En effet, trois jours avant, il avait été invité à lire les pièces du dossier pour présenter sa défense.
La question du placement des enfants en maison d'accueil avait été demandée par l'ASE, et la nouvelle juge des enfants arrivée de Bobigny avait accéléré l'audience.
C'était son premier dossier en Guyane.
Ils avaient lui et Andreana été reçu par la protection de la jeunesse depuis une semaine, et Silas avait eu l'assurance que les enfants iraient chez leur mère.
Son rôle à lui devenait incertain.
Quand il avait lu le rapport de la grosse, il avait lu :
« Violences sexuelles, séquestration, coups et blessures, violences conjugales, et maltraitance sur les enfants. »
Silas avait failli vomir en lisant ces chefs d'accusation transmis au procureur, et à la Juge des enfants en première et en seconde instance.
Silas était d'accord avec les violences conjugales, mais pas avec le reste.
Certes, les trois dernières années avaient été le théâtre de cris, de pugilats, d'engueulades au domicile du couple.
Mais là, il était dépeint comme un djihadiste de la pire espèce.
Normal, la grosse était maghrébine, certainement une sépharade, et elle savait ce qu'elle faisait pour lui nuire.
Il y avait un rapport étayant ces infractions qui cumulées deviennent criminelles potentiellement, passibles des assises si elles étaient avérées par le juge.
Il y était par exemple écrit que Laura était petite car elle avait des problèmes de croissance dus à des traumatismes enfantins.
Le père et la mère de Silas faisaient 1,65 m, et 1,58 m. Andreana faisait 1,62 m.
Il était marqué que Silas était schizophrène au lieu de bipolaire et d'autres incohérences ainsi que certains mensonges.
Il n'avait jamais frappé les enfants, ni violé, ni séquestré Andreana.
Il s'était battu avec Andreana, mais sans jamais lui porter de coups.
Il passa deux jours et deux nuits à potasser le Code civil, le nouveau code de procédure pénale, et le code de la fonction publique sur Légifrance.
Alors, Lucien fit celui qui n'entendait pas.
Silas éructa devant les autres parents d'élève qui attendaient leurs rejetons.
« Un : Tu ne prendras pas ma fille, car le casque que tu lui réserves est fendu.
Deux : Je t'ai sorti de Macapà à 12 ans et de ta famille de merde, et de la vie de merde qu'elle te réservait au Brésil chez les pauvres, pour te donner à manger, de donner des vêtements même plus chics que les miens, aller à l'école française, pour que te comporter comme ça avec moi ?
Tu es une racaille comme ton incapable de père qui t'a rejeté, trop content de se débarrasser de toi. Je n'ai pas peur de toi !
Si tu touches ma fille, je t'envoie à l'hosto, car je suis son père et toi seulement son demi-frère qui la frappait quand elle était petite !
Tu crois que j'ai oublié avant de te virer de chez moi, pourquoi je l'ai fait ?
Et maintenant, tu te comportes en frère exemplaire ?
Je te vomis Lucien, toi et ta mère. Vous me faites honte, et je récupérerai mes enfants pour qu'ils ne restent pas avec la lie du Brésil que vous êtes.
Je te haï, comme je n'ai jamais rarement haï quelqu'un à ce jour.
Casse-toi ! »
Un militaire vint derrière Lucien qui voulait se battre.
Les Français étaient solidaires de Silas.
La police arriva sur le parking de l'école, après 5 min d'attente où les enfants, sauf Laura, sortaient.
Il vit sa professeure et la directrice discuter de loin en regardant Silas appuyé contre le portail.
Lucien était parti.
La maîtresse de Laura et une autre professeure parlèrent avec les policiers.
Silas vint vers eux.
« Allez-vous-en, vous ! On parlera avec vous plus tard », lui dit agressivement le chef de l'escouade, avec le visage de quelqu'un d'alcoolique.
Silas recula tranquillement et attendit.
Il sentait la présence des deux autres flicards dans sa proximité.
Le chef vint vers Silas.
« Vous prenez vos médicaments ? » lui dit-il sèchement.
« Pourquoi vous êtes psychiatre ? Vous avez oublié votre blouse. »
« Montrez-moi vos yeux ! » dit-il menaçant.
« Pourquoi, vous être translucide ? » rigola Silas.
« Vous êtes un personnage désagréable. »
« Tout comme vous, et je suis même extrêmement désagréable.
Pourquoi ? Vous voulez me mettre les menottes ? » dit Silas en mettant ses pieds en position de combat.
Et là, Silas recommence à expliquer la même chose aux flics que devant les parents.
« Vous avez jamais entendu parler d'un français qui se fait baiser par une Brésilienne ? Et ben c'est à moi que ça arrive aujourd'hui ! Et cela me révolte ! »
Les flics s'en vont voir la directrice quand Andreana arrive.
Le flic va lui parler et Andreana change de casque
Le chef revint voir Silas.
« Vous ne vous énervez pas contre elle ? »
« Ben quoi, vous êtes là ! Je suis pas si con que ça, monsieur.
Elle repart avec sa mère et elle est en sécurité puisque vous lui avez dit d'acheter un casque pour ma fille. »
« Vous êtes un malin vous ! »
« Comme vous ! Au revoir messieurs. Au plaisir de vous revoir dans d'autres circonstances. »
Le lendemain, Andreana et les enfants avaient rendez-vous à l'audience en seconde instance de la nouvelle juge des enfants.
Premier dossier en Guyane, et il était compliqué.
Les éléments n'étaient pas clairs lors de la première instance.
Elle avait donc mis les services de la protection de la jeunesse dans la boucle, ce qui n'avait pas encore été fait.
Le dossier semblait aussi compliqué que les mensonges de l'ASE à croire.
Elle n'avait jamais eu affaire à des services de l'ASE qui avaient une telle indépendance semblait-il. Et le père, chef chez les douanes était remonté contre l'ASE.
Elle allait voir et se rendre compte par elle-même
Toutes les parties prenantes étaient là.
L'ambiance était lourde quand Silas entra dans le couloir d'attente.
Il dédaigna madame Bourdon de l'ASE et fit une grosse bise à ses enfants.
Andreana tourna la tête, l'air très méchant à son encontre.
Elle n'appréciait pas la veille, alors que lui c'était l'antépénultième qu'il n'avait vraiment pas appréciée.
Son passage au greffe lui avait laissé un goût amer concernant Andreana.
Pas grave, il verrait quoi dire en fonction d'elle. Si elle le chargeait, il la chargerait. Et il avait des billes pour ça.
L'attaque de front vint de la juge.
Silas écoutait chaque mot, chaque phrase, chaque intonation, chaque accusation sur son couple, et sur lui essentiellement.
Vint à Andreana de parler. Elle expliqua sa situation. Elle travaillait, avait un appartement à elle, et était séparée de Silas, le père, depuis octobre 2017.
Vint à Silas de parler.
Il présenta sa situation de longue maladie pour bipolarité suite à sa dernière hospitalisation, ses finances chancelantes désormais avec des dettes du couple à payer, son logement désormais vide.
« J'ai une première question à vous poser Madame la Juge. J'ai lu en venant consulter le dossier au greffe avant-hier que je n'ai pas l'autorité parentale d'André ? Je suis son père ou je ne suis rien pour lui ? »
« Vous avez reconnu André deux ans et demi après sa naissance, donc le droit ne vous donne pas l'autorité parentale. Seule sa mère la détient. Cependant, il est votre fils. C'est bien votre fils, je vous le confirme. »
« C'est déjà ça ! Ha quand même, parce que je me posais la question ! »
Silas attaqua quand la juge lui offrit la parole. Pourquoi, en février, en première instance n'avait-il pas été invité à défendre les intérêts de ses enfants ?
Il lui dit qu'en première instance, trois éléments n'avaient pas été pris en compte.
La juge précédente s'était retrouvée seule avec l'ASE sans qu'aucune autre partie n'ait été invitée à y participer.
Le premier est qu'il était écrit dans le rapport de l'ASE que Silas était peut-être en HP.
C'était vrai ! Pour preuve que la grosse avait rencontré sa psychiatre avec l'assistante sociale des finances.
Il aurait pu être régulièrement convoqué surtout qu'il bénéficiait déjà d'autorisations de sortie les week-ends.
Il était écrit que Gib n'avait pas collaboré. Faux, Gib avait collaboré, mais il était le parrain catholique de Laura et était légitime pour garder les enfants.
Les flics étant allés chez lui avec la grosse et n'avaient rien trouvé à y redire.
Il aurait pu être convoqué lui aussi, puisque c'est lui s'occupait des enfants avec sa femme Tanie.
Andreana était revenue de ses voyages, et était chez Gib lors de l'audience du 13 février.
Pour preuve le lendemain, l'ASE l'avait appelé et l'avait eu sur son portable.
C'est même suite à cet appel qu'Andreana avait fui au Brésil avec les enfants avec l'aide de Gib.
Elle aurait pu être convoquée, elle aussi.
Les parents de Silas étaient également des gens pour recueillir les enfants.
Les frais de garde en famille d'accueil étaient de loin beaucoup plus chers que les billets d'avion pour les amener à Paris.
La juge s'interloqua.
Elle lut le dossier de feuille en feuille et regarda madame Bourdon de l'ASE avec mépris.
Elle se faisait retoquer par le justiciable sur la procédure.
Elle avait fait confiance à l'ASE à tort.
Silas continua sur les incohérences et les mensonges du rapport.
« Mais pourquoi avez-vous soustrait les enfants à la Justice, malgré une ordonnance de placement de la précédente juge des enfants ? »
« Madame, le juge ! Pour Andreana et moi, il n'était plus question de parler de légalité, car c'était devenu un problème de morale ! »
La juge lui demanda de lui expliquer l'origine de l'histoire sur son passage à vide qui avait entraîné son hospitalisation.
Silas prit une inspiration et regarda la fenêtre.
Il inspira deux fois.
Il se détachait.
Il voulait raconter son histoire comme un spectateur.
Ne surtout pas craquer devant tous ces gens, et surtout devant ses enfants.
Il commença.
« Comme cela faisait déjà de nombreux mois que j'étais un peu tout seul, alors un soir, j'ai eu envie d'un peu de présence féminine. Et je suis tombé sur la seule, mais alors la seule gonzesse qu'il fallait pas ! Elle était maquée avec le pire trafiquant de drogue de Cayenne, un dominicain, et je ne le savais pas.
Alors un lundi matin, je suis allé au commissariat de police pour porter plainte pour tentative de meurtre en bande organisée. »
« Vous avez des PV ? »
« Oui, oui, j'ai des PV, enfin un seul, car chez les flics ça s'est pas passé comme cela aurait dû se passer normalement. »
Silas expliqua le cheminement jusqu'à l'HP.
« Pour finir, cette histoire est sûrement fausse, et c'est ce que l'on veut faire croire.
Tout comme Katarina qui est morte, tuée à coups de bout de bois dans la foulée de mon hospitalisation.
Mais ce ne doit être qu'une rumeur. On ne la voit plus. Mais ça ne doit être qu'une rumeur.
C'est une de ses voisines qui m'a expliqué comment ses voisins l'ont retrouvée sur le bord de la route.
Putain de sale histoire Madame la Juge ! Vraiment une sale histoire ! »
Toute la salle était silencieuse.
La juge demanda à voir les enfants en tête à tête.
Dans la salle d'attente, Silas était à côté d'Andreana, à un siège d'écart.
« T'as aimé l'histoire, Andreana. Hein ? T'as aimé ? Avec toi, ça ne serait pas arrivé. J'ai failli mourir. Tu m'as abandonné sans que je ne le sache. »
« Je ne suis là pour payer tes conneries ! »
« J'ai vu ! Espérons que ça ne soient pas les enfants qui payent le fait que tu te sois barrée de la maison pour faire n'importe quoi. »
Cette discussion se faisait devant l'éducateur spécialisé de la protection de la jeunesse affilié au ministère de la Justice.
15 minutes plus tard, tout le monde revenait dans la salle.
Laura pleurait.
Silas la regarda avec une grande amertume.
André dit à son père en pleurant.
« Pardon papa d'avoir menti. »
Silas ne demanda pas de quoi il s'agissait.
Il avait évité lors de l'audience de rentrer dans certains détails, comme l'agression, pour que Laura n'entende pas.
« Ha, mon André ! Ha, mon André ! Tu vois ?
Aujourd'hui je suis certain que tu es vraiment mon fils, même si nous n'avons pas le même sang.
Tu es vraiment mon fils !
Merci André. »
La juge donna son ordonnance.
La mère avait les enfants, et le père un droit strict de visite encadré par une association mandatée, l'association FOURKA.
Une fois par mois, il verrait ses enfants avec des éducateurs pour évaluer sa possibilité de les voir seul.
Cela durerait 6 mois reconductibles.
Pour la mère aussi, l'association FOURKA serait sur son dos.
La juge demanda si quelqu'un dans la salle avait encore une chose à rajouter.
Silas leva la main.
« J'ai encore quelque chose à dire Madame la Juge.
Dans le rapport de l'ASE, j'ai lu des tas de contre-vérités, des approximations, des mensonges même.
La seule que je regrette, c'est que ma famille et mes enfants se soient retrouvés dans la violence conjugale.
C'est la première fois, et pourtant j'ai vécu avec 3 autres femmes, que cela se passe comme ça.
J'ai vécu dans mon enfance ce genre de situation : les cris, la peur, les coups.
Jamais je n'ai voulu cette vie-là ni pour mes enfants, encore moins pour ma compagne. »
« On reproduit, monsieur Kern, toujours notre enfance. C'est très logique », dit la juge.
« Ha, excusez-moi, mais c'est de la psychologie de comptoir ça. »
« Si, si monsieur Kern.
Dans mes fonctions précédentes, j'ai toujours été confrontée à des parents qui reproduisaient leur enfance dans leur vie de famille. »
« Je vais vous contredire encore.
C'est de la théorie freudienne ça.
Je suis plutôt adepte de Lacan, et surtout pas de ce dépravé de Freud.
Moi, je me suis battu contre des moulins, tel Don Quichotte.
Je ne pouvais pas comprendre, car il n'y avait rien à comprendre.
J'ai quitté mon ex-femme pour cette raison, pour justement ne pas faire subir à mon premier fils une ambiance similaire à ce que j'avais vécu.
Avec Andreana, cela n'a pas pu se passer autrement. C'est tout. Je le regrette.
Je perds ma famille, mes enfants, et la femme que j'aime encore. »
Silas se leva en disant qu'il allait faire appel, et la juge vint le saluer en lui serrant les mains.
« Courage ! lui dit-elle. Soignez-vous et vous récupérerez vos enfants ! » lui dit-elle plus doucement en aparté.
Silas se prépara à sortir de la salle d'audience et passa près de la femme de l'ASE.
Il lui intima l'ordre du regard de se pousser.
« Et vous ! Je vais vous traîner en justice ! » cria-t-il à son encontre en la menaçant physiquement, car il s'était rapproché d'elle.
Il pleura les larmes de son corps jusqu'à la sortie du tribunal. Il avait perdu les enfants.
Le soir, il appela Andreana.
« Tu as eu les enfants, car j'ai voulu que tu les aies. T'en es-tu rendu compte, Andreana ? »
« Je sais Silas. Merci. »