Alessandro n'était pas homme à laisser quoi que ce soit au hasard. Dès sa première rencontre avec Sofia, il avait su qu'elle serait plus qu'un simple pion dans son plan de vengeance. Pourtant, il ne pouvait pas se permettre d'être imprudent. Elle n'était pas son père, cela transparaissait dans sa manière de parler, dans la simplicité de son comportement, dans la sincérité presque désarmante de ses sourires. Mais cela ne la rendait pas moins utile.
Installé dans son appartement londonien temporaire, il feuilletait les rapports détaillés que Carlo lui envoyait régulièrement. La vie de Sofia était terriblement ordinaire, presque ennuyeuse. Pas de scandales, pas de fréquentations douteuses, aucune trace de richesse extravagante. Elle payait son loyer à temps, gérait ses finances avec soin, et travaillait dur pour maintenir sa galerie à flot. Une existence simple, dépourvue de tout le faste auquel Alessandro était habitué.
Mais ce n'était pas cette banalité apparente qui attirait Alessandro. C'était cette vulnérabilité qu'elle semblait dégager, cette impression qu'elle n'appartenait pas au monde brutal dans lequel son père avait prospéré. Cela rendait son approche plus complexe, mais aussi plus fascinante. Il devait s'assurer de la garder proche sans jamais révéler ses véritables intentions.
Quelques jours plus tard, Sofia sortait de la galerie après une matinée épuisante. Elle serra son écharpe autour de son cou, perdue dans ses pensées. Ses finances personnelles étaient toujours précaires. Le loyer de la galerie pesait lourd sur ses épaules, et les mécènes n'étaient pas toujours aussi généreux qu'elle l'espérait. Pourtant, elle tenait bon, refusant de demander de l'aide ou de baisser les bras.
Alors qu'elle marchait dans une rue animée, un homme en costume sombre l'interpella. Il était grand, imposant, et ses yeux froids la firent immédiatement se raidir.
« Mademoiselle Petrov ? »
Elle s'arrêta, hésitante. « Oui, c'est moi. Qui êtes-vous ? »
L'homme sortit une carte de visite qu'il lui tendit avec un sourire professionnel. « Je suis William Harris, avocat représentant les créanciers de votre père. Nous devons discuter de ses dettes. »
Son cœur se serra. Elle avait tout fait pour se tenir à distance des affaires de Viktor Petrov, pour se détacher de son héritage toxique. Pourtant, cela la rattrapait toujours.
« Je crois que vous faites erreur », dit-elle en tentant de rester calme. « Mon père est décédé, et je ne suis pas impliquée dans ses affaires. »
L'homme secoua la tête, implacable. « Vous portez son nom, mademoiselle Petrov, et malheureusement, cela suffit. Les dettes qu'il a laissées sont substantielles, et en l'absence d'autres héritiers, la responsabilité vous revient. »
Sofia sentit le sol se dérober sous ses pieds. « Je ne peux pas payer. Je n'ai rien à voir avec ses activités. »
« Nous pouvons trouver un arrangement », dit-il d'un ton presque condescendant. « Mais je vous conseille de coopérer. Sinon, les conséquences pourraient être... compliquées. »
Elle voulait répliquer, mais les mots lui manquaient. L'idée de devoir répondre des crimes de son père, de porter un fardeau qu'elle n'avait jamais voulu, la terrifiait.
C'est à ce moment qu'une voix familière interrompit leur échange.
« Est-ce ainsi que vous traitez une dame ? »
Sofia tourna la tête pour voir Alessandro, son visage calme mais ses yeux d'une intensité redoutable. Il s'approcha d'un pas sûr, se plaçant instinctivement entre elle et l'avocat.
Harris, pris de court, recula légèrement. « Monsieur, cette affaire ne vous concerne pas. »
« Tout ce qui concerne Sofia me concerne », répliqua Alessandro avec une froideur tranchante. Il tourna la tête vers elle, son expression adoucie. « Est-ce que cet homme vous importune ? »
Sofia, toujours sous le choc, hocha légèrement la tête. « Il dit que je dois payer les dettes de mon père. »
Alessandro se redressa, dominant Harris de toute sa hauteur. « Elle ne doit rien. Et si vous avez une quelconque réclamation, vous pouvez la transmettre à mon avocat. Maintenant, disparaissez. »
Harris hésita, mais le regard d'Alessandro ne laissait aucune place à la négociation. L'avocat finit par s'éloigner, visiblement contrarié, laissant Sofia et Alessandro seuls dans la rue.
Elle croisa les bras, essayant de cacher son trouble. « Vous n'étiez pas obligé d'intervenir. »
« Bien sûr que si », répondit-il calmement. « Vous n'avez pas à affronter ce genre de personnes seule. »
Sofia baissa les yeux, submergée par un mélange de honte et de soulagement. « Merci. Je ne sais pas pourquoi il pense que je suis responsable. Je n'ai rien à voir avec les affaires de mon père. »
« Je sais », dit Alessandro, sa voix étonnamment douce. « Mais ces gens s'accrochent à n'importe quoi pour récupérer leur argent. Vous devez être prudente. »
Elle le regarda, cherchant à comprendre pourquoi cet homme, qu'elle connaissait à peine, se montrait si protecteur. « Pourquoi faites-vous ça ? Nous ne nous connaissons pas vraiment. »
Il hésita une fraction de seconde avant de répondre, calculant soigneusement ses mots. « Parce que je ne supporte pas l'injustice. Et parce que je crois que vous méritez qu'on vous aide. »
Sofia sentit ses joues s'empourprer. Elle n'était pas habituée à ce genre d'attention, et encore moins à une gentillesse aussi désintéressée. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de se demander si cela était sincère.
Ils marchèrent un moment en silence, Alessandro adaptant son rythme au sien. Il la laissa parler, raconter son combat pour s'éloigner du passé, sa lutte pour maintenir la galerie à flot. Il écoutait attentivement, posant des questions précises mais jamais intrusives.
Lorsqu'ils atteignirent un café, il insista pour qu'ils s'arrêtent. « Vous avez besoin de vous détendre », dit-il en souriant.
Ils s'installèrent à une table, et Sofia, bien que toujours méfiante, se sentit étrangement apaisée en sa présence. Alessandro avait une manière de lui parler qui lui donnait l'impression qu'elle pouvait baisser sa garde, qu'il comprenait ses craintes sans les juger.
Mais derrière ce masque de bienveillance, Alessandro calculait chaque mouvement, chaque mot. Il savait qu'il venait de franchir une étape cruciale. En se positionnant comme son protecteur, il gagnait sa confiance, créant un lien qu'il pourrait exploiter plus tard.
Pourtant, alors qu'il la regardait sourire timidement, une part de lui se demanda s'il ne jouait pas avec un feu qu'il ne pourrait pas contrôler.