Elle ouvre la porte discrètement, lentement et rentre dans l'obscurité.
- T'allume pas la lumière ? Je lui sors.
- Non, non, surtout pas.
Elle allume la torche de son téléphone. Je la suis.
- Regarde ! Qu'elle me dit.
- C'est quoi ?
- C'est un petit salon de médium.
Le faisceau lumineux éclaire des tables rondes aux nappes folkloriques colorées de rouge, violet et vert.
Des objets décoratifs y sont posés, des lanternes de fer forgé, une boule de cristal, des pendentifs sur leur support, des cartes de tarots.
Le salon est compartimenté par des rideaux aux motifs astrologiques, ésotériques. Des poupées sont disposées sur des chaises décorées.
On s'enfonce dans la salle pour y découvrir le reste de la déco subtilement constituée.
Je sens quelque chose me chatouiller la nuque.
Je m'affole.
- Ah putain, c'est quoi ça ?
- Quoi, quoi ? Elle panique.
Elle éclaire des fanfreluches décoratives pendantes du plafond.
- C'est rien ! T'inquiète ! Qu'elle me dit en rigolant de nervosité.
- Pourquoi tu m'emmènes ici ?
- Ça t'excite pas ? Elle dit, frétillante.
- Euh, pas vraiment, non. C'est space !
- T'as la trouille ? Qu'elle me fait avec son petit sourire là.
- C'est pas toi qui reste tout seul la nuit après, je lui réponds.
Je suis sûr qu'elle m'a emmené pour ne pas y aller toute seule. Elle crevait d'envie d'aller explorer "l'antre de la peur et du mystère"...
...pour se faire des petites frayeurs, mais à deux c'est mieux.
Puis, elle panique.
- Ça a bougé là !
Non, non, non, j'ai pas envie là !
- Où ça ?
- Mais là ! J'ai entendu un truc.
Le bruit recommence à un mètre, comme si une chose s'agitait en déplaçant l'air brusquement.
Elle se blottit contre moi.
- Ah putain, c'est quoi ça ?
Elle éclaire à l'endroit supposé.
Un objet est recouvert d'un voile bleu foncé.
Elle approche sa main pour voir en dessous.
- Non, c'est bon, fait pas ça.
Elle se fiche de mon avis, elle est trop curieuse, elle soulève le voile pour découvrir la cage.
À ce moment-là, la colombe s'agite à l'intérieur. La serveuse gesticule dans tous les sens éclairant un visage humain contre le mur.
Complètement pétrifiés, on reste sans bouger pendant cinq secondes. Le visage n'a aucune réaction, il est statique.
On s'en approche prudemment. Elle éclaire furtivement vers le bas, nous permettant de distinguer l'entière silhouette.
Habillé bizarrement, le corps reste statique comme le visage.
- C'est un mannequin, non ? Elle dit.
- Je ne sais pas. Bon ça suffit maintenant, on y va.
- Attend, je veux voir s'il bouge.
- Non non, j'attends pas, je veux pas qu'il m'attrape. T'as jamais vu à la télé, on croit que c'est des mannequins, et en fait, ils bougent, ...
...et puis, s'il bouge, tu vas faire quoi ? Tu vas avoir peur, c'est tout. Allez viens, reste pas là.
On recule vers la sortie. Je guette le moindre mouvement potentiel du mannequin en jetant toujours un coup d'œil derrière moi.
On sort enfin du gouffre. Je n'ai même pas commencé mon taf, j'ai déjà le trouillomètre à zéro. C'est dingue ça.
Qu'est-ce qu'ils ont besoin de mettre des trucs comme ça ? Il est déjà suffisamment flippant cet hôtel.
- T'as vu, c'est glauque hein quand même ?
- Ouais, ben moi j'y rentre pas de la nuit, hein. J'ai rien à y faire, j'espère. Pas d'aspi, rien.
À la réception, un homme nous observe étrangement, il ressemble à Antony Perkins avec les sourcils de Jack Nicholson.
La serveuse m'indique que c'est le medium organisateur du salon, et qu'il est descendu parce qu'il a senti quelque chose.
- Comment ça ?
- Ben, c'est un médium, il ressent les choses, il a senti qu'on s'infiltrait dans son antre.
- Il est chelou, t'as vu comment il nous scrute de son regard pénétrant.
- Il aimerait bien te pénétrer autrement que d'un simple regard.
- Quoi ?
- Ben il préfère les hommes hein.
- Mais non. Enfin, peut-être, mais ça ne veut pas dire qu'il saute sur tout ce qui bouge.
- Je ne sais pas, tu me raconteras, moi je dois y aller, bonne nuit.
Oh la sournoise.
Ensuite, le médium ne m'a rien dit, il est remonté dans sa chambre. J'ai pris mon poste à 23H, la peur au ventre.
Vous allez me dire: "y a rien, pas de quoi avoir peur", mais je ne suis pas rassuré avec ce salon juste à côté-là...
...et le médium qui peut m'envoûter pour mieux me pénétrer. Non, mais il est bizarre cet hôtel aussi.
Bon, j'espère que cette fois-ci, y aura pas des trucs bizarres, hein !
Hé, il s'est passé un truc drôle. Avec ces petites frayeurs, j'avais la crotte au bord du précipice, donc j'ai été aux chiottes.
Une fois sur le trône, je vois une araignée assez grosse quand même qui rentre sous la porte, elle s'arrête et me regarde.
Là elle doit se dire: "c'est bizarre, celui-là, il ne crie pas, ne s'agite pas", je la sens perplexe.
Donc je la regarde, elle me regarde, je la regarde un peu plus intensément, elle prend peur, elle repasse sous la porte.
Non, moi, j'ai pas peur des araignées. Je sais, vous allez me dire: "oh l'autre, il a peur des petits lapins et d'une colombe".
Bref, je termine rapidement mes petites affaires pour sortir assez vite et voir où se trouve la bestiole. Je ne la vois pas.
J'arrive devant la réception, elle est là. Elle ne bouge pas, elle est comme pétrifiée, elle se demande ce qui va se passer.
Je fais le tour de la réception pour aller au buffet petit dej et revenir avec un bol. Elle n'a pas bougé, je l'enferme dans le bol.
Ah non, moi je ne l'écrase pas, je ne tue pas les animaux.
Je récupère un magazine assez fin que je glisse sous le bol.
Je l'ai relâchée dehors. Elle est partie vite. Elle a dû se dire: "il est malade lui, il m'emprisonne, il a failli me bouffer, je reste pas là"
Et là, je rentre vite fait parce qu'il fait super froid. Un frisson me parcourt la colonne vertébrale.
J'avais raison, on distingue bien la lune, elle éclaire bien l'extérieur, les ombres sont bien marquées, j'aime bien...
Je me sens en sécurité. La pleine lune, c'était hier, mais là elle semble bien pleine pourtant.
Sa luminosité est éclatante, bien blanche, parfois elle est légèrement voilée par quelques nuages brumeux.
Même s'il fait froid, je ressors juste pour admirer ce spectacle. Je suis devant l'hôtel que je vois en contre-jour.
C'est une très belle image, ça me fait penser direct à du Tim Burton ou ce genre de films un peu poétique, ou gothique.
Il vient de se passer un truc là, j'étais tranquille sur le petit canapé du bar, à l'ombre en train de faire une micro-sieste.
J'entends un bruit de l'extérieur qui me réveille direct, je me lève pour me préparer à accueillir d'éventuels clients.
Je me pose devant la porte d'accueil regardant en direction du parking. Je ne vois rien, aucune voiture.
Et là, dans le reflet de la porte, je vois le médium figé, un peu plus loin derrière moi, je me retourne, tétanisé.
Il est là, devant moi à me guetter. Je déglutis.
- Il est bizarre cet hôtel, il s'y passe des choses bizarres. Dit d'un air énigmatique.
Je le sais déjà ça. Mais je lui dit:
- Ah bon ! J'ai pas remarqué.
- Si, vous savez et je sais ce que vous pensez, je peux lire en vous.
Il me parait assez atteint, ou impliqué dans son rôle, mais c'est flippant quand même.
Sa gestuelle est étrange.
Je m'installe derrière la réception, comme si un comptoir pouvait me protéger.
Le médium caresse les bords du billard.
- Je ressens de la violence ici, et de la peur. Ce sont des actes et émotions très forts qui restent ancrés dans les murs, les objets.
Il continue son monologue:
- J'ai pas pu m'endormir dans ma chambre, les ondes négatives y sont trop intenses.
Oh, mais qu'est-ce qu'il me fait là ? Soit il joue un jeu pour me faire peur, soit il est sérieux, dans les deux cas, ça m'inquiète.
Il voudrait que je lui serve une tisane tilleul/verveine pour l'aider à s'endormir. J'allume la lumière, il s'installe à une table.
Je lui sers sa tasse d'eau brûlante et son sachet de plante aromatique. Je le surprends à parler tout seul.
Il regarde furtivement sur le côté comme s'il y avait une présence, j'ai l'impression qu'il a un dialogue avec.
Je n'entends pas vraiment ce qu'il dit, il parle bas. Je l'interromps.
- Pardon, vous disiez ?
- Non rien. Je parlais tout seul.
Ok, c'est un peu ce que je trouve étrange en fait.
- Si vous avez besoin de quelque chose, je suis juste à côté.
Je l'ai laissé tout seul au bar.
Même s'il est bizarre, il n'a pas l'air méchant. Je suis plus rassuré qu'avec l'autre fou furieux de la semaine dernière.
J'espère qu'il ne va pas revenir celui-là. J'ai pas eu de nouvelles d'ailleurs, donc ils n'ont pas retrouvé de cadavre, tant mieux.
Le médium commence à écouter les murs, l'oreille accolée contre la paroi. Il sort un très beau pendule et phase l'air ambiant.
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Il s'est passé des choses horribles ici. Les esprits rôdent, mais ils ne sont pas méchants...
...méfiez-vous plutôt des vivants.
Il s'arrête de parler, levant l'index en l'air, bougeant la tête, comme un animal à l'affût.
Puis il est remonté dans sa chambre, me laissant avec des idées noires et des spectres de pensées occultes.
Ce n'est pas malin. En plus, cette semaine j'ai lu "La chute de la maison Usher" d'Edgar Allan Poe et ses autres nouvelles.
Et avant de savoir que j'allais travailler la nuit, j'ai lu d'autres nouvelles de H.P Lovecraft, bien plus morbides.
Donc, ça ne va pas arranger ma tranquillité finalement.
Ouf, ça va mieux, enfin il fait jour. Dès les premières lueurs du jour, j'étais rassuré, comme s'il ne pouvait plus rien se passer.
Léa_Blzn @BolzonLea
Replying to @veilleurnuit
Es-tu en vie ?
6:39 AM - Oct 7, 2017
Oui, ça va, je suis désolé pour les gens qui s'inquiètent. J'ai surtout été aux aguets tout le restant de la nuit.
Malgré la bienveillance de la lune, je me sentais épié, j'étais à l'affût du moindre bruit, du moindre mouvement.
Une ombre par-ci, un arbre qui bouge par-là. Tout me semblait plus intensifié. Chacune de mes impressions devenait propice aux surnaturels.
Aux premiers rayons du soleil, j'étais soulagé. Parce que juste avant il s'est passé un truc.
J'ai commencé à préparer le petit déjeuner vers 5H en guettant partout autour de moi, chacun de mes déplacements est une aventure morbide.
Je ne passe pas une porte sans inquiétude, je ne rentre pas dans une pièce sans l'avoir scrutée entièrement du regard.
En sortant d'une pièce, je m'attends toujours à une surprise, une embuscade ou quelconque apparition spectrale provoquant une frayeur subite.
Le brouillard à commencer à se lever, il était plutôt épais, isolant le bâtiment. C'est une impression étrange d'être seul au monde.
L'atmosphère devient presque onirique. Je ne distingue plus que la lueur des néons verts du bowling qui colore cette brume cadavérique.
J'installe le buffet avec les produis frais, les fruits, le lait, le café, les œufs, le jambon. J'enfourne le pain et les croissants.
Et là, j'entends un bruit immonde qui vient de l'extérieur, une complainte inhumaine. Ça ne ressemble à aucun animal connu.
Un cri terrifiant amplifié par la résonance brumeuse, suivi d'un fracas métallique.
Bon, par contre, j'ai du monde, je vous raconterai la suite, plus tard. Désolé, il faut bien que je travaille un peu. Je finis dans 30mn.
Bon, je vous raconte la suite. Quand j'entends ce boucan extérieur, je me précipite d'abord dans le couloir des salons,
... j'y observe la porte du fond. Le boucan continu derrière la cuisine, au niveau des poubelles, je m'y déplace.
J'entends comme si on fouillait dans les poubelles, en fait c'est plutôt comme si on les projetait dans tous les sens.
Je m'approche de la porte, pour voir si elle est bien fermée à clef, puis j'appose délicatement mon oreille contre celle-ci.
La projection d'un contenant contre la porte me fait sursauter. J'ai bien ressenti les vibrations du choc, après, la complainte reprend.
Je suis épouvanté par ce monstrueux gémissement, on dirait un effet audio pour le ciné en mélangeant différents cris d'animaux ...
... avec des sons plus modernes, de machines électriques, trafiqués donnant cette impression abominable d'une créature d'outre-monde.
Je recule discrètement sans un bruit pour me déplacer à l'arrière salle du resto plongée dans l'obscurité, espérant mieux voir la créature.
Je m'approche de la fenêtre mais le mur extérieur cachant le coin ordure, je prends une chaise pour y voir par-dessus.
Mais ce n'est pas suffisant, je ne suis pas assez haut. Je descends pour me diriger vers la véranda, qui est une extension moins sécurisée...
... mais donnant sur l'extérieur je pense pouvoir mieux distinguer les actions de la bête. La curiosité est un vilain défaut.
Dans la véranda, le son est aussi pur et limpide qu'à l'extérieur, il y fait aussi froid également. Je sens un déplacement au local poubelle
Je m'accroupis sous une table pour ne pas être vu. Je vois la chose se dévoiler: une masse difforme de taille humaine.
Elle se déplace passant devant la véranda. Je me couche complètement au sol. Son déplacement étrange n'a rien de terrestre.
En tout cas, si c'est un humain, je n'y distingue aucun de ses membres, tout est noyé dans la masse. Même sa tête n'est pas distinguable.
Il se déplace tellement bizarrement, que je ne sais pas combien de jambes il peut avoir, en tout cas je n'en vois aucune.
Je me dis que ça doit être un clochard portant sa maison sur lui, tel un escargot, enveloppé dans une couverture traînant jusqu'au sol.
Je ne vois finalement qu'une silhouette démente baignée dans cette brume verte en contre-jour des néons.
Puis, au milieu de son cheminement, la masse difforme s'abaisse, elle reprend son affreux beuglement éléphantesque telle une souffrance.
Je me dis qu'elle fait peut-être juste caca, et qu'elle souffre pour sortir son étron, ou que c'est une femelle en train d'enfanter.
J'imagine toutes sortes d'horribles extensions corporelles, de difformités. Deux êtres imbriqués l'un dans l'autre de manière improbable.
Je reste pétrifié au sol de la véranda observant cette créature gargantuesque s'éloigner. Je frissonne pensant que c'est le froid,
... alors que c'est certainement la peur. J'attends qu'elle ne soit plus dans mon champ de vision pour me relever.
J'aperçois qu'elle a laissé quelque chose au sol, là où elle s'est baissée. J'ai préféré attendre le jour pour sortir.
La brume s'est ensuite levée. Le râle lointain de la créature résonnait tel un loup-garou hurlant à la lune dans la profondeur nocturne.
Elle s'enfonçait dans le crépuscule matinal à l'opposé des premières lueurs atmosphériques provoquées par le levé du soleil.
Vous allez halluciner quand je vais vous montrer ce que j'ai vu à l'emplacement où je pensais qu'elle déféquait, j'étais dégoûté.
En partant, je suis donc tombé sur cette immondice plutôt morbide que j'ai forcément prise en photo. Attention âmes sensibles s'abstenir !!!
[La photo montre uniquement les ailes d'un pigeon attachées entre elles par ce qui reste du squelette déchiqueté de l'animal, comme si un être affamé avait englouti toute la partie centrale rongée jusqu'à l'os]
Mais qui ou quoi peut faire ça ?!
J'en tremble encore rien qu'en vous racontant ça.
C'est peut-être aussi la fatigue et tout le reste cumulé, du coup je vais me coucher.