Sofia s'était toujours tenue éloignée des projecteurs, un choix qu'elle assumait pleinement. Travailler dans une galerie indépendante à Londres lui offrait une certaine tranquillité, une vie où son nom de famille ne portait pas le poids des scandales de son père. Viktor Petrov avait laissé derrière lui un sillage de destruction, mais Sofia refusait de se laisser définir par cet héritage. Elle menait une vie modeste, presque anodine, concentrée sur sa passion pour l'art et son désir de construire quelque chose qui lui appartenait en propre.
Elle passait ses journées entourée de toiles et de sculptures, ses doigts souvent tâchés de peinture ou de poussière. Ses collègues l'appréciaient pour sa gentillesse et son sérieux, mais Sofia restait réservée, gardant les autres à distance raisonnable. Peu savaient qu'elle était la fille d'un magnat russe déchu, et elle comptait bien préserver ce secret aussi longtemps que possible.
Un matin, alors qu'elle triait les invitations pour un gala caritatif organisé par l'une des mécènes de la galerie, son téléphone vibra sur le bureau. Elle fronça les sourcils en voyant le nom de son amie Clara s'afficher.
« Clara, je t'ai déjà dit que je ne viendrai pas à ce gala. Ce n'est pas mon genre. »
« Sofia, arrête de faire la sauvage. Ce genre d'événements est important pour toi, pour la galerie. Imagine les opportunités, les contacts ! Et qui sait, tu pourrais même rencontrer quelqu'un d'intéressant. »
Sofia soupira. Clara avait ce don pour insister jusqu'à ce qu'elle cède. « Très bien, mais je ne reste pas longtemps. »
Le soir du gala, Sofia choisit une robe simple mais élégante. Elle voulait se fondre dans la masse, observer sans attirer l'attention. En arrivant, elle fut immédiatement assaillie par des visages souriants, des conversations mondaines et des coupes de champagne tendues sur des plateaux argentés. Ce n'était pas son monde, et elle le sentait dans chaque fibre de son être.
De l'autre côté de la salle, Alessandro Romano observait la scène avec un calme calculé. Il n'était pas ici pour socialiser ou soutenir une quelconque cause. Son objectif était clair : Sofia Petrov. Lorsqu'il l'aperçut enfin, une satisfaction froide passa sur son visage. Elle était là, exactement comme il l'avait imaginée, bien que légèrement plus nerveuse, ses gestes trahissant un léger malaise.
Alessandro attendit, patient comme un prédateur. Il ne voulait pas l'effrayer, pas encore. Il avait l'intention de se rapprocher lentement, de s'introduire dans son monde sans qu'elle se doute de ses véritables intentions.
Sofia, de son côté, se tenait près du bar, un verre de vin blanc à la main. Elle écoutait distraitement un galeriste bavard qui lui parlait d'une exposition récente. Elle acquiesçait par politesse, mais son esprit vagabondait. Elle se sentait déjà épuisée par cette soirée, mais elle savait que partir trop tôt serait impoli.
C'est alors qu'elle sentit un regard. Elle tourna légèrement la tête et croisa celui d'un homme debout à quelques mètres. Il était grand, impeccablement habillé, avec une présence magnétique qui semblait dominer l'espace autour de lui. Lorsqu'il vit qu'elle l'avait remarqué, il esquissa un sourire, un mélange de chaleur et de mystère.
Alessandro s'avança lentement, son pas sûr mais non menaçant. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, il tendit la main.
« Alessandro Romano. Enchanté. »
Sofia, prise au dépourvu, lui serra la main. « Sofia. Sofia Petrov. »
Le nom sembla suspendre le moment, mais Alessandro ne montra aucun signe de reconnaissance, bien qu'il le savourait intérieurement. Elle venait de confirmer son identité, sans savoir qu'il le savait déjà.
« Petrov », répéta-t-il comme s'il le goûtait, un sourire presque imperceptible aux lèvres. « Vous êtes russe ? »
Elle hocha la tête. « Oui, mais je vis à Londres depuis des années. Et vous, monsieur Romano ? Italien, je suppose ? »
« Guilty as charged », répondit-il avec un sourire amusé. « Mais Londres a son charme, vous ne trouvez pas ? »
Sofia haussa légèrement les épaules. « C'est une ville pratique. »
Alessandro sourit. Elle était prudente, choisissant ses mots avec soin, mais cela ne faisait que renforcer son intérêt. Il lui tendit une coupe de champagne qu'il venait de prendre d'un plateau.
« Et que fait une jeune femme aussi fascinante que vous dans un endroit comme celui-ci ? »
Elle rit doucement, un son léger mais sincère. « J'essaie de représenter ma galerie, même si ce genre de soirée n'est pas vraiment mon terrain de prédilection. »
« Une galerie, dites-vous ? Vous êtes artiste ? »
« Pas vraiment. Je travaille surtout en coulisses. Je mets en valeur le travail des autres. »
Alessandro la fixa avec une intensité maîtrisée. Elle ne mentait pas, mais il pouvait sentir qu'elle retenait des parties d'elle-même. Il posa son verre sur une table proche et s'approcha légèrement, réduisant la distance entre eux.
« Vous devriez me montrer votre galerie un jour. J'aimerais voir ce qui vous passionne. »
Sofia fronça légèrement les sourcils. « Vous êtes intéressé par l'art ? »
« Disons que je suis curieux par nature. Et je sais reconnaître quelque chose d'unique quand je le vois. »
Ses paroles, bien que simples, avaient un poids qu'elle ne pouvait ignorer. Il y avait une intensité dans ses yeux, une confiance qui semblait presque déstabilisante. Sofia détourna légèrement le regard, essayant de se recentrer.
« Eh bien, nous serions ravis de vous accueillir », répondit-elle finalement, gardant un ton professionnel.
Il sourit, satisfait. Elle n'avait aucune idée du piège qui se refermait doucement autour d'elle. Leur première rencontre avait été brève mais efficace, et Alessandro savait qu'il venait de franchir la première étape.
Lorsque Sofia quitta le gala ce soir-là, Alessandro la regarda partir, son esprit déjà occupé à planifier leur prochain échange. Il n'y avait rien de hasardeux dans ses actions, chaque mouvement calculé, chaque mot soigneusement choisi.
Sofia Petrov ne savait pas encore qu'elle venait de croiser un homme qui ne s'arrêterait devant rien pour obtenir ce qu'il voulait. Et ce qu'Alessandro voulait, c'était bien plus que sa simple confiance. C'était sa rédemption, sa vengeance, et peut-être, si les circonstances le permettaient, quelque chose qu'il n'avait jamais prévu : un lien qu'il ne pourrait pas briser.