- Écoute, reprend Elize, je sais que ce doit être dur pour toi mais voilà, on ne pouvait de toutes manières rien attendre de c'type. Avec sa formule magique loufoque et son apparence glauque... C'est difficile mais il faut bien que tu passe à autre chose. Arrête de penser au passé et pense plutôt à nous trois, dans deux ans, dans notre petit appartement loin d'ici, comme dans nos rêves.
- Oui.
- ...pense aussi à toi et Gab'... Je veux dire, tu as vraiment du bol d'avoir mis un gars comme lui dans ta poche.
Se retournant soudain, elle fixe Elizabeth qui a les yeux baissés.
- Mais Elize, je-, commence t-elle avant de se faire interrompre par un bruit de cailloux lancés contre la vitre.
Elles s'échangent alors toutes les deux un regard interrogateur avant de se diriger ensemble vers la provenance du bruit. En bas, se trouve Gabriel qui leur fait de grands signes de main. Chloé fait coulisser la baie vitrée pour comprendre ce qu'il veut.
- Apprêtez vous, vite. Vous devez voir ce qui se passe dehors.
Elles se préparent donc puis descendent pour rejoindre Gabriel dans la cour de l'orphelinat.
- Ce matin, commence t-il, Ma mère m'a chargé d'aller nous procurer du lait à l'épicerie. J'y suis allé et j'ai vu des commerces qui n'existaient pas hier. J'ai croisé des garçons en skateboard et j'ai même failli me faire percuter par une Ferrari. Non mais une Ferrari, les filles ! Qu'est-ce que ça fait ici, dans ce trou perdu ?
- Peut-être que Stéphane, l'autre gosse de riche, fête son anniv', propose Elize.
- J'ai pensé à la même chose alors je suis allé voir mais à la place de son immense maison il y a un chantier.
- C'est bizarre, dit Chloé.
- Il faudrait qu'on aille voir ça mais il faut un passe de Ma mère pour sortir, merde, jure Elizabeth passant sa main droite dans ses longs cheveux brun.
- Non, tôt ce matin, le garde était absent et il n'est toujours pas là. En gros pas besoin d'un mot de Ma mère, répond Gabriel. Aller, venez.
Ils sortent alors de l'orphelinat et vont voir de quoi parle Gabriel. En effet, il y a des commerces de fleurs, ce qui n'existait pas à peine hier. Il y a aussi de beaux jeunes hommes qui font du skateboard sur une place que Gabriel, Elize et Chloé n'ont jamais vu, alors qu'ils connaissent parfaitement chaque partie de cette ville comme leurs poches. Les oiseaux chantent et de la musique pop se fait entendre sortant d'un haut parleur du côté des skateurs. En plus de tout cela, il semble que chaque coin de rue est garni d'herbe, de fleurs et de grands arbres fleuris. La circulation automobile n'est pas abondante mais assez fréquente pour comprendre que, oui, dans cette ville, les gens vivent.
- Eh les gars ! Regardez là-bas ! La boucherie de Charles, elle est magnifique !, s'exclame Elizabeth.
Ils se retournent et regardent la boucherie dans laquelle ils étaient allé faire des courses hier encore. À la place d'une insigne décolorée et tombant en lambeau se trouve une nouvelle, parfaitement peinte dans des tons de rouge, de rose, et de blanc. Il y a aussi l'effigie d'un porc souriant près de cette insigne. Même la vitrine, qui paraissait comporter des traces de gras, est parfaitement net et propre. Aussi, la façade est peinte d'un blanc éclatant au lieu de la couleur grisâtre d'hier. Chez Charles, boucherie est méconnaissable.
- Venez qu'on aille lui dire bonjour. Et peut-être qu'il nous expliquera aussi ce qui s'passe, propose Elize.
Sans même attendre leur réponse, elle se précipite, presqu'en sautillant, à l'intérieur de la boucherie. Chloé et Gabriel la suivent.
Arrivé à l'intérieur, Elizabeth, sans hésiter, va s'appuyer à l'aide de ses coudes sur le comptoir du gérant qui est de dos, occupé à aiguiser une de ses plus grosses haches de cuisine. D'autre part, il porte des vêtements soignés d'une blancheur et d'une propreté sans faille, quoique sa silhouette ratatinée est toujours la même.
- Hey Charles ! Dis-moi, t'as enfin décidé de faire des efforts ? Eh bah il était temps, mon vieux. Mais t'as pas une idée de c'qui arrive à la ville par hasard ? Genre, tout le monde se comporte différemment et tout...
Aucune réponse. Aucun geste de la part de son interlocuteur. Un peu énervée d'être ainsi ignorée, Elize fait en sorte d'attirer son attention.
- Oh Charles, lui donnant une tape sur le côté du crâne. J'te parle !, rajoute t-elle lui tapant l'épaule. Mec, retourne toi au moins quand j'te parle !, finit-elle par dire en le poussant un peu vers l'avant.
Enfin, Charles pose sa hache, se retourne doucement et, en vérité, Elize aurait préféré mille fois tomber sur ses yeux injectés de sang. Ses yeux bleus foncés fatigués par le travail. Ses yeux cernés et aux coins extérieurs tombants. Au lieu de cela, les yeux qui l'accueillent sont des yeux entièrement noirs et une expression faciale extrêmement menaçante. Soudain, les mains du boucher agrippe la gorge d'Elizabeth et la soulève. Personne ne lui connait cette force, d'autant plus qu'Elize pèse près de soixante kilos sur le haut de ses dix-sept ans.
Elle étouffe. Elle se débat mais elle étouffe. Alors, Chloé, comme ayant reçu une décharge électrique, chasse la paralysie due au choc et crie en direction de Gabriel, lui tout autant figé depuis le début de la scène.
- Fais quelque chose, Gab' !
- O-Oui, oui... certainement, répond t-il.
Il s'approche alors de Charles et tapote sur l'un des bras avec lequel il serre toujours plus fort la gorge d'Elize.
- Heu... Mon bon monsieur, je sais que nous ne nous sommes pas toujours entendu, surtout pas sur le fait que vous avez tendance à couper la langue de vos brebis avant de les tuer pour "les calmer" comme vous dites, mais là j'ai besoin de votre bon sens. Alors si vous auriez l'amabilité de, s'il vous plaît, lâcher le cou de mon amie nous pourrions faire table rase et recommencer à zéro et, peut-être même, devenir ami à notre tour. ... Monsieur ?
Sans prévenir, le bon monsieur reçoit un coup sur la tête, certes pas assez fort pour l'assommer mais assez brutal pour qu'il lâche le cou de sa victime avant qu'elle ne perde connaissance. Le boucher se retourne alors et tombe sur Chloé, une planche à découper entre les mains. Il ne perd pas de temps et fait d'elle sa nouvelle victime : il lui donne une gifle qui fait balancer sa tête et la cogne violemment contre le comptoire. Elle tombe sur le sol, sonnée et, avant qu'elle n'ait le temps de comprendre ce qui lui arrive, Charles lui saute à la gorge avec la ferme intention de lui ôter la vie. Elle essaie de le renverser, de desserrer ses mains, ou de le griffer tout du moins mais rien y fait. Elle commence à avoir la vue trouble et se débat de moins en moins. Mais c'est lorsque l'obscurité est la plus complète que l'apparition soudaine de la lumière se fait encore plus belle.
Ainsi, sans s'y attendre, le visage de celui qu'elle a fini par croire être son futur assassin se crispe et tout son corps avec lui. Ses mains se desserrent alors, lentement, avant qu'il tombe de tout son poids sur Chloé. Derrière lui, debout, se trouve Elizabeth. Elle vient de lui enfoncer la hache de cuisine dans le crâne. Elle le renverse, libérant ainsi le corps de Chloé, et lui tend le bras.
- Lève toi, on s'tire.
Gabriel, quittant le coin de la pièce qu'il occupait durant ce temps, s'approche des deux jeunes filles.
- Oh mon Dieu, quelle boucherie, s'exclame t-il.
- Et tu te crois drôle ?
- Non, je n'essayais pas de faire une blague, Elize...
- Ferme la ! On bouge, finit elle par dire avant de prendre dans sa main droite celle de Chloé et d'arracher avec sa main gauche la hache de cuisine de la tête du boucher.