La corde tendue entre ces doigts, comme ces ancêtres l'avaient fait avant elle.
Une nouvelle expiration et la flèche fila, sifflante.
Le lièvre dressa ces oreilles, percevant le danger mais déjà la pointe en métal traversait sa peau, transperçant ces chaires, brisant ces os et finalement trouva son cœur.
Avec un soupir de soulagement, elle alla récupérer sa proie, se rappelant cette époque pas si lointaine où comme le reste de l'humanité, elle allait s'approvisionner dans un de ces grands temples de la consommations.
Quand après une journée de travail, elle se précipitait encore pour aller chercher tout ce dont elle se persuadait d'avoir besoin.
Elle se saisit du corps dans la neige souillée par le sang. Bientôt, les prédateurs, attirés par l'odeur, se montreraient et elle savait que son arc ne suffirait pas à les stopper. Enveloppant le corps dans un morceau de tissu, elle le plaça dans son vieux sac à dos avant de revenir sur ces pas, pour retrouver son foyer.
Sur le retour, elle bifurqua légèrement pour parvenir à un ancien village déserté depuis longtemps. Elle avait besoin de bougies et si elle trouvait quelques boîtes de conserves au passage, elle en serait ravie.
Les rares maisons encore debout n'en n'étaient pas pour le moins intact. Les tremblements de terre successifs avaient laissé des traces, de longues lézardes sur les murs ainsi que des toitures partiellement écroulées, mais certains vestiges de l'air industriel, résistaient, comme pour montrer à qui pouvaient encore le voir, que l'homme avait à un moment cru dominer la terre.
Silencieuse, elle s'avança jusqu'à une bâtisse qu'elle n'avait pas encore visité. Une porte rouge, sûrement pensée pour protéger ces habitants jadis et qui restait ouverte, comme toute les autres. Soit parce que les survivants savaient qu'ils ne reviendraient jamais ou encore parce que d'autres étaient déjà passé par là.
Au début, ça la dérangeait d'entrer ainsi dans ces maisons. De pénétrer dans leurs intimités, de voir leurs photos de familles étalées un peu partout derrière des cadres brisés et poussiéreux. Vestiges d'éclats de rires, de tendre étreintes et de regard complices.
Beaucoup avaient commencé à se préparer, des valises sorties. Entamées pour certaines où déjà dans l'entrée pour d'autres, près à fuir, mais pour aller où ?
Puis les corps, recroquevillé les uns contre les autres, au début du moins parce qu'après quelques jours, quelques semaines, l'odeur, la décomposition, les charognards, formaient un mélange des plus répugnants.
Pourtant, la faim avait eu raison de ces convictions, de ces apriorits, de toutes ces choses dont elle ne se serait jamais cru capable avant tout ça. Alors elle avait appris à passer outre, à se faire violence, à ne pas penser à toutes ces vies disparus à jamais, à ces enfants sans avenir, à toutes ces fins sans conclusions possible.
Elle se dirigea vers ce qui avait servit de cuisine familiale et ouvra les placards, sans réelle douceur pour y trouver des denrées capable de se conserver assez longtemps. Tomates, haricots ainsi que des raviolis et encore quelques plats. Elle entreprit une sélection pour ne pas se surcharger puis prit le temps de fouiller un peu. Après dix minutes, son sac était bien rempli, bougies, piles, nourriture ainsi que deux romans dont elle ne connaissait pas l'auteur et une bonne bouteilles de vin blanc.
De quoi passer une bonne soirée se dit elle en souriant avant de reprendre sa route.
Une bonne soirée, cette idée l'accompagna jusqu'au chalet perdu dans la forêt où elle s'était retranchée.
Une bonne soirée, avant ,ce genre d'expression aurait rimée avec quelques verres en terrasse avec ces amis. Des rires autour de blagues à peine plus évoluer que des enfants de cinq ans. Puis ils auraient sûrement fini dans un club où ils auraient dansés encore et encore sur des musiques saisonnières, entêtantes jusqu'à ce qu'elle ne remarque le regard d'un inconnu, ou pas et que commence le jeu de la séduction. Alors, elle l'aurait peut être ramené chez elle ou ils auraient été chez lui et au petit matin, à vrai dire bien avant que le soleil ne se lève, elle aurait disparut où lui aurait, avec autant de délicatesse que possible, indiqué la sortie avec un jolie sourire mais sans promesse de se revoir.
Non pas qu'elle soit rebutée par les histoires longues et stables mais l'observation du monde, de son entourage, de la vie, lui avait montrer que l'amour, le vrai, celui qu'on dépeint dans les livres d'enfants n'est qu'un fantasme, très loin de la réalité.
Puis elle aurait appelé sa meilleure amie, Lizzy et lui aurait tout raconté, comme le font toutes les femmes et ensuite après lui avoir promis qu'elles se reverraient dès le lendemain, elle se serait endormi, pour continuer encore et encore le même cycle.
Mais Lizzy n'était plus là, elle avait eu la bonne idée de partir en week end avec son mec du moment quand tout avait commencé, d'aller en Auvergne pour profiter des grands espaces verts et surtout d'un chalet muni d'un lit king size qu'elle ne comptait pas quitter, sans se douter un seul instant qu'elle se trouvait sur la ligne de mire d'une coulée de lave d'un volcan que tous croyaient endormi comme tout les autres d'ailleurs. D'un certain sens, Lizzy avait eu de la chance, elle faisait partie des morts de la première vague, des milliers de morts de la première heure, de ceux qui n'auront jamais eu à connaître le monde d'après.
Elle avait mit plus de temps qu'elle ne l'aurait cru pour arriver au chalet car déjà le soleil commençait à décliner lorsqu'elle poussa sa porte d'entrée et après avoir bien verrouillé derrière elle, elle posa son sac et se débarrassa de ces vêtements avant de remettre une bûche dans la cheminée et de s'asseoir devant pour se réchauffer. Aussitôt, Charlie, un magnifique siamois qui avait décidé de vivre avec elle, vint s'installer sur ces genoux en ronronnant. Durant quelques minutes l'harmonie entre eux deux leurs suffit.
Elle n'avait aucune idée de la vie précédente de l'animal, mais elle l'avait rencontré un jour dans le village. Elle était restée à distance, surtout après ce qu'elle avait déjà vu mais il l'avait suivit, de loin sur les premiers mètres puis à sa hauteur et finalement une fois face au chalet, il ne lui avait pas laissé le choix et s'était glissé chez elle pour ne plus en sortir. Depuis, il chassait les souris pour elle et elle partageait sa nourriture avec lui. Elle aimait quand il se blottissait contre elle durant la nuit ainsi que sa manière de se frotter contre ces jambes quand il voulait quelque chose et à vrai dire, cette seule présence lui suffisait.
Il n'avait pas de collier alors elle l'avait baptisé Charlie et visiblement, ça lui convenait. Du moins c'est ce qu'elle se disait.
Une fois réchauffée, elle observa la boule de poil contre elle, le déplaça délicatement avant de se redresser.
- Il est temps de nous préparer à manger Charlie. La récolte a été bonne et on sera tranquille durant quelques jours.
En réponse, un miaulement paresseux lui fit comprendre que l'animal pouvait attendre ce qui la fit sourire. Elle vida son sac dans la cuisine et retira le lièvre du linge avant de s'occuper du reste. Maintenant, elle savait que la viande était ce dont on devait s'occuper en priorité. Une denrée rare, si rare qu'elle avait vu des abominations dont elle préférait ne pas se rappeler. D'un mouvement fluide elle attrapa le couteau posé sur le plan de travail, sa longue lame aiguisée entama la peau sans toucher à la chaire et en quelques minutes, le lièvre se retrouva nu, sans fourrure.
Ça aurait pu la dégoûter mais, elle avait grandit au milieu des fermes avant de s'établir en ville. Son père l'avait emmené dès son plus jeune âge lorsqu'il fallait tuer un cochon, une poule ou tout autre animal tout en lui répétant, « respecte les, toujours, car sans eux, aucun de nous ne survivrait ». Il était mort bien avant tout ça, bien avant qu'elle ne quitte la campagne, bien avant que tout ne change et pourtant, il avait déjà raison.
Après avoir préparé le gibier, elle plaça chaque morceau dans une poêle et y ajouta des herbes ainsi que quelques épices et alluma un petit réchaud.
Rapidement, le chalet s'emplit d'une douce odeur alors qu'elle déboucha la bouteille de vin blanc pour s'en servir un verre avant d'aller se changer pour passer un vieux jogging qu'elle avait depuis des années, elle se saisit de quelques bougies qu'elle alluma et après avoir rangé les conserves, siroté un verre et fini de préparer leur repas, elle s'installa face à la cheminé, un livre à la main.
La littérature restait sa seule source d'informations. Les livres lui avait apprit à cultiver quelques légumes, à créer un périmètre sécurisé, à charger une arme, à se soigner et heureusement, certains ouvrages lui permettaient encore de s'évader.
Le goût de la lecture lui avait été transmit par sa mère qui ne ratée jamais une occasion de lui offrir un livre. Elle aimait les histoires, la capacité qu'avait les mots à la faire voyager, rêver, voir tout oublier quand elle en avait besoin. Si bien que une des seules choses qu'elle avait prit de chez elle après tout ça, était sa collection de son auteur favori.
Depuis, elle avait empilée les lectures, désireuse d'en connaître d'avantage et de toute façon, il fallait bien trouver une façon de s'occuper le soir, sans télévision, sans internet, sans personne à qui parler.
Bien que la solitude ne lui pèse pas autant qu'elle l'aurait cru au début. Car si elle avait un cercle d'ami avant tout ça, bien qu'elle ait un travail avec avec des collègues, durant son enfance, elle préférait s'isoler et vivre à travers ces rêves qu'affronter ce monde trop brute et trop cruel pour une enfant.
Alors, après quelques semaines à avoir vu le monde s'effondrer, après avoir entendu des pleurs interminables de ceux ayant perdu des proches, des cris d'agonies de ceux coincés dans des décombres, après avoir entendu des religieux implorer dieu pour leur pardon, ou encore des fous hurlant qu'ils avaient raison, que la fin du monde était là, ou des cris provenant de choses qu'elle n'aurait jamais du entendre, le silence lui avait paru presque salvateur.
La solitude était devenue sécurisante, presque une protection, car dorénavant, les autres représentaient le danger. Le plus grand des dangers.
Charlie partagea son repas, comme tout les soirs et elle commença à lire tout en buvant un verre.
Après quelques chapitres, ces yeux s'alourdirent mais avant de sombrer elle replaça plusieurs bûches dans la cheminée avant de prendre une grosse couette placée sur le fauteuil et s'installer bien au chaud. Puis après une page où deux, elle finit par s'endormir, à l'abri du monde extérieur.