Cette dépression avait été causée par des crises de boulimie intenses. Tout avait commencé par des moqueries sur mon poids. Peu après, je vomissais dans les toilettes, enfonçant mes doigts dans ma gorge avec une habileté déconcertante. C'est ma sœur qui avait tout découvert, et mes parents m'avaient immédiatement emmenée voir un médecin. On m'avait prescrit des médicaments. Grâce à eux, j'ai pu sortir la tête de l'eau et terminer mes études. Je n'en parlais à personne, mais je n'avais jamais réussi à me débarrasser de mon stock de médicaments. Et me revoilà, des années plus tard, replongée dans le même gouffre. Grande malade que j'étais, mon premier réflexe fut de me souvenir où je les avais rangés. Par instinct, j'ai ouvert le placard et ils étaient là, devant moi, comme s'ils m'attendaient. Ils semblaient guetter le moment où je replongerais dans cette spirale, si sournoise, si familière, si perversement réconfortante.
Personne n'avait vraiment cru à ma guérison, et ils avaient bien raison. Moi-même, je n'y ai jamais vraiment cru. Tout le monde savait que tôt ou tard, je finirais par redevenir folle. Comme une bombe à retardement, prête à exploser au moment où on s'y attend le moins. Au lycée, je m'engouffrais dans les médicaments pour échapper à la réalité qui m'entourait. Apparemment, rien n'avait changé.
Seule dans mon appartement, je me suis mise à rire. Un rire creux, sans la moindre trace de joie, qui dévoilait plus de détresse que de réelle amusement. C'était tellement cliché de se tourner vers les médicaments pour apaiser un esprit tourmenté. On voit ça partout, dans les films, dans les livres, les célébrités l'ont déjà fait avant moi. Peut-être que je me calquais déjà trop sur la vie des autres. On se bourre de médicaments, on devient dépressif, puis on fait une overdose, c'est ça ? C'est tellement cliché, mais malheureusement, c'était la seule méthode que j'avais trouvé sur le moment pour éviter de me jeter par la fenêtre. Tout ce qui pouvait anesthésier cette douleur profonde en moi, je le prenais, sans me poser de questions. Une solution comme une autre, même si je savais bien qu'elle ne fonctionnerait pas pour moi. Jour après jour, je devenais une menace pour moi-même. Sans aucun contact avec l'extérieur, incapable de demander de l'aide, je devenais l'ombre de ce que j'étais. J'aurais donné n'importe quoi pour disparaître, tout simplement, dans le silence le plus total, loin des regards de mes proches.
En partant, aussi brusquement et sournoisement qu'il l'a fait, j'ai commencé à avaler des somnifères, toujours accompagnés d'alcool, dans un estomac que je privais de nourriture. Certes, je ne ressentais plus la douleur, je dormais presque tout le temps, mais j'étais devenue extrêmement faible. Et quand je dormais, les cauchemars ne me laissaient jamais en paix. Des images horribles, des cris, des voitures en feu, des explosions partout. Une pluie incessante qui me submergeait, mes cris de terreur que personne n'entendait parce que j'étais toujours seule, dans mes rêves. Des camions lancés à toute vitesse, des corps sans vie couvrant des routes entières. Des nuées de libellules s'abattant sur le corps sans vie de David. Et David, avec ses yeux éteints, me suppliant de raccrocher. Je m'infligeais cette torture toute seule, ces images sortaient tout droit de ma propre tête. Étrange, car je n'avais jamais eu beaucoup d'imagination, sauf pour écrire de la poésie, souvent romantique d'ailleurs. Dans tous ces cauchemars, un brouillard revenait sans cesse. Comme une sorte de métaphore, un message que je ne pouvais déchiffrer parce que je n'avais plus la force de réfléchir. Après le brouillard, la pénombre qui me paralysait de peur. Je hurlais, je me noyais dans cette obscurité qui m'étouffait. C'était comme si je mourais chaque nuit. Il n'y avait personne pour me rassurer, pour me dire que tout ça n'était que dans ma tête. Non, il n'y avait que moi, le brouillard, et l'obscurité. Ajoutez à cela ma propre douleur et l'angoisse de devoir revivre ce cauchemar encore et encore, chaque jour, jusqu'à la fin de ma vie.
La vie ne m'apparaissait plus, elle était engloutie par les ténèbres. Un robot aurait été plus réactif que moi. Au moins, il aurait activé son instinct de survie, se nourrir pour ne pas mourir, prendre une douche, ou au moins contacter ses proches. Vivre en autarcie comme je le faisais ne pouvait pas durer éternellement, j'avais besoin d'aide, mais je ne pouvais pas penser correctement. Seuls le froid, la douleur et l'engourdissement de mon corps me rappelaient que j'étais encore en vie. Quand le désespoir devenait insupportable, je sortais juste pour aller au supermarché, remplir un chariot de bouteilles d'alcool, que je consommais à une vitesse effrayante. Les caissiers devaient penser que je préparais une fête, mais en réalité, je préparais ma propre destruction, méthodiquement et radicalement, avec des médicaments et de l'alcool. Autant dire que mes journées semblaient interminables.
En partant, comme il l'a fait si brusquement et sournoisement, j'ai réalisé que je ne savais pas vivre pour moi-même. David avait toujours été ma seule raison de vivre, et cette raison venait de disparaître. De la lumière aux ténèbres, il n'y a qu'un pas. David était devenu ma seule raison de mourir à mon tour. Et c'est alors que j'ai complètement perdu pied. Déjà que je n'avais plus beaucoup de contrôle, la situation m'échappa totalement. Les médicaments se sont retrouvés alignés devant moi, comme par magie. Je ne me souvenais pas en avoir autant, ma pharmacie semblait sans fin. Les somnifères ne suffisaient plus, alors je suis passée à autre chose. Tout un tas de médicaments, petits et grands, colorés et blancs, se sont retrouvés dans mon estomac. Et je ne lisais pas les étiquettes. Je n'avais aucune idée de ce que j'ingurgitais, mais ça passait bien avec la vodka. Est-ce que ces médicaments allaient avoir un effet ? Je n'en savais rien, et ça ne m'effrayait même pas. J'étais impatiente de voir ce qui allait se passer. Je voulais juste disparaître, et avec ce que je venais de prendre, le résultat ne pouvait être que définitif. Ce n'est qu'après avoir tout avalé que j'ai réalisé ce que j'avais pris. Des antidouleurs, du paracétamol, du sirop pour la toux, des anti-inflammatoires. Aussi dramatique que cela puisse paraître, je me suis mise à rire de façon incontrôlable. J'avais perdu le contrôle comme jamais auparavant, et j'étais étrangement fière de moi. J'avais enfin accompli quelque chose, pour une fois dans ma vie.
À peine cinq minutes s'étaient écoulées depuis que j'avais avalé les cachets, noyés dans la vodka.
Enfin, la sérénité s'emparait de moi, après des jours de tourments. Durant quelques instants, je m'accrochais à l'idée que j'avais finalement fait quelque chose de bien pour moi-même. C'était sans doute ce dont j'avais besoin pour oublier le tournant brutal que ma vie venait de prendre. L'amour de ma vie s'était éteint, et je souhaitais ardemment que cette même lumière vienne me chercher, moi aussi. Dans l'autre monde, on peut sûrement conduire à toute allure sans risque, c'était probablement ce que David faisait à cet instant. Conduire, boire en même temps, sans aucune conséquence. Le rêve pour quelqu'un comme moi, qui perdait la tête. Peut-on imaginer un seul instant que la personne qu'on aime le plus puisse disparaître d'un coup, et ne plus jamais prononcer notre nom ? L'idée que David ne me rappellerait plus jamais me dévastait totalement. Je n'étais pas prête pour ça, et je refusais d'accepter cette réalité, malgré ce que ma psy m'avait toujours dit, même quand j'étais boulimique.