Il a une petite copine depuis quelques semaines. Il fait comme si ça n'était pas sérieux, mais je sens bien que ça n'est pas vrai. Dès qu'elle lui écrit, son visage s'illumine, il est bien avec elle et c'est tout ce que je lui souhaite, de trouver une personne qui continuera de le faire sourire de la sorte.
- Allez files la rejoindre, dis-je alors qu'un client entre dans le bar. Et profites bien du reste de ta journée avec elle.
Il ne relève pas mais je sais très bien que c'est ce qu'il va faire. Le client s'installe et aussitôt je vais le voir pour prendre sa commande. J'ai les jambes lourdes, je sens que la journée va être longue mais ça n'a pas d'importance, je dois tenir, encore un peu avant de pouvoir souffler. En fin d'après midi, Hélène entre dans le bar, dire qu'hier soir c'est elle qui me servait à boire et aujourd'hui les rôles sont inversés.
- Salut ma belle, dit-elle en s'installant.
- C'est rare de te voir ici, dis-je en la servant avant même qu'elle ne passe commande.
- Je viens faire ma commère, dit-elle en prenant son verre qu'elle porte à ces lèvres.
- Ta commère? De quoi tu parles?
- De ce mec hier soir. Ce fils de bourge plein de fric qui est venu me demander des renseignements sur toi.
- Oh lui, il est repartit seul, comme les autres d'ailleurs, dis-je en lui souriant.
- J'ai vue, ce que je veux savoir c'est pourquoi ce crétin souriait comme si il avait gagné une bataille.
- Sérieux? Il souriait? dis-je un peu pensive.
Je suis pourtant certaine que je ne lui ai donné aucun espoir, que j'ai été claire avec lui mais bon c'est un mec et comme tout les mecs il a sûrement du mal à comprendre, du mal à saisir que non, veut dire non tout simplement.
- Si tu veux mon avis, il avait trop picolé et il s'est fait des films, dis-je en me servant aussi un verre.
- J'espère, je lui ai offert une bouteille pour qu'il puisse noyer son chagrin dans l'alcool.
- Sérieux? T'as fais ça dis-je en riant.
- Quoi, je savais qu'il n'avait aucune chance, répond t-elle pour se dédouaner. Ces gosses de riches sont tous les même. Ils pensent que l'argent achète tout, que tout leur est du parce qu'ils sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche. J'étais sûr que tu allais le recadrer. Le remettre à sa place. Le faire redescendre sur terre. En revanche, je ne m'attendais pas à le revoir avec ce sourire niait sur le visage.
- Je peux pourtant te garantir qu'il n'a absolument rien obtenu de moi.
- Tant mieux, dit-elle en regardant autour d'elle. Tu sais que tu te ferais beaucoup plus de fric dans mon bar.
- Je peux pas bosser tout les soirs. Ici au moins, je peux aménager mes horaires. Entre les entraînements et les compétitions, tu sais très bien que j'ai pas beaucoup de temps.
- Je sais ma belle, mais tu devrais penser à en prendre un peu. Tu danses comme une déesse c'est vrai et tu bosses comme une acharnée mais tu as besoin de lever le pied.
- Ouais, j'y penserais si gagne ce concours.
- Avant de passer au suivant, dit-elle en terminant son verre.
- Qu'est ce que tu veux, je ne vais pas changer maintenant, du jour au lendemain. J'aime danser et si je pouvais en vivre, je ne me tiraillerais pas entre ce boulot et ma passion mais voilà, tu sais comme moi que dans la vie, on ne fait pas toujours ce qu'on veut et je n'ai pas le choix.
- Ouais, enfin, y a pas forcément mort d'homme si tu loupes une compétition. Tu ne pourras pas tenir ce rythme indéfiniment.
Je sais qu'elle a raison. Je suis épuisée et plus le niveau monte dans les compétitions, plus je dois m'entraîner. Mais je ne veux pas abandonner, c'est la seule bonne chose qu'il me reste. Mon échappatoire, ce petit truc qui n'est qu'à moi et qui me permets de m'évader.
- Allez, sers moi un autre verre, dit-elle en me souriant. De toute façon, c'est pas comme si tu allais m'écouter.
Il y a longtemps que je n'écoute plus personne, à vrai dire, je n'ai plus personne à écouter. Mes parents sont morts quand j'avais cinq ans. Un banal accident de voiture alors qu'ils partaient en week-end tout les deux. Un pneu a éclaté et mon père à perdu le contrôle du véhicule avant de s'encastrer dans un arbre. Verdict, un point pour l'arbre et zéro pour mes parents qui sont morts sur le coup.
Personne ne voulait me prendre en charge dans ce qu'il restait de ma famille alors j'ai été placé dans un foyer où j'étais déjà trop vielle pour avoir une chance d'atterrir dans une famille. J'y ai grandi, voyant des enfants venir et partir et le jour de mes dix huit ans, j'ai enfin quitter cet enfer pour vivre ma propre vie. Bien sûr ça n'a pas été facile mais la danse m'a toujours aidé à m'évader et surtout à gagner assez d'argent pour survivre.
Leurs morts m'a forcément changé, si ils étaient encore en vie, je n'en serais peut-être pas là mais je ne peux pas remonter le temps, je ne peux pas changer ce qui s'est déjà passé.
Elle reste un long moment avec moi et repart un peu avant la fermeture du bar. Alors que je nettoie les dernières table en pensant pouvoir fermer, un homme entre dans l'établissement visiblement déjà bien éméché. Je soupire alors que je sais déjà que ce mec va être lourd et chiant et me dirige vers lui tout en me disant que sa tête me dit quelque chose.
- Qu'est ce que je vous sers, dis-je alors qu'il s'affale au comptoir.
- Je m'en fou, tant que c'est de l'alcool et que c'est fort, dit-il en sortant des grosses coupures froissées de sa poche.
Je prends une minute pour le regarder. Il semble malheureux, comme si le ciel venait de lui tomber dessus et ne me regarde même pas ce qui me change des autres clients. Je prends une bouteille quelconque que je dépose devant lui ainsi qu'un verre.
- Pas besoin de verre, dit-il en prenant la bouteille tout en titubant.
- Je pense que vous avez assez bu, dis-je doucement.
- Je me souviens encore comment je m'appelle, dit-il en serrant ces doigts autours de la bouteille. Donc visiblement, j'ai pas encore assez bu.
Je le laisse boire alors que les derniers clients quittent les lieux. Je ne peux pas le foutre dehors, la politique de la maison est très claire, tant que le client paye, on reste ouvert. J'envoie un message rapide à Victor pour le prévenir que j'aurais peut-être un peu de retard et termine mon ménage sans me soucier de lui.
Je l'entends parler au téléphone, sans que je ne comprenne ce qu'il dit et une fois que j'ai terminé ce que je devais faire, je retourne derrière le comptoir et m'approche de lui.
- Vous n'êtes pas venus en voiture n'est ce pas?
- Je viens d'appeler un pote, il va venir me chercher, dit-il en buvant une nouvelle gorgée.
- Tant mieux, dis-je soulagée.
Alors il relève la tête et me regarde en plissant les yeux. Je ne suis pas sûr qu'il me voit clairement, il picole sûrement depuis un moment déjà.
- Hé, mais t'es la fille d'hier, dit-il comme si il pouvait me reconnaître. La danseuse, dit-il en levant sa bouteille.
J'ai beau réfléchir et même si son visage me dit quelque chose, j'avoue que je ne me rappelle pas de ce mec.
- Alors ça, dit-il, obligé, c'est un coup du destin.
Je soupire en imaginant déjà qu'il va essayer de me draguer de façon assez lourde mais il ne fait rien, se contente de parler sans aucune cohérence. Il parle d'une fille et de son père mais je ne comprends rien et après quelques minutes, la porte du bar s'ouvre à nouveau.
- Sérieux, dit une voix que je reconnais. T'aurais pas pu choisir mieux.
Je me tourne vers l'entrée et cette fois je n'ai aucun doute, je connais cet homme, c'est celui d'hier soir. Celui qui voulait que je lui apprenne à danser. Dès qu'il me voit, il se fige avant de me sourire et de s'approcher du bar.
- Finalement, je crois que tu as parfaitement choisis, dit-il en posant une main sur l'épaule de son ami.
- Il a trop bu. Il ne peut pas conduire, dis-je en essuyant un verre.
- C'est rare de voir une serveuse qui s'inquiète qu'un client puisse rentrer chez lui en un seul morceau.
- J'ai perdu mes parents dans un accident de voiture, si je peux éviter à d'autre de subir le même sort, je trouve ça assez équitable.
Il se tait une seconde tout en plongeant son regard dans le mien. C'est étrange mais ce mec a l'air d'être différent, du moins, il ne ressemble pas vraiment à l'image que je me fais des fils de riches.
- Désolé, dit-il en soupirant. C'est juste qu'en générale, les serveuses veulent juste qu'on consomme, elles se foutent de savoir si l'un de nous reprend le volant.
- Elles savent surtout que quand vous sortez en groupe, vous avez une limousine qui vous attends. Mais ton pote là, il est malheureux. J'ai rien comprit à ce qu'il a essayé de me dire, mais je pense pas qu'un chauffeur l'attende devant le bar.
- T'as raison. Il est venu là tout seul et je suis sûr qu'il avait déjà bien trop picolé avant d'arriver. Merci de t'inquiéter dit-il.
Ce mec est vraiment bizarre, c'est normal de s'inquiéter pour quelqu'un qu'on voit souffrir sous nos yeux.
- Je vais te ramener Vivien, dit-il en se penchant sur son ami. On parlera dans la voiture.
- Je veux pas, dit son ami. Je veux pas rentrer.
- Je sais. Mais on a pas le choix mon pote. Tu dois rentrer et moi aussi.
- Tu comprends pas, dit son ami en accrochant sa chemise. Je peux pas faire ça. Je peux me marier avec cette nana.
- Je suis désolé, j'aimerais pouvoir faire quelque chose mais je suis impuissant. J'ai essayé d'en savoir plus avec mon père mais tu le connais, il n'a rien dit. Rien à part son traditionnel discours sur nos devoirs et obligations. Je peux rien faire, j'ai les mains liées, dit-il alors que son visage reflète clairement la peine et la souffrance.
- Un mariage forcé, dis-je sans pouvoir me retenir. Sérieusement?
- On va y aller, dit Steeven en me lançant un regard froid.
- OK, mais ton pote à pas l'aire de vouloir rentrer chez lui.
- Aucun de nous ne veut rentrer chez lui mais on fait tous avec, on a pas le choix, dit-il fermement.
Il essaye de tirer son ami qui proteste et se met à pleurer en l'implorant de ne pas le faire.
- J'ai pas le choix, dit Steeven.
Et sans que je ne sache vraiment pourquoi. Alors qu'il réussit à le lever, les mots passent la barrière de mes lèvres,
- Attend.