Je soupirai et sortis de ma tanière, l'air frais de la nuit me frappant au visage. La lune était haute, presque pleine, éclairant le camp de sa lueur argentée. Quelques loups de garde patrouillaient en silence, leurs ombres s'étirant sur le sol poussiéreux. Je me dirigeai instinctivement vers une petite clairière où je savais qu'Amalia passait souvent ses soirées. Et comme je m'y attendais, elle était là, allongée dans l'herbe, les bras croisés sous sa tête, regardant les étoiles.
"Amalia," appelai-je doucement.
Elle tourna la tête vers moi, un sourire moqueur déjà accroché à ses lèvres. "Clara. Qu'est-ce qui t'amène ici à cette heure ? T'en avais marre de rêver d'être une héroïne ?"
Je roulai des yeux, mais je savais qu'elle plaisantait... à moitié. Amalia, avec son humour caustique et son franc-parler, était l'une des rares à ne pas me traiter comme une moins que rien. C'était peut-être pour ça que je me sentais assez en confiance pour lui parler.
"J'ai entendu quelque chose," dis-je en m'asseyant près d'elle.
Elle haussa un sourcil, visiblement intriguée, mais ne dit rien, m'encourageant à continuer.
"Gabriel et Elias. Ils parlaient... d'une malédiction. Quelque chose qui le rendrait vulnérable."
Un silence s'installa, seulement brisé par le bruissement des feuilles dans le vent. Amalia se redressa, ses yeux sombres brillants d'un intérêt nouveau.
"Tu te rends compte de ce que tu dis ?" murmura-t-elle.
"Oui. Et je sais que je devrais peut-être pas m'en mêler, mais..."
Elle éclata de rire, un son sec et presque cruel. "Mais ? Clara, sérieusement, tu veux t'embarquer dans les affaires de l'Alpha ? Tu veux te faire arracher la tête, ou quoi ?"
"Je veux comprendre," rétorquai-je, sentant ma frustration monter. "Pourquoi tout le monde cache des choses ? Pourquoi je devrais toujours rester en dehors de tout ?"
Amalia posa une main sur mon bras, son ton devenant un peu plus sérieux. "Écoute, je comprends que ça te frustre. Mais on est des Omegas, Clara. Ce genre de secrets, ça peut nous détruire. Laisse ça. Vraiment."
Je baissai les yeux, ravalant ma colère. Mais au fond de moi, je savais que je ne pourrais pas laisser tomber.
***
Le lendemain, le camp était en effervescence. Des rumeurs circulaient qu'un invité inattendu était arrivé. En sortant de ma tanière, je le vis presque immédiatement : Axel, le cousin rebelle de Gabriel.
Axel était tout ce que Gabriel n'était pas. Là où l'Alpha était austère et discipliné, Axel rayonnait d'un charisme insolent. Ses cheveux noirs tombaient en mèches désordonnées sur son front, et son sourire en coin trahissait une confiance presque agaçante. Il se tenait au centre du camp, entouré de quelques jeunes loups fascinés, racontant une histoire probablement exagérée de l'une de ses aventures.
"... et là, je lui ai dit : 'Tu veux ma tête ? Viens la chercher !' Et devinez quoi ? Il s'est enfui, la queue entre les jambes !"
Un éclat de rire accompagna sa déclaration, mais je notai que Gabriel, qui observait la scène depuis un peu plus loin, avait les mâchoires serrées.
Je tentai de passer discrètement à côté d'Axel, mais il me remarqua immédiatement.
"Eh bien, qu'avons-nous là ?" lança-t-il, son regard s'attardant sur moi d'une manière qui me mit mal à l'aise. "Une petite Omega qui essaye de se fondre dans le décor."
Je me figeai, tentant de cacher mon irritation. "Je ne fais que passer."
"Clara, c'est ça ?" demanda-t-il, ignorant complètement ma tentative de fuite. "Tu sais, on m'a parlé de toi. Une Omega avec du feu dans les yeux, apparemment."
"Peut-être que tu devrais te concentrer sur autre chose," intervint Gabriel, sa voix coupante.
Axel haussa les épaules, un sourire narquois sur le visage. "Relax, cousin. Je ne fais que discuter."
Mais son regard resta sur moi un peu trop longtemps, et je sentis une tension étrange s'installer entre eux.
***
Cette tension fut interrompue de manière brutale lorsque le hurlement d'alarme retentit à travers le camp. Une attaque.
Le chaos s'installa presque immédiatement. Des loups surgissaient de toutes parts, hurlant des ordres ou se transformant pour se préparer au combat. Je me retrouvai prise au milieu de tout ça, mon instinct me criant de fuir, mais mes pieds refusant de bouger.
Un loup inconnu, énorme et menaçant, bondit soudain vers moi. Je me préparai à l'impact, mais une autre silhouette s'interposa à la dernière seconde. Gabriel.
"Clara, bouge !" cria-t-il en abattant son adversaire d'un coup précis.
Je reculais précipitamment, cherchant une arme ou quelque chose pour me défendre. Mon regard se posa sur un jeune loup, à peine adolescent, qui tentait de repousser un assaillant beaucoup plus grand que lui. Mon cœur se serra, et sans réfléchir, je courus vers eux.
Je saisis une branche épaisse au sol et frappai de toutes mes forces le loup ennemi, attirant son attention sur moi. Il grogna, ses yeux brillant d'une lueur meurtrière, mais je me tins fermement, refusant de reculer.
"Viens !" lançai-je, ma voix tremblante mais déterminée.
Le combat qui suivit fut un mélange de peur pure et d'adrénaline. Je ne sais pas comment, mais je réussis à le mettre en fuite. Le jeune loup me regarda avec des yeux écarquillés, trop choqué pour parler, avant de se précipiter pour rejoindre le reste du groupe.
Quand le chaos se dissipa enfin, je réalisai que tout le monde me regardait. Gabriel, le regard grave, s'avança vers moi.
"Tu as sauvé ce garçon," dit-il simplement, mais je pouvais voir dans ses yeux une lueur de respect... et quelque chose d'autre, quelque chose de plus profond.
Mais avant que je puisse répondre, une voix moqueuse retentit derrière lui.
"Eh bien, regarde ça. Une Omega qui joue les héroïnes. Impressionnant."
Axel s'approcha, son sourire en coin plus provocateur que jamais. "Mais dis-moi, Clara, c'était de la bravoure ou juste un coup de chance ?"
Je ne répondis pas, mon cœur battant encore trop fort après l'attaque. Mais je pouvais sentir la tension entre eux augmenter, comme une corde sur le point de se briser. Gabriel ne dit rien, mais son regard s'assombrit alors qu'il fixait Axel.
Ce fut à cet instant que je compris : cette bataille n'était peut-être pas terminée.
L'aube pointait à peine, teignant le ciel de nuances pâles et orangées, lorsque Gabriel m'envoya chercher. Je ne fus pas surprise. Après la bataille de la veille et l'attention soudaine que j'avais attirée, je savais que cette convocation arriverait tôt ou tard. Pourtant, cela n'empêcha pas mes mains de trembler légèrement alors que je traversais le camp pour rejoindre le grand pavillon où il tenait généralement ses réunions.
Gabriel se tenait près de la grande table centrale, où une carte détaillée des environs était déployée. Ses épaules étaient tendues, son visage fermé, mais ses yeux s'adoucirent un instant lorsqu'il me vit entrer.
"Clara," commença-t-il d'un ton grave, "assieds-toi."
Je m'exécutai, le cœur battant la chamade. Je ne savais pas à quoi m'attendre : un blâme, des félicitations, ou les deux à la fois. Gabriel croisa les bras, me jaugeant du regard avant de parler à nouveau.
"Ce que tu as fait hier..." Il marqua une pause, cherchant ses mots. "C'était... courageux. Stupide, mais courageux."
Je haussai un sourcil. "C'est censé être un compliment ?"
"Écoute-moi bien," reprit-il, son ton devenant plus ferme. "Tu as sauvé un membre de la meute. C'est un fait. Et pour ça, je te remercie. Mais tu as aussi pris des risques inconsidérés. Tu es une Omega, Clara. Tu as un rôle à jouer, et ce rôle n'implique pas de te jeter tête baissée dans des situations dangereuses."
Mon sang ne fit qu'un tour. "Et c'est quoi exactement ce rôle, Gabriel ? Obéir aveuglément ? Courber l'échine ? Rester dans l'ombre pendant que les autres prennent toutes les décisions ?"
Il sembla surpris par mon éclat, mais il ne recula pas. "Ce n'est pas ce que j'ai dit. Mais il y a un équilibre à respecter. Chaque membre de cette meute a sa place, et la tienne-"
"Ma place," l'interrompis-je, "n'est pas de rester silencieuse pendant que les autres se battent. Si je peux aider, alors je le ferai, peu importe ce que tu en penses."
Un silence tendu s'installa entre nous. Gabriel me fixait avec une intensité qui me fit frissonner, mais je refusai de détourner le regard. Finalement, il soupira et secoua la tête.
"Tu es têtue," murmura-t-il.
"Et toi, arrogant," répliquai-je sans réfléchir.
À ma grande surprise, un sourire fugace passa sur son visage, mais il s'effaça presque immédiatement. "Fais attention, Clara. La prochaine fois, je pourrais ne pas être là pour te couvrir."
Ses mots résonnèrent comme un avertissement, mais au fond, je sentais qu'il y avait autre chose. Une inquiétude sincère, peut-être ?