Fiona était enthousiasmée, émue aux larmes par ce premier livre de notre mère. Ce qui était tout à fait compréhensible. C'était vraiment ce qu'on appelait un chef d'œuvre. Chaque mot, chaque illustration reflétait l'âme de l'auteur. J'aurai pu dire aussi la même chose, ou seulement ajouter un mot gentil mais j'en étais incapable. J'étais restée muette devant cet art magnifique tant l'histoire m'a touchée, d'une manière que je ne me l'expliquai ni n'aurai pu dire. Et lorsque le sommeil s'empara de moi et m'emmena loin, très loin, dans ce monde de nature, là où me réincarnant, je pris la forme d'un oiseau arc en ciel, et que je gambadais dans les airs, dans une forêt de clarté merveilleuse où la joie était l'air qu'on respire, et que le prince des oiseaux me choisit pour femme, je sus que ce rêve était une révélation. Ce qui m'enchanta plus que tout dans cette grande féérie illusoire, était ma joie en annonçant au monde un amour dont j'ignorais pourtant l'existence.
Je volai loin, aussi loin que mes ailes étaient capable de m'emporter afin de voir ce royaume qui sera bientôt le mien, mais dans mon euphorie je ne remarquai pas que j'entrai dans un tout autre univers. Un univers que je ne comprenais pas. Et quand je voulus revenir sur mes pas, je ne pus le faire, car des griffes dorées s'emparèrent de mon corps. Je ne fus plus capable de m'enfuir. J'étais désemparée mais ce qui était le plus étrange, ce n'était pas mon emprisonnement dans cette cage de douleur indestructible, mais plutôt mon cœur et ses raisons. Je ressentis et cela malgré moi, de la tendresse envers mon bourreau, une tendresse si grande que je crus m'évanouir et ne jamais s'en remettre.
Mais le matin vint, et dissipa mes rêves, mais avant qu'il ne s'effaça totalement... un petit peu seulement... juste un bref instant, je voulus revoir le visage adoré de mon monstre géant.
- Dania... Dania... Ma chérie il faut se lever maintenant, il est déjà 7h. Fiona a déjà fini sa gymnastique matinale. Et toi tu devrais y aller.
Tous les matins, pour garder la santé, je devais courir vingt-cinq minutes, puis accomplir quelques exercices d'assouplissement.
J'étais en train de prendre mon petit déjeuner quand un ami vint à l'improviste, un étranger, irlandais peut-être, je ne m'en souvenais pas, ma mère d'ailleurs ne nous le précisa pas. Il se présenta comme le plus vieil ami de Maman, le plus drôle soi-disant chez lui fut son nom – Cyclone. Cela ne me fit pourtant pas rire, mais m'intrigua. Quand Maman le vit, ses yeux s'illuminèrent de milles étoiles célestes. Cette métamorphose m'éblouis complètement. Elle le reçut dans notre salon. Je fus permise d'assister à leur discussion, et tandis qu'il parlait des actualités dans le monde, je dessinais divers oiseaux et créatures aux griffes dorées capables de contenir un petit oiseau arc en ciel et en même temps susciter une affection sans borne. Je ne fis pas vraiment attention à eux ni à leur discussion animée, jusqu'à ce qu'ils parlent d'un ami.
- Vingt ans déjà. Que le temps passe vite. Mère fit constater dans un soupir nostalgique.
- Oui.
- Le temps engloutit en lui tous les trésors que les hommes puissent posséder, et il a enlevé celui qui fut le mien des années durant...
- Je t'en prie ma chérie ne pleures pas, protesta tendrement Cyclone. Il serait triste s'il te voyait ainsi...
Mais aucun mot ne put consoler Maman. Enfin d'après ce que moi, sa fille, en jugeais.
- J'aurai tout donné pour le revoir, mais on ne peut pas hélas faire revenir les morts.
- Tu l'aimais tellement. Déclara son ami en secouant la tête, ému à son tour. Je me souviens encore, quand vous aviez dansé dans´les lumières éblouissantes des feux du néant de la cité. Vous étiez si jeunes. Avant en entendant ce qu'on disait de vous, je me suis dit que ce n'était que des battements d'ailes qui disparaitront dans les sables de la maturité. Il prit une courte pause.
-Mais qu'on je réalisai ce qu'il en était réellement, ce fut tel que j'en fus même changé. Je devins plus sensible aux émotions. Je fus heureux de votre bonheur, et même si la mort vous a séparé, il est parti heureux.
- Cyclone...
- Il y a des choses que même la volonté ne peut changer, alors autant accepter le bonheur dans toutes ses formes.
- Je sais... mais malgré cela, j'ai toujours la certitude qu'il réapparaitra devant la porte ou chanter dans la nuit... serait-il malheureux de me voir penser ainsi...Se demanda mère en se mordant doucement les lèvres.
- Tu as le droit de penser à lui, mais tu n'as pas le droit de ne penser qu'à lui...
- La vérité Cyclone, c'est qu'il fut un temps ou je t'ai jalousé, tant jalousé que s'en êtait ridicule, et tu sais pourquoi non?
-Parce qu'il m'a toujours aimé plus que toi. Fit-il constater simplement.
Ils rirent ensemble.
- Oui, parfaitement.
- Tu l'aimais, alors c'est normal. On a beaucoup de mal à partager un être cher avec les autres, et surtout si cet autre occupe la première place, alors je n'ai aucune raison de t'en vouloir de cette jalousie.
- Mais j'espère aussi que tu cesseras de m'en vouloir pour cela.
- Bien sûr... car tu n'as aucune faute à pardonner, aucune sauf celle de l'avoir autant aimé. Et si on devait bien regarder les choses dans leur entière vérité, c'est plutôt moi qui aie été dans l'erreur. En fin de compte.
Ils rirent à nouveau ensemble.
Je devinai que ce bol venait de cet ami que Maman a tant aimé et qu'elle porte encore dans son cœur comme un trésor immuable même après tout ce temps. Je sortais seulement de l'enfance quand j'ai découvert l'histoire de maman. Son cœur était resté fidèle à son grand amour. Même lorsqu'elle ne semblait être qu'une enfant à cette époque, une enfant qui devait avoir l'âge de Fiona quand cet ami mourut dans un accident de voiture.
Si je ne l'avais pas entendu, je me serais remise de mon acte. Mais justement pour toutes ces raisons, je me suis retrouvée laide devant la bêtise que fut la mienne.
Quand le bruit résonna dans la cuisine, j'avais l'impression que mon cœur se cassa lui aussi en mille débris de cristaux. Ne sachant quoi faire, j'ai pris les devants et dévalant les escaliers, j'ouvris la portière et me lançai à toute volée en direction des montagnes. Et pendant que je m'enfuyais comme le lâche que je fus, je revis l'accident.
Ils discutèrent encore et encore. Mais moi j'en avais assez entendu. Que Maman ait à ce point aimé un homme autre que papa m'a un peu étourdie. Je les quittai donc le cœur gros. Ce qui m'a le plus blessée ce n'était pas l'amour infini que mère ait eu pour ce défunt, mais qu'elle l'ait pu aimer plus que père. Je pris le bol dans mes mains, le contemplait, pour quelle raison au juste ? Bof, qu'importe, j'ai pensé pouvoir trouver des réponses à mes questions, mais le bol n'était qu'un bol. Je détournai mon regard de son corps poli et le déposa comme si son toucher me répugnait et aussi me fit trahir la mémoire de mon père, quand c'est là que tout devint incompréhensible. Le bol glissa de mes mains. Etait-ce une punition, pour avoir pensé ainsi, ou pour autre chose, une trahison involontaire. Ou encore une malédiction, quelque fusse la cause, le bol s'échappa de mes mains pour aller se fracasser contre le sol dallé.
- Pourquoi suis-je ainsi ? Me murmurai-je piteuse. Suis-je méchante ? Pourquoi mon cœur ne peut-il être bon ?
Je reculai devant l'horreur de mon acte en même temps que j'eu la vision du regard de mère quand elle constatera ce que j'ai fait. À cet instant Fiona entra dans la cuisine, adorable dans sa robe fleurie, et constata les débris de porcelaine sur le carreau luisant. En voyant mon visage, elle comprit immédiatement quel vaisselle s'est ainsi brisé et la raison de cet accident.
Sans plus pouvoir se retenir, je sortis en trombe de la chambre claire, bousculant ma sœur au passage, qui voulut me retenir, mais j'étais déjà trop troublée pour vouloir entendre raison ni l'écouter.
- Ma chérie, reviens !
J'entends encore la voix de Fiona tentant de me retenir quelques instants plutôt. Mais rien n'aurait été assez fort pour m'arrêter.
J'atteignis enfin les cimes après plusieurs heures de marche et des larmes de rage souillant mon visage défiguré. C'était une véritable féerie, une pureté incomparable, une source de sérénité qui apaisait le cœur. Les vents jouaient dans mes cheveux et l'emplirent de parfum naturel. Devant tant de beauté j'ai pu comprendre mes réactions. Il me fallait grandir et accepter l'imperfection des hommes. Il y en a de ceux qui se complaignent dans cet état de folie et ceux qui recherchent cette sagesse qui rendait moins lourd les chaînes du péché. On n'y pouvait rien.
Pourrais-je en vouloir à Maman d'avoir aimé cet homme qui n'était pas mon père ?
Et même si elle n'a jamais pu porter une telle tendresse à l'auteur de ma vie, était-ce sa faute. Si l'on pouvait exiger du cœur les désirs de la raison alors c'aurait été simple et supportable, mais probablement plus une vie. Je voulais croire qu'elle a tenté elle aussi d'aimer ainsi père, mais que jamais elle n'a pu y arriver sans doute. Et si père lui-même ne lui en a pas voulu, alors c'était sûr que je ne possédais aucun droit de le faire. Et puis qui étais-je pour porter tant de jugements sur une chose qui dépassa ma compréhension ? Personne.
Je regardai tout autour de moi. La forêt respirait la vie, les chants emplissaient l'air, que ce fûrent des oiseaux ou les flûtes des vents. Les feuilles bercées, créaient des sons incomparables, les herbes hautes s'élevant jusqu'à mes genoux, et déjà l'horizon insaisissable était teinte de la nuit, prête à recouvrir la terre. Tout cela incita ma tendresse. Mais j'étais sale, la sueur de mon corps me dégoûtait, je continuai malgré tout mon chemin pour chercher de l'eau, les montagnes devaient en regorger. Je partis à travers monts et merveilles, mais mes recherches restèrent vaines. À quelle heure de la nuit un homme croisa-t-il enfin mon chemin, un paysan sans aucun doute.