La conversation avait commencé de manière anodine. Alessandro avait simplement demandé à Sofia comment elle avait réussi à tracer son chemin loin de l'ombre de son père. Mais ce qui suivit fut inattendu, une cascade de mots qu'elle semblait incapable d'arrêter, comme si elle avait attendu depuis longtemps que quelqu'un lui pose cette question.
« Mon père était... un homme cruel. Tout ce qu'il faisait, chaque décision qu'il prenait, c'était pour son propre intérêt. Je suppose que dans son monde, c'était une qualité, mais je ne pouvais pas le supporter. J'ai passé toute mon adolescence à essayer de comprendre pourquoi il était incapable d'aimer qui que ce soit d'autre que lui-même. » Elle s'interrompit, luttant contre l'émotion qui montait en elle.
Alessandro l'écoutait avec une attention feinte, hochant légèrement la tête comme pour l'encourager à continuer. Il pouvait sentir la douleur derrière ses mots, une blessure profonde qui n'avait jamais vraiment guéri.
« Il a détruit tant de vies, et je ne parle pas seulement de celles de ses ennemis. Ma mère... » Sa voix se brisa un instant, mais elle reprit rapidement. « Ma mère n'a jamais eu la chance d'être heureuse. Elle passait son temps à essayer de l'apaiser, à réparer les dégâts qu'il causait, mais ça n'a jamais suffi. Et moi... j'étais là, coincée au milieu de tout ça, à me demander si j'étais destinée à devenir comme lui. »
« Vous n'êtes pas comme lui. » La voix d'Alessandro était douce, mais ferme, une déclaration qui semblait couper court à son tourbillon de pensées.
Elle le regarda, surprise par la certitude dans son ton. « Comment pouvez-vous en être si sûr ? »
Il haussa les épaules avec un sourire qui semblait sincère. « Parce que quelqu'un comme lui ne se soucierait jamais de ce genre de questions. Vous, vous portez le poids de ses erreurs, même si ce n'est pas votre fardeau à porter. Cela prouve que vous êtes tout son opposé. »
Sofia détourna les yeux, un mélange de gratitude et de méfiance traversant son regard. Elle n'était pas habituée à ce genre de validation, surtout de la part d'un homme comme Alessandro.
« Parfois, je me dis que le meilleur moyen de tourner la page serait de tout oublier, de changer de nom, de disparaître quelque part où personne ne connaît mon passé. Mais ce n'est pas si simple, n'est-ce pas ? »
Il pencha légèrement la tête, comme s'il pesait ses mots. « Non, ce n'est pas simple. Mais ce n'est pas impossible non plus. Vous méritez de pouvoir avancer, de construire quelque chose qui vous appartienne, sans ce poids constant. »
« Et comment ? » demanda-t-elle, un éclat de défi dans la voix. « Vous pensez vraiment qu'il suffit de vouloir pour se débarrasser de ça ? Il y a toujours quelqu'un pour me rappeler d'où je viens. Comme cet avocat, ou ces créanciers qui pensent que je dois payer pour ce qu'il a fait. »
Alessandro sentit une ouverture, une faille dans laquelle il pouvait s'engouffrer. Il se pencha légèrement vers elle, ses yeux capturant les siens. « Peut-être que vous n'avez pas à le faire seule. Peut-être que vous avez juste besoin d'un peu d'aide, de quelqu'un pour vous soutenir pendant que vous reprenez le contrôle de votre vie. »
Elle le regarda avec suspicion. « Et vous pensez être cette personne ? »
Il sourit, un sourire calculé, parfaitement calibré pour paraître honnête. « Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je sais ce que c'est que de vouloir se libérer du passé. J'ai mes propres démons, Sofia. Peut-être que nous pouvons nous entraider. »
Elle plissa les yeux, hésitante. « En quoi pourriez-vous m'aider ? »
Il s'appuya contre le dossier de sa chaise, prenant un ton légèrement plus léger. « Professionnellement, pour commencer. Vous avez une galerie, n'est-ce pas ? Peut-être que je pourrais vous aider à attirer de nouveaux mécènes, à vous faire un nom indépendant de celui de votre père. »
« Et pourquoi feriez-vous ça ? » demanda-t-elle, son regard perçant.
Il haussa les épaules, comme si la réponse était évidente. « Parce que je crois en vous. Et peut-être aussi parce que je sais ce que c'est que de vouloir prouver qu'on est plus que le nom qu'on porte. »
Sofia se renfrogna légèrement, visiblement peu convaincue. Mais Alessandro savait qu'il avait planté une graine. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle accepte tout de suite, mais il voyait dans ses yeux qu'elle considérait l'idée.
« Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée », dit-elle finalement.
« C'est votre choix », répondit-il avec une douceur calculée. « Je ne suis pas ici pour vous forcer à quoi que ce soit. Mais si vous changez d'avis, sachez que je suis là. »
Elle acquiesça lentement, toujours méfiante, mais quelque chose dans son expression s'était adouci.
Le reste de leur conversation dériva vers des sujets plus légers, mais Alessandro pouvait sentir qu'il avait gagné un petit peu plus de sa confiance. Elle n'était pas encore prête à lui ouvrir complètement la porte, mais il avait le temps.
Alors qu'il la raccompagnait chez elle, il remarqua le poids légèrement plus léger dans ses pas, comme si le simple fait de parler lui avait permis de relâcher un peu de tension.
« Merci », dit-elle doucement en arrivant devant son immeuble.
« Pour quoi ? »
« Pour m'écouter. Peu de gens le font. »
Il sourit, s'inclinant légèrement. « Toujours un plaisir, Sofia. Bonne nuit. »
Alors qu'il s'éloignait, il sentit une satisfaction froide monter en lui. Le jeu avait commencé, et il était déjà en train de gagner.