Léo Chapitre 2 Changer son style de vie est une opération plus importante que d'atteindre un but ou réaliser une performance
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« - Vous êtes certain de vous ?! C'est un engagement important. Vous ne pourrez pas revenir en arrière. En êtes-vous bien conscient ? »
Nous étions –ma mère, monsieur Saw, une infirmière et moi– assis dans de larges sièges contrastant parfaitement avec la tapisserie du bureau.
« - Oui. Et je suis bel et bien candidat à l'intervention. Je ne supporte plus cette vie en dépendance complète. »
Le docteur que je venais consulter me fixait, un long sourire se dessinant sur le visage. Il était réellement ravi de ma décision. Même s'il ne l'avouerait s'en doute jamais, il était ravi !
« - Mais mon prince, écoute le médecin, tu devrais mieux mesurer les différents risques et... »
Ma mère, positionnée pratiquement sur mes genoux, cherchait dans mon regard une quelconque peur pour vaciller, un doute, même léger, pour m'en retourner chez nous.
« - Non ! Tu ne comprends donc rien ?! Chaque jours, chaque minutes ou instants de mon existence, je ne vie pas, je survie ! Ça ne peut plus continuer ainsi, je ne peux plus être à ton crochet ainsi. »
Tous les yeux se braquaient sur moi. Là, je peux l'avouer, l'angoissante réalité me rattrapait. Le doute que ma mère désirait tant découvrir dans mes pâles pupilles tout à l'heure, m'envahissait enfin, à mon plus grand désespoir. Veux-je vraiment de cette opération ? La tension montait rapidement dans la pièce. Monsieur Saw, les mains posées sur les genoux, continuait de me fixer intensément. C'est lui qui prit l'initiative de rompre le silence glacial.
« - Ainsi donc, Madame Stanforde... »
L'homme marqua une pose avant de continuer en papotant un stylo Bic noir sur le dessus de son bureau, le bruit produit résonnait comme le tic-tac implacable des aiguilles de mon réveil matin. Son regard était profondément ancré dans celui de ma mère, comme s'il désirait sondé son esprit afin d'en comprendre plus clairement le fonctionnement, lorsqu'il lança enfin :
« - Comment envisagez-vous le futur de votre fils ? »
Ma mère ne répondit jamais à la question. Elle songeait, me semble-t-il, les yeux troubles, aux bords des larmes. L'air légèrement plus sombre, comme perdus ou vagues... Ses iris claires parcouraient les lames de plancher en longueur, puis redessinaient le chemin en sens inverse, repartant de nouveau mais cette fois-ci dans la largeur du bois...
Le silence revint, de plus beau, comme s'il n'avait jamais disparu.
Au bout de quinze longues et accablantes minutes, monsieur Saw se releva lentement de son fauteuil en cuir façon Louis XVI, puis quitta la pièce d'un pas se voulant lourd et suggestif. L'infirmière nous pria à son tour de partir. Ce que nous fîmes aussitôt : ma mère par peur de m'y laisser trop longtemps encore, moi par honte de n'avoir rien pu dire de ce que je voulais.
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En rentrant à la maison, ma mère semblait désemparée. Moi je n'ai pas ouvert la bouche de tout le trajet de retour. C'est au repas du soir qu'elle a brisé la glace s'en sans rendre compte. Un sanglot mal placé. Elle ne désirait pas le faire entendre, cependant son reniflement particulier m'a fait culpabiliser.
« - Excuses-moi... » Ma voix semblait éteinte lorsque je prononçais ces brefs mots.
Elle m'a regardé longtemps, sans pipé mot. Son regard signifiait tout ce qu'elle était en mesure d'exprimer. Un fin mélange de compassion -pour le malade-, de regret - pour ma décision-, d'amertume -pour l'avoir mise au pied du mur-, de rancœur -pour avoir laissé entendre que mes jambes valaient plus qu'elle- et d'amour -pour le gamin stupide qu'elle élevait-. Elle vint vers moi, et me serra fermement mais avec, tout de même, une certaine douceur dans ses bras.
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« - Tu es bien sûr que c'est ce que tu veux ? »
« - Mais oui maman. Certain même. »
La large porte coulissante face à nous s'ouvrit, laissant apparaitre à nos yeux le grand hall d'entrée du C. M. R. A. (centre médical de recherche avancé). Devant nous, se fût le médecin général en chef du service de greffe trans-biologique.
« - Bonjour, tu dois être Andrew. Suivez-moi s'il vous plait. »
Ma mère poussait mon fauteuil comme s'il lui paraissait soudain peser un poids incommensurable. Nous fûmes même obligés d'ouvrir un battant de porte supplémentaire à l'entrée du service des admissions, car mon fauteuil resté paralysé dans l'encadrement. Ma mère profita de cette pose momentanée pour me demander de nouveau si j'étais bel et bien sûr de ma décision. Je lui répondis de manière détourné :
« - Tu vois maman, c'est exactement dans une situation telle que celle-ci, que mon choix s'impose à moi comme le plus favorable de tous depuis bien longtemps . »
Sur ces mots le Docteur Saw arriva vers nous un sourire en coin comme à son habitude. Maman disait que cela lui donnait un air « faux-cul », personnellement je trouvais au contraire que cela produisait son charme, ça lui donnait une certaine classe naturelle. Il me rappelait souvent Docteur House, une série très en vogue à l'époque de mes parents, l'homme tenant le rôle clé possédait sa canne, et bien dans notre cas Saw avait son sourire. En y réfléchissant moi aussi je deviendrais quelqu'un d'important après l'intervention chirurgical car moi j'aurai ma queue !
Le médecin chargé de l'anesthésie me 'briffa' sur les différents risques : le greffon ne prend pas, infection(s) post-opératoire, difficulté à s'adapter au greffon, à se réveiller de la greffe, décéder durent l'intervention etc... La liste était bien longue selon ma mère. Pas de mon point de vue, quel risque avais-je à être dans mon état actuel ? Celui de tomber de mon assise en passant d'une pièce à l'autre, dans la maison, ou celui de ne pas me réveiller un matin car mes voix respiratoire se seront malheureusement obstrué dans la nuit, ou encore celle de m'électrocuté lorsque Flavie ne fait boire alors qu'elle est une machine, ou bien même... Bref, tous mes risques à moi ne semblaient que bien mince comparé aux arguments de l'homme devant ma mère.
Cependant après une longue mitraille de question sur ceci ou cela comparé à ça, ma mère fini par acquiescer –sans grande conviction– dans le sens de mon opinion. Ainsi, ce fût avec son avale qu'une femme en tenu vert clair quasiment transparente –à mon plus grand bonheur– vînt me chercher pour m'amener à ma chambre. J'y fus installé tel un homme de pouvoir : avec politesse à chaque phrase prononcé, grand sourire presque pas forcé.
C'était enfin mon heure ! J'allais devenir quelqu'un. Pas le faible que j'étais avant, mais une personne forte et envié de tous.
L'infirmière du début vînt me chercher quelques heures après mon installation dans la chambre blanche. Elle semblait détendue. Je sentis rapidement mon lit se déplacer.
« - Excusez-moi, infirmière, mais pourrez-vous avertir ma mère lorsqu'elle reviendra. »
« - Non, désolé. Je serais au bloc, donc il sera impossible pour moi de le faire en personne, mais une de mes collègues s'en chargera. »
« - Très bien merci. »
Ma mère était partis quelque minutes avant me chercher un sandwich, j'imaginais très clairement sa tête lorsqu'elle s'apercevrait en rentrant que je n'étais plus dans ma chambre. Je voulais juste qu'on la rassure à ma place.
J'entrai dans le bloc qui allait changer ma vie à jamais. Une dizaines de personnes étaient déjà réunis ici. On me fît changer de lit, le nouveau était une sorte de grand plateau en métal trempé, un acier glacé qui me provoqua deux, trois frissons dans le cuir chevelu, je tentais d'imaginer la sensation que ressentais ma peau, mais seul ma tête m'en donnais un aperçu.
Un homme de grande taille avança vers moi, je reconnu l'anesthésiste, il m'expliqua plusieurs choses dont je me fichais pas mal. Puis soudain après avoir compté jusqu'à deux au lieu de dix comme demandé : un grand trou noir.