Je passe une robe portefeuille motif cachemire sans manches que je marie à des mules hautes assorties. Petit maquillage, petit parfum, coup de brosse rapide, rapide chignon negligé , je suis prête.
Moi, m'addressant à Odile: Je vais au salon. Tu viens?
Odile: Tu veux déjà changer ton tissage?
Moi: Non. Les ongles seulement.
Elle ferme son livre qu'elle pose sur la table de chevet avant de se lèver du lit. J'éteins la radio et recupère mon phone que je mets dans un petit clutch avant de sortir de la pièce avec Odile. Mon téléphone fait un bip bip quand j'arrive dans le couloir. Je le sors et remarque que j'ai deux messages de Richard. Je les efface sans les lire. Mon temps est extrêmement précieux et je n'en ai pas pour lui et ses messages à deux sous six francs. Des hommes instables, je n'en veux pas.
Papa: Où allez-vous comme ça? demande-t-il quand il nous voit traverser le salon
Moi: Au salon de coiffure papa. Veux-tu que je te ramène quelque chose?
Papa: Oui. Tu me prends un paquet des crayons, celui-ci est presque fini, dit-il en me montrant le petit crayon qu'il utilise pour ses mots croisés.
Moi: Entendu Papa. Et du crédit?
Papa: Non, t'inquiète, j'en ai encore.
Moi: Ok.
Sylvain : Je peux venir? dit-il en se mettant déjà debout.
Moi: Non. Reste regarder la télé.
Il se rembrunit et se rasseoit sur le fauteuil. Quand tu vas quelque part avec Sylvain, il faut prendre soin de ne pas passer devant un shop, chose impossible dans ce quartier où il y a des petits "ligablo" (shops) presque partout. Il va te faire du bruit: Achète-moi ci et ça, je veux ça et ci.
Moi: Je te ramène un paquet des biscuits Maria, ok? dis-je pour le consoler.
Sylvain, avec sourire instantané : Ouiiii! Ya Ouda, ajoute aussi les chips au fromage, la marque spooky s'il te plaît.
Vous voyez?
Odile et moi sortons de la parcelle en papotant. Je prefère qu'on commence par le shop pour ne pas que j'oublie. Je dois aussi m'achèter du crédit pour chatter avec mes deux copines du coeur, mes nanas de luxe: Joconde et Félicia. On est copines depuis le Lycée et ce que j'adore chez elles c'est qu'elles réflechissent et voient les choses comme moi. Que voulez-vous? Qui se ressemblent, s'assemblent.
Je suis entrain de dire à une Odile aux anges que mon Samsung sera à elle demain puisque j'aurai mes nouvelles bombes lorsqu'une scène accroche mon attention. Une scène devant la nouvelle parcelle devant laquelle j'ai aperçu les camions des deménageurs en rentrant du travail.
Deux jolies jeunes filles que je dévine avoir entre18 et 20 ans sont assises sur des chaises en plastique devant le portail rouge rouille qui est grand ouvert; elles rient aux éclats en regardant je ne sais quoi dans un téléphone que tient l'une d'elles. À quelques pas d'elles se tient un jeune homme bâti comme un dieu: cheveux coupés ras, teint chocolat, beau, grand, athlètique, bras puissants (on sent qu'il fait du gym), jambes légèrement arquées. Il a à la main un long tuyau vert d'où jaillit de l'eau avec laquelle il aspèrge une Kia noire couverte de mousse d'où s'échappe "Still D.R.E" de Dr. Dre, full volume.
http://www.dailymotion.com/video/x28jz4_snoop-dogg-dr-dre-still-dre_music
Il est vêtu d'un débardeur blanc tout mouillé et collé contre son torse parfait sur un pantalon jean soviet noir porté en mode sagging.
Man!
Je dois avouer malgré moi qu'il a un swagg mortel.
Ce sont eux les nouveaux voisins?
Il lève les yeux de la caisse qu'il lave et nos regards se croisent; je suis enervée et surprise de remarquer que je retiens mon souffle sans le vouloir et il y a cet idiot de coeur qui se met à battre en désordre.
L'impolitesse!
Je soutiens son beau regard placide pendant quelques sécondes avant de regarder ailleurs, menton hautainement levé, moue de dédain en place.
- Coucou Odile! lancent les deux filles.
Oh! Donc elles connaissent même déjà Odile? Quand je vous dis que ma soeur a de ces vitesses! Elle a dit avoir rencontré juste la maman mais je me rends compte qu'elle a fait connaissance avec la famille entière.
Odile: Coucou! répond-elle joyeusement.
Elle se tourne vers moi
Odile: Ya Ouda, viens que je te présente.
Avant même que j'ouvre la bouche pour dire un non sans réplique, elle se saisit de ma main et me dirige vers les deux créatures qui se lèvent de leurs chaises à notre approche.
Odile, quand nous arrivons à leur niveau: Athena, Abiba je vous présente ma grande soeur, Raouda. Ya Ouda, Athena et Abiba, dit la maman sociale.
Leurs parents ont un truc pour les noms commençant par A on dirait.
Elles, tout sourire: Bonjour Raouda, enchantées de faire ta connaissance, font-elles en serrant ma main à tour de rôle.
Moi: Moi de même.
- Tu es vraiment très belle, dit celle qui s'appelle Abiba.
Je ne peux m'empêcher de sourire. Elle sait reconnaître les vrais trésors celle-là. Elle me plaît déjà un peu.
Moi: Merci, tu n'es pas en reste non plus. Comment trouvez-vous Bandal?
Athena: C'est bien et mouvementé. On aime beaucoup.
Je vois du coin de l'oeil monsieur "swagg illégal" s'approcher de nous en s'essuyant les mains avec une serviette
- Odile, tu ne me présentes pas? dit-il d'une belle voix grave
Odile: Krkrkrkrkrkr, bien sûr ya Ado. Je te présente ma grande soeur, Raouda, dit-elle avec toutes les 32 dents dehors.
Il me tend sa main que je prends plus pour être polie qu'autre chose.
Lui: Raouda. Très joli nom. Adovi, ravi de faire ta connaissance, dit-il doucement
Il se dégage de lui quelque chose qui me dérange. Je me sens tout d'un coup très maladroite et timide. Je n'aime pas ça.
Moi, du bout des lèvres: Moi de même.
Je retire rapidement ma main de la sienne et balbutie un aurevoir avant d'entrainer avec moi une Odile qui ne semble pas du tout pressée de quitter ses nouveaux amis.
Moi, quand on arrive un peu plus loin: Odile, toi vraiment hein! Les gens arrivent seulement aujourd'hui dans le quartier et ils sont déjà tes amis. Même si on dit qu'on est sociable, tu depasses les bornes. Il faut savoir être distante des fois! dis-je irritée.
Odile: Oh!
Moi: Il faut bien dire Oh. C'est comme ça que tu iras un jour atterir chez des sorciers qui vont bien te manger.
Odile:...
La verité est que mon irritation vient du trouble que j'ai ressenti à la vue de cet Ado machin chose. Une poche vide comme ça!
Nous entrons dans le shop où j'achète ce dont j'ai besoin et passe le sachet à Odile avant de sortir. Je n'aime pas marcher autour avec en main les sachets noirs de ce genre de petits shops. Ça fait trop tâche.
Nous marchons vers le salon de maman en silence. Odile me boude.
Moi: Je suis comme de l'eau. Tu peux réfuser de me boire mais tu auras besoin de moi pour te laver, chantonné-je pour la taquiner.
Elle ignore ma pique et continue de marcher en machouillant son chewing gum, le visage amarré.
Krkrkrkrkrkr, du vent. Odile n'arrive jamais à rester fâché plus d'une heure contre moi.
Nous trouvons le salon plein. Maman est occupée à poser des faux cils à une cliente pendant que ses autres filles posent des tissages à des femmes assises devant les miroirs. Je vais lui faire la bise avant d'aller prendre place dans le coin manicure et pédicure. Zola, la fille qui s'occupe souvent de moi, vient vers moi et me salue avant de s'enquerir de ce que je désire; elle va chercher une petite bassine remplie d'un liquide dans lequel elle trempe mes doigts avant de retourner s'occuper de sa cliente.
Mon phone fait un autre bip bip. Je sais que c'est encore Richard. Il perd son temps. J'appelle Odile et lui demande de sortir mon phone de mon sac pour moi puisque mes mains sont prises. Elle s'exécute et je découvre que j'avais raison, c'est un message de Richard. Je suis curieuse de savoir quelles âneries il m'a écrit. Je demande à Odile de cliquer sur l'enveloppe, chose qu'elle fait. Je tombe sur un:
" Bébé, n'as-tu pas vu mes messages? Je sais que tu es fâchée contre moi, C'est totalement légitime mais il faut vraiment qu'on parle. Donne-moi une chance de m'expliquer.
Ton Rich."
Pfff! Mon Rich. Imbécile. Côchon d'inde.
Odile efface le message à ma demande avant de poser le phone sur la table devant moi et d'aller continuer à épiler ses arcades sourcilières devant un des miroirs.
Zola revient et sort une de mes mains de la bassine, la pose sur un couffin avant d'entreprendre d'enlever un a un les faux ongles.
Bip bip.
Je roule les yeux.
Maman qui a fini avec sa cliente va rapidement vérifier que ses filles s'occupent bien des clientes avant de venir s'asseoir près de moi.
Maman: Ça va ma chérie?
Moi: Ça ira comment maman quand cet idiot de Richard m'inonde le téléphone avec ses messages merdiques.
Maman: Han? Mais il a du culot! Ignore-le, il n'a pas su reconnaître ta grande valeur. Sa perte.
Bip bip.
Moi: Je suis sûre que c'est encore lui.
Maman prend mon phone et clique sur l'une des enveloppes, nous tombons sur:
" Je suis vraiment désolé ma Raou. Elle m'a piégé. Je ne l'aime pas. C'est toi que j'aime."
Maman et moi: Menteur!
Maman: Ce crétin croit qu'on est né hier. C'est le genre qui veut sa tartine beurrée de deux côtés. Son seul regret c'est de s'être fait pincé.
Moi: Vrai.
Elle clique sur la deuxième enveloppe:
" Tu me manques bébé. Dis-moi tout ce que tu veux que je fasse pour obtenir ton pardon et je le ferai sans hésiter. Tes désirs, mes ordres."
Nous: krkrkrkrkrkrkrkrkr!
Maman: Plus menteur qu'un homme, tu meurs calciné sur place, je jure. Raouda?
Moi: Maman
Maman: Que ses paroles sucrées ne t'adoucissent pas. Il a déjà sa vie bien rangée avec sa petite fiancée, il veut te prendre comme pneu de résèrve. Jamais, tu m'entends?
Moi: Oui maman.
Maman: Il ne faut jamais accepter d'être le numéro deux d'un homme quelque soit sa fortune. Tu seras toujours la première ou rien. Et pas celle de n'importe qui hein. La première d'un gouverneur, d'un ministre, d'un grand businessman ou même celle d'un proprio des banques, fait-elle en arrangeant mon chignon negligé qui s'est un peu défait.
Moi: Maman, Pravesh a encore appelé.
Maman: L'indien là est comment? Ça c'est quelle façon de coller quelqu'un?
Moi: Je te dis. Cette fois j'ai décroché.
Maman: Rhooo! Pourquoi?
Moi: Toi-même tu sais que j'avais besoin d'un nouveau phone non? J'ai introduit le dossier après lui avoir menti que je ne prenais pas ses appels parceque j'étais à un deuil à Matadi, il m'a cru. Il a dit que j'aurai mon phone et ma tablette demain. Mais le hic c'est qu'il veut qu'on dîne ensemble demain soir chez lui.
Maman: Hum. Simple. Tu vas chez lui toute de noir vêtue avec des garnitures en bas. S'il essaie de te toucher tu lui dis que non seulement tu es en deuil et que dans notre culture c'est dangéreux de faire des choses quand on est endeuillé mais aussi que l'armée rouge a envahi le pays. Mais pardon, après ça, tu coupes le pont avec cet indien. Ces gens là ont trop des fétiches.
Moi: Entendu maman.
Maman: J'ai parlé à papa Bitini, le monsieur qui a dessiné ton plan là. On s'est mis d'accord sur un prix. Lundi prochain un camion ira déjà déposer le sable blanc à ton terrain là-bas comme ça ses gens pourront commencer à fabriquer les briques pour la clôture, fait-elle
Moi: Oh chouette! :)
Pendant que je discute encore avec maman, je vois le fameux Adovi passer devant le salon. Il a troqué son haut de tout à l'heure contre un t-shirt bleu. Mon coeur me refait la même lâcheté que tout à l'heure.
Rhoooo! C'est quoi ça?
Je déteste cet Adovi/laveur de voiture!
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Alfred me dépose devant la villa de Pravesh à Gombé autour de 18 h. Son gardien me laisse entrer; je me compose un visage triste pendant que je longe l'allée qui conduit à sa veranda qui s'étend sur toute la longueur de la devanture de la villa. Ma tenue consiste d'une robe peplum noire et d'un foulard noir que j'ai passé autour de mon visage en mode hijab. Pas de bijoux ou maquillage, Sac noir, talons peep toe noirs et garnitures en place.
Je frappe trois coups quand j'arrive devant la porte, il vient ouvrir vêtu d'une tenue traditionelle beige et or qui lui va à ravir. Il faut quand-même avouer que ce Pravesh est très beau avec ses cheveux noirs aux reflets bleutés, ses grands yeux profonds aux longs cils on dirait bambi et son beau teint laiteux.
Son visage s'illumine d'un sourire quand il pose ses yeux sur moi.
Lui: Ma poupoune, ça va? dit-il en me tirant à l'intérieur. La lumière y est feutrée et une musique instrumentale aux connotations orientales joue en sourdine.
Moi: Ça va un peu. Et toi Pravy?
Lui: Ça va mille fois mieux maintenant que tu es là. Ça fait tellement plaisir de te revoir. Encore désolé pour ta perte Poupoune, dit-il, l'air sincère, tout en m'entrainant vers l'un des fauteuils de son salon.
Il s'asseoit très près de moi et passe un bras autour de mes épaules. De sa main libre, il enlève mon foulard et dépose tendrement un baiser sur ma joue.
Regardez-moi ce Pravesh, il croit vraiment que c'est aujourd'hui qu'il brûlera la noix de palme. Zéro sur vingt.
Lui: Tu es toute triste ma Raouda, je vois que la personne qui est morte t'était vraiment très chère.
Je fais tristement oui de la tête.
Lui: Je comprends ta peine. J'étais inconsolable quand j'ai perdu ma soeur il y a de cela deux ans.
Moi: Oh! Désolée.
Je le suis vraiment. Je ne veux même pas commencer à imaginer comment je me sentirais si je perdais ma soeur ou mon frère. Cauchemar.
Lui: J'espère que tes cadeaux te remonteront un tout petit peu le moral. Je t'offre quelque chose à boire? Du jus, du thé?
Moi: Un verre de rosé s'il y en a. Merci.
Lui, en se redressant un peu: Aziz! Aziz!
Un jeune homme un peu rond et petit de taille accourt. Il est aussi indien mais son teint est un peu plus tané que celui de Pravesh.
Yooooh! Je réalise que je suis toute seule dans une énorme villa dans un coin très très calme de Gombé avec deux indiens et un gardien sûrement très loyal à son patron qui garde le portail.
Je déglutis avec peine, un peu paniquée.
Pravesh lui parle dans une langue dont je ne comprends pas un traître mot avant qu'il ne disparaisse comme il est apparu.
Moi: C'est un employé?
Lui: Oui. Mon cuisinier pour être précis. Je l'ai fait venir de l'Inde spécialement pour cela. Il est le seul qui sait vraiment préparer les plats de ma tribu dont je rafolle.
Le fameux Aziz revient avec une bouteille de vin et deux verres à pied, il fait rapidement le service avant de redisparaître. Je porte mon verre à mes lèvres et laisse le liquide riche et sucré se déverser dans mon palais, réchauffant agréablement tout mon corps . Je remarque que Pravesh ne boit pas, il me regarde, pensif en faisant doucement danser le liquide rosâtre dans son verre.
Lui: Raouda
Moi: Oui, réponds-je en réposant mon verre sur la table basse devant moi.
Lui: Pourquoi ne veux-tu pas me prendre au sérieux?
C'est encore quelle question ça?
Lui: Est-ce parceque je ne suis pas de ta race? continue-t-il
Pravesh, tu me fais tout cet interrogatoire là à cause du petit iPhone et la tablette?
Lui: Hum? fait-il en promenant le dos de sa main du bas de mon menton à ma joue.
Ok. Je vais lui jouer la carte de la fille qui a peur de se faire briser le coeur.
Moi: Pravy, on sait tous que quand vous venez dans ce pays, c'est pour le business. Vous avez femmes et enfants qui vous attendent en Asie là-bas. J'ai peur de m'engager et de me faire jeter après comme un vieux chiffon après usage.
Lui: Pourquoi m'enfermes-tu dans un stéréotype?
C'est encore quoi stéréotype?
Il dépose son verre et me saisit par les épaules en me regardant droit dans les yeux
Lui: Raouda, personne ne m'attend en Inde, à part ma famille bien sûr. Je t'aime Raouda et je veux que toi et moi construisions quelque chose ensemble. Je t'aime. Ce que je ressens pour toi, je ne l'ai encore ressenti pour personne.
Wooooh! On sent vraiment que ces mots viennent du plus profond de lui.
La poisse.
Et moi qui suis juste venu pour mon IPhone et tablette!
Sans que je ne m'y attende, il rapproche son visage du mien et prend possession de mes lèvres. Ce n'est pas désagréable même si ça fait tout drôle comme à chaque fois qu'on embrasse quelqu'un pour qui on ne ressent absolument rien. J'y réponds mécaniquement.
Lui: S'il te plaît poupoune, accorde-moi une chance, je promets de ne pas te decevoir. Je me convertirai au christianisme si c'est ce que tu veux, dit-il contre mes lèvres.
Mama! C'est du sérieux.
Il détache ses lèvres des miennes, colle son front au mien les yeux fermés, ses mains tenant toujours mes épaules
Lui: Je t'ai denudé mon coeur Raouda. Dis-moi quelque chose.
Moi:...
Je fais quoi?
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