On s'est rencontré lorsque j'étais encore au cours de langue et il venait de finir ses études. Il avait déjà un boulot. Après six mois de fréquentation il voulait déjà rencontrer ma famille, histoire d'officialiser les choses. J'avais trouvé cela un peu tôt, mais le gars me plaisait bien. Il avait le cœur sur la main comme on dit souvent et était toujours prêt à aider les autres.
Je fus tellement séduite par ce côté de lui que je finis par accepter sa proposition. J'étais d'autant impressionnée qu'il était jusqu'ici le seul prétendant qui ne voulait pas de sexe avant le mariage. Cela fit de lui l'homme idéal à mes yeux.
Je fis part de ses intentions à ma sœur aînée Léonie qui vit aussi en Allemagne. C'est elle qui m'avait d'ailleurs fait venir ici. Léonie ne prit pas bien la nouvelle. Pour elle j'étais venue pour les études et non pour le mariage, à peine quelques mois en Allemagne. J'ai signé et insisté surtout que je sortais d'une relation qui s'était très mal terminée. Ma famille s'y était opposée tout simplement parce qu'on n'était pas de la même tribu.
Après avoir beaucoup insisté la famille valida ma relation avec Claude et on finit par se marier. De notre mariage sont nées Melissa(neuf ans) et Wendy(sept ans.)
Je viens d'une famille modeste et recomposée de 5 enfants dont 3 issus du premier mariage de papa: Léonie, Stephan mon cadet et moi. Maman est décédée lorsque je n'avais que seize ans et papa a refait sa vie un an plus tard. Léonie n'a jamais accepté cette nouvelle union. Mes deux petites sœurs, Léa et Léna, en sont nées.
*** À l'hôpital ***
Au réveil Séraphin était assis à mon chevet. J'étais sans voix et ne savais quoi dire. Ma seule réaction était d'éclater en sanglots en prenant conscience de la très mauvaise surprise que la vie m'avait réservé.
Séraphin en pleurs me serra très fort. Il avait essayé tant bien que mal de me consoler mais rien n'y fit. J'étais inconsolable. C'était incroyable mais vrai. Claude était vraiment parti.
- Ah Sophie ça va aller, sois forte. J'ai déjà informé tata Yolande. Elle va récupérer les enfants et informer la crèche.
- J'ai l'impression de vivre un cauchemar. Dis-je les yeux larmoyants.
- Nous sommes là. On doit se serrer les coudes. N'oublie pas que tu dois être forte pour les filles.
- Ça va aller comment Seraph? Que vais-je bien dire aux enfants, surtout à Melissa la fille à papa?
Melissa était très proche de son papa. Elle a toujours préféré rester avec lui et le regarder bricoler. C'était ainsi depuis qu'elle avait arrêté de téter. Cela me frustrait même parfois... Comment allais-je expliquer à cet enfant qu'elle ne verra plus jamais son papa chéri? Elle ne savait même pas ce que signifiait mourir. C'était un coup trop dur pour moi.
J'avais commencé à ressasser le passé, à revoir nos moments ensemble, toutes les fois qu'on s'était disputé, toutes les mauvaises paroles que je lui avais souvent lancé. J'eus envie sur le moment de rentrer le temps et lui demander pardon, mais hélas il se faisait déjà tard.
Entre temps la porte s'ouvrit et une infirmière fit son entrée.
- Madame Djomo, comment allez-vous? Demanda-t-elle en fouillant le dossier qu'elle avait en main.
- Je vais très mal. Répondis-je en pleurant.
- Soyez forte madame, c'est la vie. Si vous avez besoin d'un psychologue faites-le nous savoir.
- Non, je veux juste rentrer. Je viens de Brême et mes enfants doivent se poser beaucoup de questions.
Il était déjà dix-sept heures.
- OK, je prends votre tension artérielle. Si elle est bonne vous pourrez rentrer ce soir.
- C'est compris. Répondis-je.
Elle finit de m'ausculter. Tout était parfait. Elle fit ensuite une prise de sang. Je ne compris pas à quoi cela était destiné. Prendre le sang est leur travail ici. Où elle racontait pour quel examen ce sang était destiné oh? Je n'écoutai même pas. Tout ce que je désirais était de rentrer. Ils exagèrent parfois ici. Quelqu'un est juste sous le choc on prend son sang ...
Je devais signer quelques papiers avant ma sortie. Séraphin proposa d'aller les chercher, vu mon état.
Aussitôt qu'il sortit, la porte s'ouvrit. Un monsieur aux longues jambes entra dans la pièce...
Il s'agissait bel et bien du monsieur à la salle d'accueil. M'avait-il suivie? Me demandai-je intérieurement.
Son entrée dans ma chambre d'hôpital créa en moi une sensation étrange. Mon cœur fit un tour que je ne compris pas du tout.
Je mis cela sur le compte du choc sous lequel j'étais encore et essayai de rester calme. Je venais juste de perdre mon mari et c'était tout à fait normal que je perde un le contrôle.
- Hi (salut)! Lança-t-il tout calmement.
- Hi! Répondis-je intriguée par sa présence.
Sans même attendre je lui dis que son visage m'était familier et que j'avais l'impression de l'avoir déjà vu quelque part.
- Excusez-moi si je me trompe, je crois vous avoir vu à la fête des ivoiriens.
Son visage me disait quelque chose. Ça devrait être à la fête que les ivoiriens de ma ville avaient organisée à l'occasion de la célébration de leur indépendance.
- Désolé, je ne comprends pas bien la langue...
- Ah sorry. Dis-je en me levant du lit. En allemand alors?
- Non, vous vous trompez sûrement. Je ne vis pas ici, je viens du Nigeria et nous étions en Angleterre pour un voyage d'affaire.
- Nous? Comment nous? Mais tu es seul là.
Sa mine changea tout d'un coup.
Avec son «nous» là j'avais cru qu'il parlait de moi aussi et que j'étais devenue amnésique ou que j'hallucinais.
- Ma femme était aussi impliquée dans cet accident sur l'autoroute.
- Oh nooon! Et comment elle va?
- Elle n'a pas survécu. Elle est d'ailleurs morte sur place.
J'eus subitement de la peine pour lui. C'était une terrible malchance. Il voyage avec sa femme et rentre avec un cadavre! Je me suis encore bien rapprochée de lui et il se
mit à couler des larmes.
Le prendre dans mes bras était tout ce que je pouvais faire en ce moment-là. Et il n'avait pas hésité à me serrer très fort à son tour.
On ressentait la même peine. On venait tous les deux de perdre des êtres "chers". Je me suis sentie en sécurité dans ses bras. Le serrer contre moi m'avait fait un bien fou. Je ne voulais plus que ce moment s'arrête lorsque tout à coup j'entendis:
- Tantine, tout est prêt. On peut partir. Dit Séraphin l'air gêné.
Je me suis vite décollée de lui comme si je me reprochais quelque chose.
- Ah Séraphin tu es là? Demandai-je en passant la main dans mes cheveux. Lui c'est ...
- Jack, lança le monsieur.
- Désolée on ne s'est même pas présenté. Moi c'est Sophie et lui c'est Séraphin, mon beau-frère.
- Enchanté. Répondit Jack en serrant la main de Séraph qui me regardait en se demandant sûrement quel épisode il avait raté en si peu de temps. Il venait de me trouver dans les bras d'un parfait inconnu. Et dans quelle circonstance en plus ?
Sans tarder, je crevai l'abcès.
- Heuh Séraphin, l'épouse de Jack était aussi impliquée dans l'accident.
- Oh ! Et comment elle va? Réagit-il, le front plié.
- Elle est décédée sur le coup. Répondit Jack en poussant un grand coup d'inspiration.
- Mes sincères condoléances. C'est un coup dur mais le Dieu Tout Puissant en a décidé ainsi. Remettons tout entre ses mains.
- Merci beaucoup mon frère, je vous laisse. Lança-t-il en se levant. J'ai encore des formalités à remplir ici. Du courage à toute la famille. Dit-t-il et pris la sortie.
- Merci beaucoup Jack et du courage à toi aussi, sois fort ...
Il sortit en me jetant un regard du genre "tiens bon", tout ira bien" etc...
On s'est dépêché, Séraphin et moi, de nous en aller aussi. J'avais un délai d'une semaine pour contacter la morgue et leur dire si le corps allait être enterré en Allemagne ou au Cameroun. Ce qui pour moi était un grand dilemme.
Nous avions sans tarder pris l'ascenseur qui menait au parking, Séraphin me tenant par l'épaule. Je pleurais sans cesse et n'arrivais pas à croire que Claude soit décédé et que son corps était à la morgue. J'avais l'impression que ce n'était qu'un cauchemar, que j'allais me réveiller d'un moment à l'autre et tout allait être comme avant. Mais hélas...! Il était vraiment parti.
Mon esprit était tourmenté et envahi de pensées horribles. Le fait de penser qu'on allait désormais me pointer comme celle qui a perdu son mari lors d'un accident me rendait dingue. Je me demandais comment j'allais dire aux enfants que leur papa n'est plus. Je me questionnais si j'allais pouvoir supporter les regards des voisins et des collègues. J'ai horreur qu'on ait pitié de moi. J'avais pleuré pendant tout le trajet quittant l'hôpital vers le parking. Il fallait encore chercher où le véhicule avait été garé. Cela nous a pris au moins une trentaine de minutes, ce qui me perturba davantage.
Le véhicule fut enfin retrouvé et Séraphin prit le volant.
Il était temps pour moi d'aller affronter la réalité, celle de me coucher dans mon lit en sachant que Claude ne reviendra plus jamais. Celle de dire aux enfants qu'ils ne verront plus jamais leur papa, celle de porter la casquette de veuve à mon si jeune âge...