J'ai déposé Haven à l'internat le dimanche soir, et aujourd'hui, je suis déjà sur mon lieu de travail. Il est six heures cinquante, et je pénètre dans les locaux de Sun & Fils. Précédemment, j'avais fait une entrée un peu bizarre en courant pour atteindre l'ascenseur, mais cette fois-ci, mon arrivée paraît plus calme. Vêtue d'une robe noire droite, courte et sans manches, avec une veste par-dessus, je marche en direction de l'ascenseur, le claquement de mes talons aiguilles résonnant sur le sol. Déjà à cette heure-là, il y avait du personnel, à qui je lance un bonjour rapide.
La réceptionniste avait été prévenue de mon arrivée, et elle m'a dirigée vers le bureau du PDG après m'avoir remis la clé. Son bureau était au vingtième étage, et je m'y rends, toute sereine, un sourire aux lèvres. C'était le début d'une histoire dans laquelle je serai l'héroïne !
Je pénètre dans le bureau à sept heures moins trois. Le ménage a sûrement été fait par le nettoyeur personnel de monsieur. Tout semble propre, aucun grain de poussière ne flotte dans l'air. Ayant déjà pris les consignes deux jours plus tôt, je n'y prête plus attention. Son bureau est décoré de manière sombre, entouré de tableaux d'art et de statuettes en bois. Leurs prix doivent me coûter un bras.
Mon bureau est un peu éloigné du sien, mais j'ai une vue parfaite sur tout ce qui se passe, même depuis là. À moins qu'il ne ferme les volets, bien sûr. Je dépose mes affaires et m'approche de la machine à café, qui se trouve à quelques mètres de son bureau. Je prépare le café de monsieur, comme indiqué dans le message : une tasse de café corsé, avec trois morceaux de sucre.
Un parfum masculin, Moschino, effleure mes narines. Je le reconnaîtrais entre mille. C'était le sien, mais il n'était pas encore dans le bureau. Je sens sa présence et en déduis qu'il se tient près du seuil. Lorsque j'insère sa mini-cuillère dans la tasse, je le vois entrer dans la pièce. Visage fermé, mine sérieuse, mais toujours aussi charmant. Son costume blanc kaolin, assorti à une cravate serrée autour du cou, était tape-à-l'œil. Sa démarche, digne d'un mannequin, lui permet de rejoindre son bureau en un rien de temps, sans même me prêter attention. Quelle arrogance !
« Bonjour, monsieur Tolle. Votre café, » dis-je après qu'il soit assis.
Un simple hochement de tête me répond, et je dépose le café sur sa table. Je me retourne et rejoins mon bureau pour sortir ma tablette et mon bloc-notes. Je le rejoins alors qu'il sirote son café avec élégance.
« J'ai parcouru les documents que vous m'avez envoyés. Depuis le départ de votre ancienne assistante, vous avez arrêté les rendez-vous. Ils sont au nombre d'une trentaine qui avaient été retenus. J'ai planifié un rendez-vous avec tout ce monde avant d'entamer ceux des nouvelles demandes. Aujourd'hui, vous avez dix rendez-vous, et le premier commence dans moins de trente minutes. Il s'agit de la société Duc Import, qui souhaite établir un partenariat avec l'entreprise et recevoir des voitures venant de chez nous. C'est un partenariat risqué, alors j'ai insisté pour que la PDG soit présente. Il s'agit de Laure Duc. »
Alors que je relève les yeux pour poser mon regard sur son visage, je le surprends me fixer avec stupeur. Il dissimule rapidement son émotion en ajustant sa cravate. Peut-être est-il étonné par mon éloquence et ma rigueur, alors qu'il ne s'y attendait pas.
« Dix rendez-vous ? » me demande-t-il fermement.
« Je voulais en planifier une quinzaine, mais si vous préférez, je peux en ajouter d'autres en moins de vingt minutes, » réponds-je du tac au tac, feignant de ne pas avoir remarqué le ton qu'il a utilisé. Dix rendez-vous en une journée, c'était fait exprès.
« Ça va ! Ramenez la tasse de café, j'aimerais qu'elle soit plus corsée la prochaine fois. Et prévenez-moi lorsque le rendez-vous sera prêt, » dit-il.
« D'accord, monsieur. »
**Point de vue de Aaron**
Je ne laisse rien paraître de mon étonnement. Je ne m'y attendais pas. Peut-être qu'en fin de compte, elle n'était pas aussi ignorante que je le pensais. Je ne pensais pas que le travail serait aussi bien fait, aussi remarquable dès la première journée. Si c'était mon ancienne assistante, j'aurais déjà trouvé des imperfections.
J'étais à mon sixième rendez-vous, et la fin coïncidait avec l'heure de la pause déjeuner. Je reçois un rapport détaillé de tout ce qui s'est dit dans la salle de réunion, et je dois avouer que je suis subjugué par son professionnalisme. Elle m'étonne, en une seule journée.
« Je pense que cette offre ne nous avantage pas. Sun est une grande entreprise, et c'est très risqué d'investir dans une petite société sans être certain de recevoir les parts évoquées. Ils n'ont pas un chiffre d'affaires élevé, » dit-elle, le regard fixé sur sa tablette.
« J'y ai pensé aussi, c'était ma conclusion. Appelez-les et rejetez l'offre. Sur six, deux entreprises répondent à nos attentes. Vous attendrez la fin de la journée pour leur annoncer l'approbation, » réponds-je pour rassurer ses inquiétudes.
« C'est noté. La prochaine réunion sera après la pause. Avez-vous besoin de quelque chose ? Dois-je vous commander à manger ou y a-t-il autre chose que je dois faire ? »
« Voici ma carte. Vous commanderez des burgers, des frites, du poulet KFC et une boîte de jus de pomme au restaurant à deux mètres d'ici. Vous me rapporterez le tout dans mon salon. »
« Bien, » dit-elle en prenant la carte que je lui tendais.
Elle quitte la pièce et prend le téléphone fixe pour passer ma commande, qu'elle avait soigneusement notée. Incroyable ! Je ne savais pas qu'elle était aussi attentive à tout. Lors de notre première rencontre, je n'avais vu qu'une personne bavarde, ignorante et négligente. Mais finalement, je pourrais bien revoir mon jugement... ou peut-être devrais-je attendre une semaine avant de tirer des conclusions.
Alors qu'elle retourne dans son bureau, je me glisse dans mon salon, desserre ma cravate et m'installe dans mon canapé. Ce salon est entièrement vitré et offre une vue paisible. Je sors la boîte de seringues que j'ai installée dans un de mes tiroirs. J'ai délibérément raté ma dose d'hier, et il faut que je me rattrape pour éviter une crise devant ma nouvelle assistante aux joues enflées. Mon corps est parcouru de spasmes au contact de la substance dans mes veines, et je ferme les yeux pour souffler négligemment.
Lorsque je reviens à moi, je range la boîte et prends ma tête entre mes mains. Putain de merde ! Quand est-ce que ça va s'arrêter ? J'ai essayé, mais j'en suis complètement possédé.
Quand je pense à comment tout cela a commencé, je ressens une déchirure dans ma poitrine. Peut-être que je n'aurais pas dû faire certaines choses, peut-être que je n'aurais pas dû suivre certaines instructions. Je ne savais pas que cela aurait un impact sur moi, sur ma vie, sur mon être tout entier. Je souffre moralement, mentalement, physiquement !
C'est si dur, si dur de faire semblant d'aller bien. Je suis devenu l'ombre de moi-même depuis qu'il est mort... lui aussi...