Paraph' et Chloé: Histoire d'un bain fantasmatique en trois parties
img img Paraph' et Chloé: Histoire d'un bain fantasmatique en trois parties img Chapitre 5 No.5
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Chapitre 5 No.5

V

Je trouve la Garonne magnifique. Il fait beau. Le vent me plaît. Elle nage dans le soleil, légère, infiniment légère. Sa légèreté me porte. La secrétaire est bougonne, c'est normal. Je suis ailleurs, dans une fragrance si discrète que je dois enfermer mon nez dans les mains pour la retrouver mêlée au magnolia du savon, fugitive, déjà dénaturée par le papier glacé, les photocopies, le kraft et tout ce que je touche sur ce bureau. Le patron a laissé ses instructions, je les suis docilement, le travail avance. Je ne regarde quasiment plus par la fenêtre.

« Hé bé, venez boire un café avec moi ! »

Je n'avais même pas senti. Elle va encore me raconter ses histoires de gosses malades, son mari au chômage, les traites et le reste. D'habitude, je dis « Oui, oui. » En pensant à autre chose. Je connais par cœur, mais elle fait bien le café et il vaut mieux être avec elle que contre, le patron adore qu'on lui dise du mal de nous, et elle ne se prive pas non plus de le démolir dans le dos, certains sont tombés dans le piège. Téléphone. Ma virée d'hier porte déjà ses fruits, bien plus juteux que prévus. Je lui dicte la commande. Elle me félicite.

« Ah, si mon mari était comme vous ! Mis à part qu'il est bel homme. »

Je l'ai déjà vu. Je ne sais pas ce qu'elle lui trouve. Mais elle est tellement laide. Elle est hideuse.

Son haleine légère parfume encore mon âme et je me sens frémir, les yeux mi-clos. « Qu'est-ce que vous avez ? »

Elle me dégoûte avec son nez de fouineuse, pourvu qu'elle prenne bien vite sa retraite, elle y aurait déjà droit, mais elle va s'accrocher, évidemment. Le cappuccino fumait au soleil, elle faisait des ronds de fumée. Je me lève.

« Merci pour le café. »

Elle découvre ses dents jaunes. Je file vers la Place de la Bourse ; après tout, j'ai déjà bien avancé ; si je liquide ce client avant midi, j'irai directement rejoindre le type de chez Ducard au restaurant. Après-midi libre. En sortant, je déconnecte le portable. Il faut que je marche.

Encore une affaire vite traitée. J'arrive le premier. Américano. Amuse-gueules.

« Je ne vous ai pas attendu. »

Le pavé est délicieux. Je note en vitesse, ça va tout seul. On aurait pu faire tout ça par téléphone.

« Non, merci, je ne prends pas de dessert, vous m'excusez. »

Je presse le pas, Capitole, Wilson, Boulevards, l'agence de pub est dans une rue glauque, à l'angle. Je pile net. Elle sort précipitamment avec une grosse chemise cartonnée sous le bras, m'aperçoit, pousse un immense soupir, ses épaules retombent, elle s'est arrêtée sous un rayon de soleil, le vent léger danse discrètement dans ses cheveux, tout son visage bascule dans la tendresse, le sourire, je réalise à peine que je me jette sur elle, la serre dans mes bras : « Chlo ! »

Elle éclate de rire dans mon étau :

« Nennst du mich Clos ? Ich lass'es mir nicht gefallen !14»

Je n'y pensais pas. Je desserre mon étreinte, recule un peu, elle rit toujours.

« Mais où as-tu la tête ? »

Mon adorable casse-pieds se fiche de moi, j'ai l'air penaud, elle appuie son front contre mon épaule.

« Emmène-moi ! »

Sur la table de la cuisine, une pyramide de ravitaillement.

« Assieds-toi ! ».

Je regarde passer les premiers nuages, tout blancs, au-dessus de la Garonne, dans un parfum de cappuccino.

« Tu voulais tout savoir ? Pose-moi des questions ! »

Je n'ai rien à demander. Elle parle, lentement, avec précautions, cherche le mot juste, se promène dans le défilé de ses souvenirs, de ses années creuses dit-elle, me berce de rétrospectives, d'analyses ; elle parle bien, longtemps. Je comprends tout dans la lumière bleutée venue de je ne sais où. Elle est assise sur le tapis, elle se rapproche, se met à genoux devant moi, en silence, ses yeux rayonnent d'une lumière infiniment douce, elle s'approche encore, un calme immense m'envahit, je m'abandonne à sa merveilleuse tendresse qui me berce inexorablement, à l'émotion folle, puis aux murmures passionnés que ses lèvres parfumées d'amour déposent ensuite sur les miennes en un souffle continu qui me bouleverse comme jamais auparavant.

« Je t'écoute ».

C'est à mon tour de dérouler longuement le film terne de mon passé, de l'usure, des déceptions, des réussites qui n'apportent rien de fondamental. Je trouve des mots nouveaux, ma voix est différente, je n'avais jamais parlé ainsi autrefois, avant elle, si simplement, si vrai. Mon histoire ne peut pas l'intéresser, elle ne peut intéresser personne, mais elle écoute les glouglous de mon âme comme une récompense. Elle voit l'ouverture, déjà béante, dans le béton d'indifférence et d'habitudes érigé autour du cœur. Les verrous inutiles sautent sans bruit. Quand je me tais enfin, elle inspire fort, fort.

« J'aime ta voix ! »

Que lui répondre ? Que ma voix l'aime d'être écoutée ainsi ?

Elle ajoute :

« Je me sens vivre ».

Mon passé ? Il me semble que c'est celui d'un autre que moi.

« Oui, avec toi, je me sens vivre, vivre en vérité. En vérité de moi, de toi. » Elle ferme les yeux. Je la porte, elle rit, nous tombons sur mon lit, j'ai l'impression d'être un sauvage, de la violer, de la tyranniser sans répit, de la dévorer avec fureur jusqu'au terme de son inépuisable docilité, de mon dernier souffle ; elle plante alors ses ongles dans mes cheveux collés par la transpiration, relève ma tête : une force immense anime son regard vert, volcanique, vertigineux, sa voix haletante et rauque me crie « Toi ! » puis elle referme ses bras et me serre contre elle, sa bouche à mon oreille me brûle au rythme de sa respiration, nous volons à la vitesse de la lumière, nous sommes la lumière.

Lentement, nos âmes en fusion retrouvent leur place dans nos corps soudés, la pénombre se dépose autour de nous, je prends son visage entre mes mains, je lui lèche les joues, le nez, le front, les oreilles ; elle rit doucement :

« Arrête, on dirait un chien ! »

Je me redresse sur mes bras tendus, la contemple :

« C'est bon d'être un homme. »

Elle referme les yeux, paraît inerte, totalement abandonnée, détendue, ses traits sont légèrement creusés, elle murmure :

« C'est bon d'être ta femelle. »

Je me laisse retomber à son côté, elle se tourne contre moi, passe une main sur mon visage, sur mes lèvres, sur ma poitrine.

« Ne me laisse pas avoir froid ».

Je tire la couette sur nous, elle nous recouvre presque entièrement, nous nous endormons sans le savoir.

                         

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