan se tenait désormais sur l'estrade, dominant la foule avec une assurance implacable. Les regards se fixaient sur lui, certains admiratifs, d'autres envieux ou méfiants. Il attendit que le silence soit total avant de parler. Sa voix résonna, grave et pleine d'autorité.
« Loups de toutes meutes, » commença-t-il. « Nous vivons des temps incertains, et l'unité entre nous est plus vitale que jamais. »
Chaque mot était prononcé avec un poids qui donnait à son discours une gravité indiscutable. Mais je n'écoutais que distraitement. Mon esprit était prisonnier de cette sensation déroutante. Ce lien... C'était bien cela, n'est-ce pas ? Le lien de compagnon dont j'avais tant entendu parler ? Pourquoi alors semblait-il aussi indifférent, aussi distant ?
Je cherchais des réponses dans ses gestes, dans la moindre inflexion de sa voix, mais je ne trouvai rien d'autre que le masque d'un Alpha inébranlable.
Puis, il prononça des mots qui brisèrent tout le reste.
« Aujourd'hui, j'ai l'honneur d'annoncer mes fiançailles avec Lyra de la meute des Ombres Sanglantes. »
Le choc fut un coup de poignard si brutal que je crus vaciller. Autour de moi, les murmures éclatèrent, pareils à des éclairs dans une nuit d'orage. Mais tout ce que je pouvais entendre, c'était le rugissement de la douleur dans ma tête.
« Non, » murmurai-je, le mot s'échappant de mes lèvres avant même que je ne le réalise.
Myra se tourna vers moi, le visage figé dans une expression d'horreur mêlée de colère. « Il se moque de nous ou quoi ? Lyra ? Ce n'est qu'une manipulatrice... Une... »
Je n'entendis pas la suite de ses paroles. Mes pensées s'entrechoquaient dans un chaos insupportable. Le lien que je venais de ressentir avec lui, ce lien qui aurait dû être sacré, n'était-il qu'un mensonge cruel ?
Je levai les yeux vers Ronan, mais il ne me regardait pas. Son expression restait impassible, mais je pouvais déceler une tension infime dans la ligne de sa mâchoire. Lyra se tenait près de lui, un sourire triomphant sur ses lèvres rouges, ses doigts fins posés avec possessivité sur le bras de l'Alpha. Elle était belle, de cette beauté froide et raffinée qui inspirait l'admiration autant que la méfiance.
Elle savait.
Elle avait vu.
Et elle savourait chaque seconde de ma douleur.
Le silence me semblait lourd, oppressant. Chaque regard posé sur moi pesait comme une pierre qu'on m'aurait jetée en pleine poitrine. Les mots de Ronan résonnaient encore dans mes oreilles, des lames empoisonnées s'enfonçant plus profondément à chaque écho.
Fiançailles.
Avec Lyra.