- Pardon?
- Tu as bien compris. Lança-t-elle
- Qui peut supporter autant de jours sans se laver?
- Ça ne vient pas de moi. C'est la tradition qui le demande. En plus tu ne dois t'asseoir sur rien mais à même le sol.
- Franchement, tata Yolande, tu exagères. C'est une histoire de quoi même?
- Tu dois respecter la mémoire de ton mari. Ainsi répondit-t-elle en quittant la pièce.
J'acquiesçai d'un signe de la tête. Pour eux Claude était un demi Dieu, l'homme bon et honnête de la famille; l'homme qui ne pouvait pas faire de mal à une mouche. Dans la réalité il était le contraire de ce que sa famille et ses connaissances pensaient de lui. L'une des raisons de son refus du divorce était surtout la peur qu'on ne découvre son vrai visage. Il avait peur de tomber du piédestal sur lequel ses gens l'avaient placé. Il voulait maintenir son respect et préserver son image en tant qu'Élite de son village.
Quelques heures plus tard la sonnerie retentit et à plusieurs reprises. C'était l'association des Camerounais de la ville. Ils venaient en groupes pleurer leur grand-frère. Tous ces jeunes que Claude avait soutenus n'arrêtaient de pleurer. Il était un ancien de la ville et était par conséquence une référence pour les nouveaux venus. Il les aidait beaucoup, particulièrement en cas de problèmes de prise en charge pour prolonger leur séjour car pas toujours évident quand on est étudiant et issu de famille modeste.
Ils pleuraient tous à chaudes larmes et étaient á chaque fois surpris par mon calme et ma sérénité. Ils s'attendaient à voir une veuve inconsolable. Je n'arrivais même pas à faire semblant.
Tata Yo, à un moment, m'a conduite à la cuisine et s'est indignée de mon attitude.
- Qu'est-ce qui ne va pas chez toi Sophie? Il s'agit de ton mari qui est décédé!!
Je la regardai sans mot dire. Je n'avais d'ailleurs rien à dire. La rancœur avait dominé sur la compassion.
Elle continua son bavardage...
- Sophie tu es sûre que ça va? Ton comportement commence déjà à m'inquiéter.
Avant qu'elle n'eût fini, Séraphin mon beau-frère fit son entrée dans la pièce. Je m'attendais à ce qu'il ajoute aussi sa part de remarques. Grande fut ma surprise lorsqu'il me défendit.
- Tata Yolande s'il te plaît laisse la un peu tranquille. Elle a perdu son mari et c'est déjà difficile comme situation. Faut pas y ajouter un autre problème. Laisse la respirer... Chacun a sa manière de gérer un deuil. Peut-être que chez elle cela se traduit par ce silence et nous devons le respecter.
- Hmmm, du jamais vu! Lança t-elle en sortant de la cuisine. Elle avait l'air en colère, mais que pouvais-je faire?
Séraphin continua à me consoler ...
- Ne prends pas ses dires au sérieux tata Sophie. Tu sais c'est la période du deuil et la tension monte un peu de tous les côtés.
- OK Seraph j'ai compris. Merci d'être là pour me défendre.
Il me prit dans ses bras et m'entraîna par la suite vers le salon. Je pris place dans un coin qui m'était spécialement préparée. Les gens venaient me présenter leurs condoléances en me disant des mots de consolation. Toutes nos connaissances et amis sont passés, à l'exception de de ma sœur Léonie. Elle ne se pointa que quelques jours plus tard, à la veille même de l'enterrement.
J'avais décidé une semaine plus tard de faire enterrer Claude en Allemagne. Une décision qui était perçue comme un scandale dans la famille et dans tout le village. Je dirais même un sacrilège. Ils attendaient tous la dépouille sur place au Cameroun, mais il ne se passa rien.
Cette décision était pour les enfants et pour moi aussi. Ils n'auront pas besoin chaque année de faire des milliers de kilomètre pour aller se recueillir sur la tombe de leur papa. Quant à moi je ne me voyais pas au Cameroun devant tout ce monde en train de jouer la comédie. Je n'aurais pas pu faire semblant de pleurer devant eux sans qu'ils ne s'en rendent compte. Les gens allaient parler de moi partout dans son village. Tata Yolande me supplia de revenir sur ma décision en vain...
- S'il te plaît ma fille, ne laisse pas ces gens incinérer le corps de Claude!!! Si c'est un problème d'argent, je vais assumer les frais d'expédition.
- Tata Yolande, avec tout le respect que je te dois, il va être enterrer ici. Je fais ce qui est bien pour mes enfants.
- Fais le au moins au nom de la maman. Donne lui la chance de revoir son fils pour la dernière fois.
- Mais Claude venait à peine de rentrer du Cameroun. C'était peut-être son aurevoir.
Elle ne dit plus rien et quitta la pièce dégoûtée.
Cette maman ne méritait même pas un cadeau de ma part. C'était certes son fils, mais il s'agissait aussi du père de mes enfants. Elle ne m'avait pas acceptée dès le départ dans la vie de son fils avait tout le temps un comportement digne d'un serpent à deux têtes. Je ne la maîtrisais pas du tout, elle était tantôt gentille tantôt méchante et ce genre de personnes ne m'inspirent pas du tout confiance. Notre relation était donc plutôt bancale.
Tata Yolande ne voulait rien comprendre. Nous avons presque bagarré le jour de la levée du corps au funérarium. Elle a arraché les cendres de Claude d'entre mes mains. Je suis tombée sur elle et on s'est bien enroulé au sol. Les gens nous regardaient, d'autres filmaient. Les forces de l'ordre sont venues et après quelques temps d'explication c'est moi qui eu raison. Une veillée avait eu lieu ce même jour. Séraphin et sa copine m'avaient été d'un très grand soutien. Ils ont géré toute l'organisation.
Une messe de requiem avait été dite le lendemain et Claude fut inhumé dans un cimetière catholique pas très loin de chez nous. Il était en règle à l'église; l'état prélève d'ailleurs de façon automatique le denier de culte en Allemagne une fois qu'un citoyen précise son appartenance religieuse. Tout s'est déroulé dans la stricte intimité avec ses amis proches et collègues.
Nous sommes rentrés pour une petite collation à la maison. L'atmosphère était triste et monotone. Léonie ne tarda pas à rentrer, pourtant elle était sensée rester auprès de moi. Nous ne nous sommes presque rien dit. Je sais qu'elle ne m'avait jamais pardonné le fait d'avoir épousé Claude. Le fait que j'avais pu malgré le mariage et la famille fini mes études et trouvé du boulot n'était pas suffisant. Le miroir était déjà cassé. Il manquait seulement qu'elle me dise qu'elle était même contre le mariage, que c'était bien fait pour fait.
Bref !
Tata Yolande resta encore quelques jours avant de retourner chez elle. Séraphin resta curieusement encore avec nous. J'étais contente qu'il soit là et en même temps je trouvais cela bizarre, mais je n'en fis pas un débat.
Ma décision de faire enterrer Claude était peu égoïste et j'en avais payé le prix. Le village entier m'accusa du décès de Claude. On disait que c'était la raison pour laquelle je voulais garder son corps pour moi, que je fermais la porte à une éventuelle autopsie. Je fus persécutée par ceux-ci pendant toute la période des funérailles.
J'avais repris le boulot malgré moi la semaine d'après l'enterrement. Je devais gérer Séraphin et les enfants en même temps. Son séjour prolongé chez nous me tapait déjà sur les nerfs. Il ne me servait à rien à la maison. Au contraire je devais aussi tout faire pour lui. Il devenait une charge pour moi.
Un soir après le boulot, j'ai décidé de lui dire ce que je pensais, lui parler de la situation qui devenait gênante pour moi.
Grande fut ma surprise lorsque j'ouvris la porte de ma chambre. Le bon monsieur était gaillardement installé dans mon lit.
- Euh Séraphin tu fais quoi dans ma chambre? Demandai-je intriguée.
- Sophie écoute il faut qu'on cause.
- Tu m'as appelée comment? Demandai-je encore plus étonnée.
- Sophie n'est pas ton prénom?
Je n'en croyais pas mes oreilles. Il était installé dans mon lit comme s'il en était le propriétaire et en plus de cela, il m'appelait par mon prénom. Je m'apprêtais à lui crier dessus lorsque mon téléphone sonna. C'était Josée sa copine.
- Allo Josée. Répondis-je calmement.
- Allo quoi? Eeeeh madame si tu as tué ton mari ne vole pas le mien. Tu gardes Séraphin chez toi depuis pour faire quoi avec lui? Tu ne sais pas qu'il a une femme?
Je suis restée sans voix. Ses paroles me choquèrent au point où je raccrochai le téléphone sans mot dire.
Avec les nerfs tendus je demandai à Séraphin de quitter ma maison sur le champ. Il se faisait tard mais il devait partir. Brême - Francfort est un trajet d'au moins 5 heures de temps, mais il devait seulement partir...
Séraphin avait d'abord cru que je blaguais. Il s'est levé du lit avec un sourire flatteur en s'approchant vers moi. Je mourrais d'envie de lui coller une gifle mais il fallait que je garde mon calme. C'est quand a vu la force avec laquelle je parlais qu'il a compris que j'étais sérieuse.
- Je t'ai demandé de partir de chez moi. Criai-je en le poussant hors de ma chambre.
- Tu es sérieuse Sophie? Regarde l'heure qu'il est.
- Je suis très sérieuse. Tu fais quoi ici depuis que le deuil est fini? Ta copine vient de me lessiver au téléphone. Je ne veux pas de problème avec vous !!!.
- Sophie, tu dois savoir que tu restes notre femme même si Claude n'est plus. On t'a dotée et cela me confère le droit d'avoir des rapports sexuels avec toi...
Ces mots résonnaient comme des coups de marteau dans ma tête. Je crus que j'hallucinais. D'où sortait-il avec de pareilles idées?
- Que t'arrive-t-il Séraphin? Ca fait à peine un mois que ton frère est décédé! Ses cendres se sont déjà refroidies? Tu oses vouloir coucher avec moi? S'il te plaît respecte au moins la mémoire de ton frère!
Il était planté là à me regarder. Il me laissa terminer ma phrase avant de sortir une autre carte.
- Sophie, tu parles de la mémoire de Claude? De quelle mémoire parles-tu ? Celle que tu as bafoué pendant la période du deuil ou d'une autre? Tu n'as pas versé une seule larme depuis notre retour de l'hôpital. Je me demande si ce qui se raconte partout dans la famille et même au village n'est pas vrai.
- De quoi parles-tu Séraphin?
- Tu crois que je n'ai pas vu le semblant que tu faisais pendant le deuil? Tu t'es carrément moquée que Claude soit mort. tu as versé quelques larmes de crocodiles et c'était tout. Tu portais des lunettes de soleil le jour de l'enterrement pour tromper les autres mais pas moi. J'ai réalisé à partir de ce moment que tu te fichais que Claude soit mort et c'est cela qui a conforté mes intentions de vouloir te «laver»...