Jessica est la propriétaire d'un petit café en plein milieu de la ville. Je suis entrée ici en début de semaine et maintentant, je ne m'en lasse pas. En dehors de ça, elle est aimable, pétillante et prend toujours un peu de temps pour discuter avec moi en me demandant si je parviens à bien m'intégrer. Heureusement pour moi oui, j'ai même déjà commencé à prendre mes petites habitudes. Comme celle de venir prendre un café ici tous les matins. Jessica me donne mon café et je lui donne un billet, je prends aussi quelques donuts. Avant de sortir du café, j'avale tout de suite une gorgée et la journée me paraît déjà plus radieuse. Je marche en direction de l'école tout en me disant qu'il va me falloir une voiture si je ne veux pas user les semelles de toutes mes chaussures. Xavier s'est bien proposé de me conduire tous les jours, mais je ne veux pas abuser de sa gentillesse. Et puis j'ai bien vu que ce n'était pas que par pure gentillesse qu'il m'aidait. Il y'a autre chose. Je marche en repensant à la semaine qui est sur le point de finir. Elle s'est plutôt bien terminée avoir démarré sur des chapeaux de roues. Tout d'abord, mardi matin j'ai récupéré les punitions que j'avais donné aux enfants. Ils les ont toutes écrites sauf un, Tony. Ça fait donc quasiment quatre jours que Tony n'a pas mis les pieds dans ma classe. Tout ce que j'espère au fond de moi, c'est qu'il aille bien et qu'il n'est rien de grave. Pour le petit Tyler Pierce, les choses sont toujours au même niveau. Je n'arrive toujours pas à le faire parler, mais je suis confiante qu'un jour, j'y parviendrais. J'ai aussi eu le bonheur de rencontrer mes collègues, qui sont pour la plus part des hommes. Nous ne sommes que deux femmes en tout et je trouve cela vraiment injuste. Je n'arrive pas à croire qu'avec tout ce qui se passe dans le monde, on puisse encore penser que les femmes ne peuvent pas travailler comme les hommes. Et l'autre femme travaillant pour l'école n'est autre que la femme du directeur.
Je marche jusqu'à l'établissement et je vais tout d'abord dans la salle des professeurs. Je retrouve mes collègues masculins attablés autour de leurs tasses de café. Je respire un bon coup, puis je vais m'asseoir avec eux.
" Bonjour Loreen. " Me dit Rusty qui n'est autre que le mari de Jessica.
" Bonjour Rusty. "
Il enseigne les cours préparatoires et tous ses élèves l'adorent. C'est quelqu'un d'agréable et de facile à vivre. Je dis bonjour aux autres qui se contentent de me regarder comme si j'étais la peste, puis ils changent tous de place.
" Excuse les, c'est juste qu'ils n'ont pas l'habitude de voir des femmes aussi belles dans ce trou perdu, bon en dehors de ma femme. "
Je rougis légèrement face au compliment de Rusty. Je ne mentirais pas en disant que ça ne me fait rien. Quand on a passé toute sa vie à recevoir des insultes du genre, tu es affreuse ou encore y'a qu'un homme comme moi qui aurait pu t'épouser, ça fait du bien d'entendre un autre homme vous dire que vous êtes belle. J'ai opté pour un chemisier blanc et un pantalon noir, classique. Sauf que j'ai pris quelques kilos et ce pantalon me le dit bien.
" D'autant plus que tu es arrivée en plein milieu de l'année, ils aimaient bien celui qui occupait ce poste avant toi. "
" C'est ce que j'ai cru comprendre en effet, mais ce que je ne comprends pas c'est que s'il était autant apprécié, pourquoi a t'il dû partir en plein milieu de l'année ? " Demandais-je en mordant dans un donut.
" Du point de vue formel, c'est parce qu'il a trouvé une meilleure offre de travail ailleurs. "
" Et du point de vue informel ? "
Rusty regarde autour de nous pour être sûr que personne ne va l'entendre.
" Il n'arrêtait pas de faire des misères au fils du grand patron. "
" Je croyais que Xavier était le seul enfant du directeur Morgan. " Demandais-je en plissant les yeux.
" Mais je ne te parle pas de Morgan, il n'est le grand patron de rien du tout ici, c'est un subalterne. Je te parle de celui qui commande tout ça, qui paye notre salaire ainsi que celui de Morgan. "
" Comment s'en est-il pris à son fils ? "
" Pas seulement à lui, mais aussi à tous ceux qui viennent de State Garden. "
Je plisse les yeux sans vraiment comprendre. Mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur ça que la sirène retentit.
" Sauvé par le gong, mais je te promets que je vais te coincer à nouveau et tu vas me parler de tout ça. "
J'avale mon donut à toute vitesse, puis je vais dans ma salle de classe attendre mes élèves devant la porte. La classe se remplit peu à peu, je les reçois devant la porte avec le sourire. Tyler passe devant moi sans même me dire bonjour. Je le retiens par la main et le prends à part.
" Bonjour Tyler. "
" Bonjour madame. " Dit-il en regardant ses chaussures.
Au moins il m'a répondu c'est déjà ça. Je sors le livre que j'ai gardé pour lui de mon sac et je lui donne.
" J'ai cru remarquer que tu aimais beaucoup l'astrologie, les planètes, le système solaire et tout ça et j'ai ce livre depuis longtemps, si tu veux en apprendre plus, tu devrais le lire. "
Il pose les yeux sur le livre, puis à nouveau sur moi.
" Non merci, j'en ai déjà plein. "
" Celui-ci est une édition limitée, il y'en a très peu sur le marché. Je suis certaine que tu vas l'adorer. "
Il regarde à nouveau le livre, puis il se mord la lèvre. Il finit par prendre le livre et s'engouffre dans la salle de classe comme s'il fuyait quelque chose. Je souris fière de moi, si ça ce n'est pas briser la glace je me demande comment ça s'appelle. Je souris en le voyant s'asseoir et sourire sans doute en pensant que personne ne le voit. Je termine d'accueillir mes élèves, puis je vais m'asseoir à mon bureau. Je lève la tête pour regarder la place de Tony, elle est toujours vide. J'irais voir le directeur à la fin du cours pour avoir de ses nouvelles. C'est inadmissible que ses parents n'aient pas prévenu l'école au cas où leur enfant soit tombé malade.
" Très bien tout le monde, ouvrez vos livres de français à la page 10. "
La journée s'achève sur une note positive. Je suis contente de voir se lever toutes les appréhensions que j'avais au sujet de prendre une classe en plein milieu de l'année. Je suis ravie de constater qu'en une semaine, j'ai réussi à prendre mes marques ici aussi. J'ai fait un contrôle pour évaluer le niveau de mes élèves et j'irais corriger ça dans mon lit. Je tire mon fauteuil et je me dirige vers la sortie de l'établissement. Heureusement pour moi, le directeur est encore là sur la cours à discuter avec une femme.
" Monsieur Morgan, puis-je vous parler ? "
" Bien sûr, j'allais envoyer quelqu'un vous chercher de toute façon, ce parent d'élève aimerait beaucoup discuter avec vous. "
Je regarde la femme placée devant moi, puis je regarde le directeur. Elle ressemble à ce genre de femme, vous savez dans les années 70, les parfaites dames de maison. Celles qu'on aurait pu prendre pour faire de la pub pour détergent. Et ce n'est pas son style avant-gardiste sa coloration exagérément blonde qui y changeront quelque chose. Elle retire ses lunettes de soleil sans doute de marque et me lance un regard courtois, mais qui sonne faux. En professionnelle aguerrie que je suis, je lui tends la main pour me présenter.
" Loreen Baxter. "
" Je sais qui vous êtes. " Dit-elle en ignorant complètement ma main.
Je retire ma main sans en être outrée, j'ai déjà eu à faire à des gens comme ça.
" Je suis la maman de Tony. "
" Ah Tony ! Je me disais bien que vous me rappeliez quelqu'un. Je venais justement demander au directeur s'il avait de ses nouvelles, comment va-t'il ? Il n'est pas venu en cours depuis mardi. "
" Comment mon petit chéri aurait-il pu revenir en cours après ce que vous lui avez fait ? "
Je plisse les yeux sans comprendre, je regarde le directeur qui semble tout aussi mal à l'aise que moi.
" Je ne comprends pas. " Dis-je en me raclant la gorge.
" Vous lui avez demandé. " Dit-elle en sortant un papier de son sac . " D'écrire cinq cent fois cette phrase abjecte. "
Je vois, j'ai donc à faire à ce style de mère qui pense que son fils est un petit ange.
" Votre fils n'est pas le seul à qui j'ai confié cette tâche, c'était une punition collective... "
" Et pour qui vous prenez vous pour infliger des punitions pareilles à nos enfants ? "
" Je suis leur enseignante et quand ils sont dans ma classe, je suis responsable d'eux. "
" Vous n'avez pas le droit de demander à des enfants de dix ans d'écrire une phrase cinq cent fois juste pour une blague ridicule. "
J'accuse le coup et je reste pendant un instant muette de stupeur. Elle ne vient pas sérieusement de dire que le harcèlement est une blague ridicule si ?
" Votre fils vous a t'il seulement raconté ce qu'il s'est passé ? Ils ont traité un autre enfant comme eux de monstre ! "
" Oui, pour s'amuser ? " Dit-elle en simplifiant la chose.
Je me tourne en direction du directeur, qui laisse cette femme parler ainsi sans intervenir.
Mes yeux virent au rouge, je revois la réaction du petit garçon qui s'est refermé comme une huître en entendant cela. Et elle se contente juste de banaliser la chose ? Et en plus de ça elle regarde ses ongles vernis grossièrement de rouge comme si cette conversation l'ennuyait au plus haut point.
" Écoutez-moi madame ! Dans ma salle de classe, je ne tolère aucune blague qui vise à rabaisser ou à faire du mal à autrui. Ce que votre fils a fait et a refusé avec lâcheté d'assumer sans doute parce que c'est le mode d'éducation qu'il reçoit à la maison, était répréhensible. "
Je la vois se mordre la lèvre que j'ose remettre son éducation en cause.
" C'est à cause des parents comme vous que certains enfants n'auront jamais assez de confiance en eux pour dénoncer le harcèlement qu'ils subissent à l'école, parce que oui c'est du harcèlement. Si mes méthodes d'éducation ne vous satisfont pas, changez le d'école ou mieux éduquez le vous-même chez vous. Mais tant qu'il sera dans ma classe, il devra se plier à mes règles et si une fois il ose encore traiter un autre enfant de monstre je le punirais, encore et encore jusqu'à ce qu'il comprenne. "
Lorsque j'arrête mon monologue, je regarde autour de nous et je vois toutes ces personnes qui nous regardent d'un air surpris. Je ne m'étais pas rendu compte que notre conversation avait attiré autant de monde. La femme est sur le point de dire quelque chose lorsqu'elle se fige et regarde un point derrière moi. Je plisse les yeux sans comprendre et je me retourne à mon tour. Ma mâchoire manque de tomber, je plisse les yeux plusieurs fois, comme pour être sûre que ce n'est pas une illusion, devant moi se tient l'homme le plus beau que je n'ai jamais vu. Je sais que je n'arrête pas de dire ça depuis que je suis arrivée ici, mais cet homme est vraiment sublime. Il porte une chemise noire et un pantalon noire. Le tatouage qu'il a au cou lui donne un air de gangster qui me fait totalement fondre les yeux mon Dieu. Nos regards se croisent, pendant un instant je lis de la surprise dans ses yeux. Il est avec l'homme que j'ai vu le premier jour que suis arrivée avec Xavier. Ce regard ténébreux dans lequel on devine le mal accélère les battements de mon cœur, il me rappelle les yeux de quelqu'un mais qui ? Tyler se tient auprès de lui et je remarque alors qu'ils ont les mêmes yeux, je comprends aussitôt qu'il s'agit de son père. J'en ai presque oublié la présence de tous ceux qui sont autour de nous. La mère de Tony se racle la gorge et je me tourne à nouveau vers elle.
" Cette conversation n'est pas terminée. "
Je la regarde partir sans vraiment la voir, tout ce que je sens c'est la présence de cet homme dans mon dos et maintenant, il vient vers moi.