Arriver en retard à son premier jour de travail ? Il n'y a vraiment qu'à moi que ce genre de chose peut arriver. Je n'ai aucune excuse, si ce n'est que mon vol a été reporté. J'ai la boule au ventre, je me demande réellement ce qui m'attend, que va penser mon employeur ? Je suis certaine qu'à cause de cela, je vais être mal vue. J'attends nerveusement que mes bagages arrivent. Je regarde la montre, il est trois heures trente. L'école commence à Sept heures trente. J'ai entendu dire que Lake Island la petite ville où je vais m'installer est à cinq heures de route de Toronto. Par quel miracle vais-je arriver à l'heure en cours ? Merde ! Merde ! Merde ! Une fois que je vois ma valise, je le prends et je me dirige vers la sortie. Je n'ai vraiment pas pris grand chose. De toute façon, je dois me tenir prête au cas où il retrouverait ma trace. Alors m'encombrer de vêtements inutiles serait vraiment futile. Je me dirige jusqu'à la sortie, comme à chaque aéroport, de nombreuses voitures y sont garées. Je regarde à gauche et à droite comme si quelqu'un était venu me chercher avant de réaliser que mon geste est totalement inutile. La seule personne qui m'attend ici doit sans doute être le directeur et je doute fort qu'il vienne me chercher à l'aéroport. Je décide donc de chercher un taxi. Je regarde les voitures devant moi en pinçant les lèvres, lorsqu'une grande main se pose sur mon épaule.
" Loreen Baxter ? "
Je me tourne pour faire face à un regard bleu et un immense sourire chaleureux. Je me surprends à sourire sans même savoir qui est mon interlocuteur. Il me dépasse environ d'une demie tête et j'adore son accent canadien.
" Oui c'est moi. "
" Super, j'avais peur de vous avoir manqué. Je suis Xavier Morgan. "
" Morgan ? Comme Dimitri Morgan le directeur de Ste Elisabeth ? "
" Oui, je suis son fils. ". Dit-il en me tendant la main. " Papa m'a envoyé vous chercher, surtout lorsqu'il a appris que votre vol était repoussé. "
" C'est vraiment gentil de sa part. "
Il me prend la valise des mains et regarde par dessus mon épaule pour voir s'il y'en a d'autres. J'aperçois son geste et je lui dis.
" C'est tout. "
" Vous voyagez léger dites-moi. Surtout pour venir vous installer dans un autre pays ? "
Je baisse légèrement la tête et je rougis, mais je ne réponds pas à sa remarque. Il se tourne nous marchons jusqu'à une voiture garée un peu plus loin. Il m'ouvre la portière et met ma valise derrière, je regarde nerveusement la montre. J'espère que le trajet jusqu'à l'école sera assez court. Xavier entre dans le petit espace et me sourit.
" Nous y sommes. "
Je lui rends son sourire et je me mords violemment la lèvre pour éviter de lui hurler de démarrer. Il finit par démarrer à mon grand soulagement.
" Votre voyage s'est bien passé ? "
" Oui merci, j'ai dormi tout du long, mais je dois avouer que maintenant je suis stressée. Il faut nouer des liens avec les élèves dès le premier jour de classe, en plus, je déteste arriver en retard. "
Il sourit tout en continuant à regarder droit devant lui.
" Mon père va vous adorer c'est certain. "
Sa remarque me rassure un peu sans toutefois me débarrasser de tout ce stress que je ressens. Je continue de regarder nerveusement ma montre.
" L'établissement met à votre disposition une maison en ville. J'espère qu'elle vous plaira, c'est moi qui l'ai rénové. "
" Oh ! J'aurais parié que vous étiez enseignant vous aussi. "
" À cause de mon père ? Non madame, je suis ingénieur en bâtiment et pour votre retard, ne vous en faites pas, mon père comprend parfaitement la situation. "
Nous continuons de discuter pendant les cinq heures de route, jusqu'à ce qu'il se gare face à un établissement de luxe. Je descends de la voiture et je regarde la façade, c'est sans doute l'école la plus chère dans laquelle j'aurais eu à enseigner de toute ma vie. L'endroit est magnifique avec un immense jardin, plein d'attractions pour les enfants sont placés dans la cour. Cette magnifique couleur sur les murs contraste avec toutes les autres écoles où j'ai déjà eu à enseigner. Je ferme les yeux et je laisse l'air entrer dans mes poumons. Je sens que je vais adorer ma nouvelle vie dans cette ville.
" C'est impressionnant. " Ne puis-je m'empêcher de dire en enlevant mes lunettes.
" Oui, malgré moi je dois avouer que ces batards ont du fric pour se permettre ce genre de choses. " Dit-il d'une voix amer.
" De qui parlez-vous ? " Demandais-je en plissant les yeux.
" Mademoiselle Baxter ? " Dit une voix derrière moi.
Le visage de Xavier se referme comme une huître sa bonne humeur disparaît, ce qui me surprend énormément. Il m'a paru être quelqu'un de jovial qui peut bien le mettre dans cet état ? Je me tourne lentement pour regarder l'homme derrière nous. Sans pouvoir me retenir, ma bouche forme un O de surprise et pendant un moment, je pense que je bave. L'homme que j'ai en face de moi est tout simplement magnifique, il est grand, des cheveux de couleurs châtain. Derrière son t-shirt, j'arrive à deviner ses muscles saillants. Je ne suis pas le genre de midinette à s'extasier devant la beauté d'un homme, mais là, on dirait un apollon. Je remarque l'expression de stupeur qu'il a sur le visage. Pourquoi me regarde t'il comme ça ? J'avale ma salive et je lui réponds.
" Oui ? "
Pendant un moment, il se contente de me regarder comme si j'étais un fantôme, bouche bée et les yeux sortis de leurs orbites. Je regarde à nouveau ma montre. Bordel ! Trente minutes de retard.
Je prends ma mallette derrière et je regarde Xavier.
" J'irai la déposer chez vous. " Me dit-il avant que je n'ai eu le temps de poser la moindre question.
" Merci. "
Je me tourne pour entrer dans l'établissement lorsque l'homme semble se ressaisir.
" Vous devez venir avec moi, mon patron veut vous parler. "
" Eh bien sûr comme vous pensez que votre argent sale peut tout acheter, tu penses pouvoir lui ordonner de monter là haut avec toi. "
" Je ne t'ai pas demandé ton avis Morgan. " Lui répond l'homme tout en continuant à me regarder dans les yeux.
" Elle ne viendra."
Je trouve vraiment ça très courageux de la part de Xavier d'essayer de me défendre, Mais je ne pense pas vraiment qu'il puisse faire le poids contre ce colosse s'ils en viennent aux mains.
" Écoutez monsieur, dites à votre patron que je ne peux pas le rencontrer pour le moment, j'ai des élèves à rencontrer, peut-être plus tard, lorsque j'aurais fini. "
Et sans même attendre sa réponse, je tourne le dos et les laisse planter là. S'ils veulent en venir aux mains, ce sera sans moi. Je gravis les marches et je sens leur regard posé sur moi, mais je m'en moque. Je regarde les noms des classes gravés sur les murs et je finis par trouver la mienne. Je respire un bon coup et j'ouvre la porte. Comme je m'y attendais, je trouve un désordre inimaginable, les enfants se lancent des feuilles de papiers, ils crient, chantent. Sauf la dernière rangée, ce qui attire tout de suite mon attention. Surtout le petit garçon au fond qui regarde par la fenêtre le regard au loin sans savoir ce qu'il fait réellement là. Je ne sais pour quelle raison, mais j'ai l'impression de me reconnaître en lui. Comme s'il se sentait observé, il tourne la tête vers moi et nous nous regardons pendant quelques secondes. Ce que je lis dans son regard me brise le cœur. Une tristesse qu'un enfant ne devrait pas ressentir. Je me racle la gorge et je referme la porte derrière moi. Les têtes des petits monstres se tournent vers moi, puis ils se lèvent tous pour me saluer. Je marche jusqu'à mon bureau et pose ma mallette sur la table, je croise une dernière fois le regard du petit garçon, puis je leur demande de s'asseoir.
" Bonjour à tous. " Dis-je d'une voix forte. " Je m'appelle Loreen Baxter et je viens des États-Unis. "
J'ai à peine fini de parler que des doigts sont déjà levés. Je plisse les yeux en remarquant que seul les enfants des trois premières rangées lèvent les doigts, la rangée du fond se contente juste de regarder. J'en sélectionne un au hasard.
" C'est loin les États machin chose ? "
Je souris et je prends un bâton de craie sur la table, puis j'écris mon nom sur le tableau noir, ainsi que le nom de mon pays.
" Comment t'appelles-tu ? "
" Tony madame. "
" Alors Tony, pour commencer on dit les États-Unis et oui c'est très loin. "
Je choisis un autre doigt au hasard.
" Est-ce qu'il y'a du fromage dans votre pays ? "
" Beaucoup beaucoup de fromage. " Dis-je en souriant.
Je regarde la dernière rangée et je marche vers eux, je vois bien qu'ils veulent participer à cet échange alors pourquoi se retiennent ils ? Je choisis un petit garçon assis au premier banc, il sursaute violemment et se lève.
" Bonjour, comment t'appelles-tu ? "
Le petit bout d'homme me regarde, il est mort de panique. Mais pourquoi réagît il aussi violemment ? Nous sommes dans une salle de classe et non dans une salle de torture. Il murmure quelque chose du bout des lèvres que je ne parviens pas à entendre. Je me penche vers lui pour qu'il puisse me murmurer son bin à l'oreille.
" Monstre. " Dit une voix dans les autres rangées et tout le reste éclate de rire.
Tous sauf les huits élèves de la dernière rangée, ils me regardent avec désinvolture, presque comme s'ils y étaient déjà habitués. Je me frissonne d'horreur, alors c'est pour cette raison qu'il refuse de parler. Il se fait harceler. Le harcèlement, je le connais mieux que quiconque, j'en ai victime a cause de ma couleur métisse. On m'a traité de singe, dit que mes cheveux ressemblaient à de la paille et plein d'autres horreurs inimaginables. Raison pour laquelle, je ne laisserais jamais un autre enfant se faire insulter devant moi ou qui que ce soit d'ailleurs.
" Qui a dit ça ? " Demandais-je en me tournant vers les autres rangées.
Personne ne répond, ils baissent tous les yeux et jouent aux innocents. Il me semble avoir entendu la voix de Tony. J'en suis même certaine, mais aucun de ses petits camarades n'ose le dénoncer. Je les regarde tous et personne ne semble vouloir parler.
" Bien, étant donné que personne ne veut parler, vous êtes tous punis. Vous écrirez cinq cent fois, je ne dois pas insulter mon camarade. Je récupère la punition demain matin. " Dis-je en montrant les trois premières rangées.
Des murmures de protestation s'élèvent, mais j'ai déjà donné ma punition. Je regarde la rangée du garçon tout de noir vêtu et je me prends d'affection pour eux et encore une fois beaucoup plus pour ce petit garçon au fond qui semble m'être reconnaissant. Je leur demande ensuite de se lever chacun leur tour pour se présenter. C'est donc ainsi que j'apprends qu'il s'appelle Tyler Pierce. La première journée de cours se termine plutôt bien et je dis au revoir à mes élèves. Tyler est le dernier à sortir, je sens son regard posé sur moi, je me retourne pour lui faire face, puis je souris. Il me regarde avec colère et me hurle presque dessus.
" On ne vous a rien demandé, maintenant à cause de vous ce sera en pire. "
Il sort en courant et claque la porte derrière lui.
" Mais de rien. " Dis-je en levant les yeux au ciel.
Je regarde par la fenêtre et je vois Tyler sortir pour aller monter dans une voiture de luxe. Je termine de regrouper mes affaires lorsque la porte s'ouvre sur un homme d'âge mûr.
" Mademoiselle Baxter. " Dit l'homme en me tendant la main.
" Monsieur Morgan ? "
Il secoue la tête et je lui prends la main en souriant.
" J'ai entendu beaucoup de bien sur vous. "
" J'espère ne pas vous décevoir. "
" Comment s'est passé ce premier jour ? Je suis conscient que vous avez eu l'une des classes les plus turbulentes de toute l'établissement. "
" Je suis confiante, avec le temps les choses vont s'améliorer. "
Je termine de ranger mes affaires et le directeur et moi sortons de la salle de classe.
" Comme vous devez sans doute être fatiguée, demain je vous présenterai à vos collègues. J'ai demandé à mon fils de venir vous chercher pour vous conduire chez vous. "
" Merci monsieur Morgan. " Dis-je sincèrement reconnaissante.
Nous sortons et marchons jusqu'à la cours où nous attends déjà son fils. Il me sourit et je fais de même. Son père nous dit au revoir et s'en va.
" Je t'ai pris quelques trucs à grignoter au supermarché. " Dit-il en passant soudainement au tutoiement.
Mon ventre gargouille de plaisir, comme s'il n'attendait que ça. Je souris gênée, je n'ai rien avalé depuis le matin. J'entre dans la voiture et je m'assois, il prend un paquet derrière et me le donne, je prends une pomme dans le sac et je mords dedans en fermant les yeux. Xavier éclate de rire.
" Tu dois avoir très faim. "
" Je n'ai rien avalé depuis ce matin. "
Lorsqu'il est sur le point de démarrer, l'homme de ce matin se place juste derrière nous et lorsqu'il essaye de nous approcher, Xavier démarre en trombes. Je plisse les yeux et je me tourne vers lui.
" Tu es fatiguée et ce mec veut juste t'emmerder. "
Je ne dis rien et je continue de manger ma pomme. Je n'aime pas que l'on prenne des décisions pour moi, c'était à moi de décider si je voulais le voir ou pas. Nous passons devant quelque chose qui ressemble à un parc, sur lequel est inscrit propriété privée sur une pierre. Je regarde à travers les bois ma curiosité piquée au vif, mais je ne demande rien à mon chauffeur. Je vois un groupe de personnes franchir l'entrée et je penche la tête un peu plus pour pouvoir voir ce qui se cache derrière ces murs.
" Si tu veux un conseil, tu ferais mieux de ne pas t'approcher de ces gens. "
" Pourquoi ? "
" Ils sont bizarres. Ils pensent qu'avec leur fric ils peuvent tout avoir."
Je lève les yeux au ciel, je n'arrive pas à croire que même à cette époque les gens puissent encore coller des étiquettes sur les autres à cause de leur apparence ou de leur mode de vie. Nous roulons jusqu'à une petite maison dans un quartier résidentiel. Je regarde les maisons autour qui se ressemblent toutes, on dirait une de ces banlieues luxueuses dans les films. Je souris.
" J'ai laissé ta valise dans le salon et si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite surtout pas à m'appeler mon numéro. " Dit-il en me donnant la clé et sa carte.
Je la prends et lui dis merci, je file ensuite chez moi et j'ouvre la porte. J'entre avec le pied droit encore un superstition de ma grand-mère me direz-vous. Mais je m'en moque. Je fais le tour des lieux, elle n'est pas encore meublée, mais ça me plaît déjà énormément. J'ai juste envoyé assez d'argent pour la literie et une cafetière, avec mon premier salaire, je pourrais commencer à la meubler petit à petit. Je pose le sac de course sur l'îlot central de la cuisine, je prends ma valise puis je monte à l'étage. J'entre dans la seule chambre ayant un lit et je pose ma valise par terre. L'aspect lugubre de ma chambre me fait faire une grimace, toutefois, je reste persuadé qu'en travaillant durement, je pourrais parvenir à changer tout ça. Je vais ranger mes petites affaires dans l'armoire, je ne change puis je prends une douche et j'enfile mon pyjama. Je descends prendre un sandwich dans le paquet que m'a remis Xavier, je le mange rapidement et je monte dans ma chambre. En fermant les volets, mon regard s'attarde sur un immense manoir en plein cœur de la forêt, je me surprends à me demander qui peut bien vivre dans un endroit aussi isolé. Je ne me pose pas plus de question et je m'allonge sur mon immense lit. Qui sait ce soir peut-être encore vais-je rêver de mon bel apollon.