Nous arrivions presque en même temps que l'autre groupe. Moi et Emily, nous nous dépêchions de rejoindre Katy et les garçons afin de se raconter nos après-midis respectifs. Icare, quant à lui, ne voulut pas s'inviter et retourna à sa tente. Au moins, il n'avait plus l'air lunatique. Je trouvais même que c'était un grand pas.
Il était aux alentours de dix-huit heures trente, lorsque Jackson revint vers nous afin de nous faire visiter le camp.
- Ça ne prendra qu'une dizaine de minutes, ce n'est pas très grand ici. Dit-il en regardant mademoiselle Hélène.
Il nous montra l'accueil du camp, les toilettes qui, malheureusement étaient mixtes, de même pour les douches à l'air libre, cachées par une simple bande de bois, situées pas très loin de l'endroit où nous allions passer les nuits.
Génial, moi qui étais très pudique, cela allait être mémorable.
Vers 20h, mademoiselle Hélène nous rassembla et nous escorta au réfectoire afin de prendre le dîner du soir. Icare s'installa juste à côté de moi cette fois-ci. Cela ne devait pas étonner que moi, puisque mes amis me regardaient tous avec des grands yeux. Spécialement Katy qui était assise juste en face de moi.
Tout à coup, une bouffée de chaleur s'empara de mon corps. Il était tellement proche de moi, que je pouvais aisément sentir son odeur de jasmin, qui m'embaumait les narines à chaque inspiration que je prenais.
Icare, lui, agissait tout à fait normalement. Le plus naturellement il m'offrit son plus beau sourire. Je priais les dieux pour faire en sorte de ne pas rougir. Pourquoi il souriait comme ça sans raison ? C'était presque énervant de voir une telle perfection sur un visage... Enfin sur un être humain tout court.
Mais quelque chose attira mon attention.
- Tu n'as pas de plateau ? Demandai-je.
Tout le monde avait un plateau dans lequel nous mangions notre repas. Icare était la seule personne dans tout le réfectoire à ne pas en avoir. Son sourire s'effaça brièvement. Mais il finit par me répondre.
- Non, je n'ai pas très faim... pour le moment.
- Je ne t'ai jamais vu manger. Si tu ne manges pas, ça peut avoir de graves conséquences tu sais ?
- Tu ne t'inquiéterai quand même pas pour moi là, par hasard ? Dit-il au fur et à mesure que son sourire s'agrandissait.
- Hum... Peut être bien oui !
J'avais tout de même le droit de m'inquiéter de la santé de mes amis. Je ne voyais vraiment pas le problème.
Icare cessa de sourire pour une raison que j'ignore. Il renifla l'air discrètement. J'aurais pu jurer d'avoir vu ses pupilles se dilatés étrangement.
Il remarqua que je l'observait déjà attentivement. Il reprit instinctivement son sérieux.
************************
Nous retournions tous à nos tentes respectives après le repas. Au alentour de vingt-et-une heure, notre enseignante revint avec une monitrice du nom d'Alice afin d'allumer le feu de camp qui trônait là, au milieu de nos tentes.
De gigantesque flammes apparurent très vite et une intense chaleur ce dégagea alors du foyer. Nous nous rassemblions tous ensemble autour des flammes, assis sur des bancs en bois.
- Étant donné que c'est notre première nuit ici et que je suis très satisfaite du travail des deux équipes. Je vais vous récompenser comme il se doit. Dit-elle avant de se lever avec énergie et se diriger en direction de sa tente qui n'était qu'à quelques pas de là.
Elle plongea la tête la première, à l'intérieur de son habitation de fortune. Puis, elle semblait se débattre furtivement avec quelque chose.
- Fichu sac ! Finit-elle par lâcher.
Elle réapparut au bout de plusieurs minutes. Ses longs cheveux étaient dans tous les sens, quant à sa paire de lunettes, elle ne l'avait plus du tout.
C'était hilarant. Nous nous mîmes à rire tous ensemble. Même Icare rigolait et c'était la première fois que je le voyais rigoler comme ça, c'était très satisfaisant. Peut-être que grâce à moi il n'allait plus être seul.
Cette ambiance tellement simpliste était pourtant bien reçue par l'unanimité. La surprise que nous avait réservée mademoiselle Hélène était juste un énorme paquet de marshmallow. Elle en distribua une poignée à chacun, accompagnée par des petits piques en fer afin de les faire griller à même le feu de camp. C'est à ce moment précis que je m'étais rendu compte du genre de mentalité qu'avait mademoiselle Hélène.
Elle semblait d'apparence sérieuse et sans grande attraction. Mais au fond, c'était une éternelle enfant. Ce séjour dans les bois, sa façon de toujours prendre les choses bien, j'en étais persuadée. Cette dernière se retira dans sa tente, après nous avoir informés que l'extinction des feux et plus précisément du feu, devait se faire à vingt-deux heures trente et pas une minute de plus.
Nous passions le reste de la soirée à raconter des histoires d'épouvante autour du feu, profitant de ses flammes avant de l'éteindre. Je ne sais plus qui avait eu cette merveilleuse idée, mais mes soupçons ce posèrent sur les jumeaux.
Plusieurs histoires défilaient. Certaines plus effrayantes que d'autres. Tout ceci, n'empêcha pas mademoiselle Hélène de sortir de sa tente à vingt-deux heures trente tapantes, afin de renverser un sceau d'eau sur les faibles braises qui subsistaient encore.
- C'est l'heure d'aller dans vos tentes vous coucher, oust ! Lâcha-t-elle .
Nous nous exécutions. J'allais partager ma tente avec Katy, quoi de plus normal me diriez vous.
Katy et moi nous nous couchions côte à côte et nous nous mîmes à parler des garçons,
d'Icare également qui avait créé la surprise en s'installant près de moi. Enfin, de cette journée dans sa généralité. Quelques minutes plus tard. Silence. Nous venions de gagner toutes deux les bras de Morphée.
Dans la nuit, un bruit sec me tira de mon sommeil. Je me levai doucement et regardai en direction de Katy. Non, ce n'était pas elle. Cette dernière était en train de ronfler paisiblement endormit. Le bruit recommença, suivi d'un autre, puis d'un autre. Cela ressemblait beaucoup à des bruits de pas. Il était évident que quelqu'un dehors, prévoyait de se faire une escapade nocturne. Je regardai ma montre, elle affichait une heure cinquante-sept du matin. Il était si tôt ? ! Mais qui pouvait bien sortir à cette heure si tardive ? J'étais beaucoup trop curieuse, je voulais savoir qui était là, dehors, marchant près de nos tentes.
Je sorti de mon duvet et commençai à ouvrir le zip de la tente. Lentement, pour ne pas réveiller Katy. Je mis d'abord la tête dehors, l'air plus frais me frappa le visage. Il faisait sombre, trop sombre, pour distinguer quoi que ce soit. Heureusement que la lune, qui était pleine ce soir-là, illuminait toute l'obscurité de la nuit.
Instinctivement et je ne sais pas pourquoi, mes yeux se posèrent sur la tente d'Icare. Tente qui, à mon grand étonnement, avait été grossièrement refermée. C'était donc lui qui venait de sortir. Mais pourquoi ? J'étais bien trop curieuse.
Je n'allais pas tarder à connaître la réponse...
Je fit glisser le reste de mon corps hors de la tente, tout doucement afin de ne réveiller personne, et surtout pas mademoiselle Hélène. Je ne voulais vraiment pas avoir d'ennuis.
Une fois hors de la tente, je me redressai délicatement, afin d'observer les alentours. Ma myopie, et l'obscurité de la nuit n'arrangeaient pas les choses.
Cependant, au loin, je repérai une silhouette. Elle semblait avancer d'un pas étrangement rapide. Trop rapide même.
Les rayons lunaires confirmèrent mes soupçons. Je vis Icare, il était de dos, marchant droit devant lui. Sa grande taille le trahissait si facilement malgré son habile discrétion.
Mais où allait-il comme ça ? Se fichait-il vraiment des règles du campement ?
Je me doutais bien qu'il cachait quelque chose, mais il était évident qu'il ne m'en parlerait jamais de lui-même. Ma curiosité était trop grande. Je voulais...Non. Je devais savoir ce qu'il cachait .
Je décidai de le suivre, même si pour cela je prenais un risque. Si mademoiselle Hélène se rendais compte de notre absence, on allait avoir de gros ennuis. Et j'allais lui en mettre un seconde couche à celui-là, c'était de sa faute après tout.
J'enfilai à la va-vite mes petites claquettes. Je devais me dépêcher, ou j'allais le perdre de vue. Je quittai l'emplacement des tentes d'un pas silencieux, observant de loin la silhouette svelt du jeune homme s'éloigner un peu plus à chaque instant. Je ne devais absolument pas le perdre. Mais je devais également être discrète. S'il me voyait, mon plan tomberait à l'eau.
Je le rattrapai en laissant tout de même une certaine distance entre lui et moi et me mis à le suivre. Il faisait beaucoup trop sombre, mais j'étais déterminée.
Même si je n'y croyais pas, je repensais instinctivement aux histoires d'horreurs racontées par les garçons un peu plus tôt. Cela ne me rassurait pas du tout. Là nuit ajoutait toujours une part de mysticisme, cela jouait fortement sur mon imagination, qui je le rappelle s'est nourrie de films d'horreur en tout genre ces 5 dernières années.
Il pénétra dans une sorte de clairière, bordée de plusieurs grands arbres, qui ressemblaient à une forêt de grands conifères. La lune inondait de lumière ce petit espace délaissé par les arbres alentours. Je voyais clairement Icare la traverser, comme s'il savait exactement où il allait.
Je le vis quelques secondes plus tard, rentrer dans cette dite forêt. Mais pourquoi faisait-il cela ? Beaucoup trop de questions fusèrent dans mon esprit.
Je pénétrai à mon tour dans ces bois, nettement plus sombres que la clairière dans laquelle nous nous trouvions.
Des branches courbées semblaient indiquer la direction qu'il prenait. Je n'avais plus qu'à suivre les endroits où il avait posé les pieds. Des branches cassées, des traces de pas laissées dans l'humidité de la terre ou encore son odeur qui flottait encore légèrement dans l'air. Le sens du vent était à mon avantage, Icare étant quelque part devant moi. Tout était bon à prendre.
Malgré mes convictions, j'avais très peur. Cela faisait un bon moment que je ne le voyais plus. J'étais donc là, seule, dans des bois que je ne connaissais pas, à la merci des probables animaux sauvages. Me fiant uniquement à "l'instinct en carton " que je venais de développer dans cette nuit noire. Plus j'avançais, plus l'espace autour de moi semblait diminuer. Je dus alors me frayer un chemin à travers les branches, les roches accidentées et quelques ronces ayant poussé comme de la mauvaise herbe dans le coin.
Soudain je pouvais entendre au loin, un bruit d'eau couler assez rapidement. Je ne devais pas être loin de la rivière. Cela me rassura. J'aimais beaucoup reconnaître quelque chose de familier. Je voulus m'en rapprocher, suivant le bruit de l'eau, lorsque j'entendis, non loin de moi, un puissant grognement, suivi d'un cri terrible.
Un frisson et un fort sentiment d'angoisse me mirent a mal.
Et si une, ou des bêtes sauvages vivaient dans ces bois ? Ou je ne sais quelle monstre... Je devais vraiment être devenue folle pour m'aventurer la nuit dans un lieu inconnu. Je devais vite retrouver Icare. Ni lui, ni moi, n'étions en sécurité ici.
Plusieurs secondes plus tard, un cri strident retenti, suivi d'un craquement sourd. C'était le bruit d'un affrontement, d'un carnage. Je pouvais nettement entendre les gémissements d'agonie d'une bête qui étaient recouverts par les grognements, beaucoup plus rauques, de quelque chose d'autre.
Je tournais la tête en direction de ce boucan et m'accroupis derrière une haie. Je voulais observer la scène, malgré ma peur grandissante. Je reconnus tout d'abord quatre petits sabots redressés en l'air. C'était un animal ressemblant beaucoup à une biche. Du moins de ce que je pouvais en voir. Elle semblait se débattre, mais une autre silhouette la retenait fermement au sol. Une silhouette que j'imaginais beaucoup plus grosse que ça. Mais quel genre d'animal cela pouvait être ? Je plissai les yeux par instinct, voulant identifier le deuxième animal. C'était peine perdue, il faisait beaucoup trop sombre et je n'avais pas pris ma fichue paire de lunettes. J'avais beaucoup de mal à l'apercevoir, je n'entendait que ses grognements, les grognements d'une bête affamée dévorant voracement un animal sans défense. La cime des arbres, qui bougeait beaucoup en raison du vent qui soufflait dans les alentours, laissa filtrer les rayons lunaires, éclairant davantage la scène qui s'offrait à moi.
Et là, ce fut l'horreur. L'animal qui était penché sur la gorge de la biche n'en était pas un. NON !
C'était Icare. J'avais parfaitement reconnu son tee-shirt blanc crème dans lequel je l'avais vu quitter le camp. C'était LUI. J'en étais sûre. Un désagréable sentiment de peur me prit de court. Je me tournai dans la direction d'où j'étais venue. Je courus, courus pour rentrer au campement et faire comme si je n'avais jamais rien vue de ma vie ! Comment un être humain normalement constitué, serait capable d'attraper et de tuer à mains nues une biche dans une pénombre comme celle-là ? C'était impossible. Il n'était pas humain. Je refusais de le comprendre, depuis le début... Son comportement froid et distant... Tout s'éclaircit en une fraction de seconde dans mon esprit.
Le son de ses horribles grognements me revinrent en mémoire. Ça devait être un cauchemar, oui, c'était ça, un cauchemar, duquel il fallait vite que je me réveille. Prise de panique j'accélérai le pas. Je courais maintenant à en perdre haleine. Je devais mettre le plus de distance possible entre moi et cette chose. Je n'avais même pas fait dix pas, qu'une rafale de vent me fit perdre l'équilibre au moment même où je voulus enjamber une grande pierre au sol. Le choc fut direct. Par chance, mon avant-bras venait de couvrir l'impact. Mais une vive douleur me lançait maintenant dans le bras, ainsi que dans la cheville. Je le portai à vue en me relevant et constatai une grande entaille, recouvrant la quasi-totalité de mon avant-bras. Du sang s'écoula alors hors de la plaie. C'était une coupure profonde, je le sentais bien, tout mon bras était endolori. Quant à ma cheville, impossible de la poser sur le sol sans ressentir une douleur insupportable. Comment pouvais-je me fouler la cheville dans un moment comme celui-ci ?! Je devais être damnée.
Je me retournais afin de voir si Icare était toujours occupé sur la biche. HORREUR. Il n'était plus là. Je ne pouvais que distinguer le cadavre inerte de cet animal innocent, baignant dans une mare de sang. Son propre sang.