J'avais l'impression d'être la seule à ne rien comprendre. Donc j'étais la seule à être calme.
- N'ayez pas peur. Nous voulons juste savoir qui est la plus courageuse d'entre vous.
On nous a tous emmené dans une autre concession ou d'autres vieilles sorcières étaient rassemblées et semblaient nous attendre. Une d'entre elle étaient en train de nouer des morceaux de tissus et je compris plus tard qu'elles devaient servir de baillons. Les filles étaient devenues turbulentes. Et peu à peu j'étais également gagné par ce sentiment d'inquiétude. On apporta une caisse peu profonde qu'on renversa. Djalika, une de mes cousines du s'assoir la première. Une femme immobilisa sa jambe droite, une autre la jambe gauche, une troisième lui saisit le torse par derrière, et deux s'emparèrent chacune d'un bras. En tout, cinq personnes s'affairaient à maitriser le corps de ma cousine. On écarta ses jambes et la vieille sorcière s'installa entre elles. Je me souviens qu'elle cria fort et une femme l'a gifla. Mais rien n'y fit elle continua à crier et on lui fourra dans la bouche un des morceaux de tissus. Je me souviens que je trouvai ca comique et je me demande même si je n'ai pas ri. Je n'avais toujours rien compris parce que je me tenais à distance, mais quand vins mon tour je ne trouvai plus rien de drôle à la situation. On n'entendait plus les cris de Djalika et quelques minutes plus tard, une dame apporta une bande de tissu dans laquelle elle enveloppa les jambes de ma cousine des hanches jusqu'aux orteils. C'était si serré que ma cousine ne pouvait plus bouger les jambes. Puis 2 femmes la soulevèrent et l'amenèrent dans une case à coté.
Je n'avais toujours pas compris grand-chose. Quand on lui avait mis le morceau de tissu j'avais perdu le fil et à cause des femmes qui la maintenaient et l'entourait je n'avais rien pu voir. Une voisine qui était la suivant détala en hurlant. Les femmes la rattrapèrent et durent la trainer vers la caisse. Et la même scène se répéta. Elle cria, on la mit le bâillon dans la bouche et plus tard on l'enveloppa avant de l'amener dans la chambre. La scène se répétait et les filles passaient les une après les autres. A ce moment je crois que j'avais la tête vide, je me contentais d'observer la scène. La vieille sorcière opérait sans arrêt ne prenant que le temps d'essuyer le sang sur la caisse et de jeter du sable sur le sol.
Puis vint mon tour. Je pleurai aussi. J'avais peur. Je ne pouvais pas m'enfuir. Quand elles me prirent par les épaules, je criai. Elles m'installèrent sur la caisse et m'immobilisèrent. Je me souviens que l'une d'entre elles me rappela que ma mère ne voulait pas que je vienne. J'étais comme dans une arène dans ce cercle de femmes. Et dans mes souvenirs je les représente comme des êtres énormes devant moi une toute petite chose. Après m'avoir maitrisé elles ont soulevées le tablier et l'une d'elle s'est exclamé ou alors s'est mise à chanter.
- Oh diouldé que tu es joli, que ta peau est blanche. Et les autres femmes aussi se mirent à parler ensemble mais je ne comprenais plus ce qu'elles disaient.
Et là, la vieille sorcière se mit à couper. Le son je ne l'oublierai jamais. Il était pareil à celui d'un grattoir ou d'une déchirure, ou d'une griffe sur un sac de toile ou d'une nappe qu'on érafle. Les femmes se mirent alors à pousser des cris tandis qu'elles m'enserraient et m'étouffaient presque. De vraies sorcières. Plus fort que leurs cris, j'entendis encore le bruit du rasoir tranchant ma chair. J'étais tellement horrifiée que je n'avais émis aucun son. Je ne peux pas vous raconter la douleur. Je ruisselai de sueur, et j'étais sans force. Je ne réagissais plus à la douleur. J'ai encore en souvenir le soleil qui m'aveuglais quand je levai les yeux. J'avais mal au cœur et j'avais le sentiment que j'allais éclater. C'était comme si on me dépeçait vivante. Je tentai de résister, de me débattre. Je tremblai de tous mes membres de douleur. Mais que pouvais une petite fille contre cinq grosses femmes qui me maintenait. Peut être ai-je gémi ou haleté. Mais je n'ai as crié et le morceau de tissu me fut épargné. La vieille sorcière mit sur ma blessure sanguinolente des décoctions d'herbes censée accélérer la cicatrisation. C'était comme si on l'avait exposé aux flammes. Avant qu'on m'attache avec les pagnes, tout devint noir d'un coup. Je revins à moi quelques minutes plus tard sous les gifles des femmes. Je me rappelle que lorsque les femmes m'emmenaient dans la case, je baissais les yeux et je vis le sang sur le sol et les parties que la vieille sorcière avait coupé et mise dans un plat. Des fragments de nos chairs à moi et aux autres filles. J'appris plus tard qu'elle les avait enterrés quelque part dans la maison.
Je crois que je me suis encore évanouie. A mon réveil, j'étais dans la chambre avec les autres filles gémissantes et mortes de douleur. On est restée comme ca toute la journée. Puis la nuit, la porte de la chambre s'est légèrement entrouverte. Je revois encore aujourd'hui le visage de ma mère. Elle est apparut sur le seuil pour nous regarder. Ses yeux étaient mouillés. Elle nous vit allongées et les mots restèrent en travers de sa gorge. Elle ressortit et referma la porte. J'en voulais à ma mère. Je lui en voulais énormément de m'avoir laissé à la merci de ces sorcières. Elle savait ce que j'allais endurer. Dans le même temps je me disais que c'est parce que je m'étais trop attachée à tata qu'elle voulait me punir ou même me tuer. Beaucoup d'idées se bousculaient dans ma tête sans aucune explicatio de sa part.
Les jours qui suivirent furent horribles. C'était une terrible souffrance. Nous étions la, sur le sol dur, sans oreillers, emmaillotées comme des momies, incapables de bouger et suppliants chaque instant que cette douleur cesse. Mais au lieu de cela c'est ma grand-mère qui est entrée pour nous distribuer des cachets de médicaments. Les femmes nous surveillaient nuit et jour. Parfois ma mère se joignait à elles, parfois les mères des autres montaient la garde. Quand ma mère était la je gardais la tête baissée et elle aussi je voyais qu'elle me regardait tristement. Mais je ne répondais pas quand elle me posait des questions. Aucune ne se sentait capable d'aller aux toilettes toute seule et on priait pour ne pas y aller car la douleur était terrible au moment de pisser. Tout ce que nous espérions c'est que cela passerait. Pour tout repas, nous avions juste des fruits et du lait mais il fallait s'en contenter car on n'avait rien d'autre. Un jour, Djalika n'en put plus, elle se mit à crier et à s'agiter de douleur. Les femmes la ramenèrent dans la maison et nous l'entendîmes crier.
L'incision faisait mal, nos membres, ankylosés par l'immobilité, nous faisaient mal, la tête nous faisait mal et la nuit, la douleur se réveillait. Les cachets que grand-mère nous remettait nous soulageaient un temps mais après la douleur revenait de plus belle. Une semaine lus tard nous étions encore dans cette chambre. Nous étions examinés par grand-mère qui ne trouvait rien d'anormal. Quelques jours après les blessures suintèrent. Grand-mère a ouvert alors les fenêtres et enfin nous profitions de l'air frais. Nous avons soulevé les tabliers pour laisser le vent sécher nos plaies car grand-mère nous avait enlevé les pagnes. Mais elle nous a encore attaché plus tard en nous promettant de les enlever définitivement dans quelques jours. Cependant les plaies de 2 de mes cousines ne cicatrisaient pas normalement. Grand-mère a alors amené un encensoir dans la chambre et chaque jour, chacune des filles devait exposer sa plaie à la fumée pendant des minutes. Et cela s'est avéré efficace.
Grand-mère dirigeait les opérations. Elle avait plus d'expérience je crois que les autres femmes qui étaient à ses ordres. Et c'est elle qui inspectait régulièrement les plaies. Elle en profitait pour nous apaiser car dès qu'on la voyait c'était des torrents de lamentations et de pleurs. La douleur était parfois insoutenable. Elle nous expliquait que si nous ne restions pas calme, la blessure n'allait jamais cicatriser et moi en grande peureuse je limitai mes mouvements. Au fil des jours la douleur diminuait et nous trouvions la force de nous amuser en se moquant des plus peureuses. Les filles commentaient leurs cris et ca faisait rire tout le monde. Moi je n'ai pas crié mais je me suis évanoui une ou deux fois.
Je fus la première à être déliés au bout d'une dizaine de jours. Au début c'était difficile de marcher. La première chose que je fis c'est de me trouver à manger. Ensuite je filais dans les toilettes pour assouvir le plus criant des besoins. Je n'osai pas toucher l'endroit qu'on a coupé. Au bout de quelques jours, les autres filles aussi se sont rétablies et ont pu être libérées. Mais on restait toujours dans la maison et grand-mère surveillait chacun de nos gestes. Un jour, on s'est toutes lavé et nos mamans nous ramenèrent de jolis habits. On avait organisé une fête pour nous. Mes frères étaient contents de me revoir et moi aussi. Ma mère, je l'ai salué timidement et même quand elle m'a prise dans ses bras, je me suis dépêché de me libérer pour partir.
Elle avait toujours ce masque de tristesse mais moi aussi mon cœur était triste et dans ma tête j'étais convaincu que ma mère me détestait et que c'est pourquoi elle avait laissé la sorcière m'amener. Un soir elle m'a appelé
-Dioudé je suis fière de toi. Je sais que tu es fâchée mais un jour quand tu seras grande tu comprendras pourquoi j'ai fait ca. C'est pour ton bien.
- toi aussi on t'a fait ca ?
- oui, c'est une tradition.
- maman ca fais tellement mal. Pourquoi les a tu laissé me faire ca?
Je me suis mise à pleurer et maman aussi. Mais au fond de moi je voulais comprendre, je voulais savoir pourquoi. Malheureusement elle n'a rien dit de plus et cela m'a encore plus. J'avais 12 ans et à cet âge rien ne s'oublie. Jusqu'à présent je suis capable de décrire la couleur des habits que portaient les sorcières. Je lui en voulais et ca n'était pas prêt de partir.
- je veux rentrer....
- Diouldé, quand tu rentreras je te demande de ne rien dire à tata Fanta. Elle ne comprendrait pas. Si tu lui raconte elle te renverra de chez elle et tu n'ira plus à l'école.
Je pris peur et promis de ne rien dire. Elle a encore parlé un moment sur la nécessité de ne rien dire à personne et je suis reparti à ma fête le cœur lourd avec comme seul espoir la perspective de rentrer bientôt. Jusqu'a mon départ, je ne parlais presque plus. Le matin je cherchais un coin ou me cacher et je pouvais y rester toute la journée. Lorsque ma mère nous annonça notre retour fixé au surlendemain, mes frères sautèrent de joie. Moi je n'y croyais pqs trop et c'est seulement le lendemain, quand on fit le tour pour dire aurevoir que je fut soulagée.
Le voyage retour fut une véritable délivrance. Je retrouvai Dakar et dès le soir, maman a appelé tata d'un télécentre pour lui annoncer notre retour. Mon père était content de nous retrouver mais comme à son habitude n'a rien laissé paraitre. je fis le tour de la maisonnée pour dire bonjour et tout le monde me trouva amaigri. Le lendemain, tata Fanta est venu me chercher toute contente de me retrouver. Elle a eu un choc en me voyant et je voyais sur son beau visage la stupéfaction :
- Aissatou, qu'est il arrivé a ma fille ? Elle est toute maigre
- Elle était malade...répondit ma mère simplement, la tête baissée
- Mais tu aurais du m'appeler ou alors rentrer rapidement. Tu ne m'as donné aucun contact ou te joindre et Dieu sait qu'il ne s'est pas passé une journée sans que je ne songe à vous. L'année scolaire a débuté et elle a déjà quelques semaines de retard. Je me suis beaucoup inquiété.
- Elle va beaucoup mieux Fanta, elle a juste encore besoin de repos car elle est encore faible.