C'était l'unique solution qui lui restait après avoir vendu le taxi d'Omar. Elle n'avait plus beaucoup d'argent. Avec leurs soins et le deuil de son mari, Khar risquait de dormir dans la rue. Avec ses enfants. Peut-être que si elle va à Thiès, sa mauvaise réputation qu'elle a à Dakar changera. Elle pourra reprendre ses activités. Pour l'éducation de ses enfants, elle pourra les inscrire à nouveau dans une bonne école.
Khar poursuivait son veuvage chez ses parents qui s'occupaient très bien de ses enfants et d'elle-même. Elle lui a parlé de cette nuit horrible qu'elle a passé dans cette cellule crasseuse, cette même-nuit où elle a perdu son bébé. Elle lui a parlé de ses états d'âme, sa tristesse et la haine qu'elle ressent pour la famille de Seynabou Keïta. La plainte n'a pas eu de suivie. Elle a promis de toujours prier pour qu'elle souffre lus que ce qu'elle a enduré. Ass l'écoutait parler avec beaucoup d'amertume.
Mais deux semaines après, le malheur revient. Comme toujours dira-t-on. Pour Khar, cela n'était pas fini.
Amadou s'est levé le matin avec la jambe gauche enflée. Cette jambe qui lui faisait mal lors de la bagarre.
À l'hôpital, ils ont dit à Khar que le pied n'a pas reçu les bons soins et pour éviter toute conséquence, il faut faire une intervention chirurgicale. Le père de Khar a tout payé afin que son petit fils soit entre de bonnes mains.
Amadou allait bien. Khar lui a dit que ce n'est pas quelque chose qui va lui faire mal, il ne va rien sentir. Le petit était plus détendu grâce aux paroles de sa mère. Elle lui a donné un long bisou sur le front. Et ils se sont souri. Le dernier sourire de son bébé.
Khar ne voulait pas montrer qu'elle est inquiète. Mais ce qu'on ressent se remarque toujours sur le visage. Effectivement, son cœur de mère ne la laissait pas tranquille, elle savait que quelque chose de fâcheux arrivera. Elle ne voulait pas se l'avouer, elle se disait juste que c'est pour sa santé.
Le visage que leur présente le docteur n'augurait rien de bon. À pas timides, il s'est présenté devant la mère.
-Amadou demna... Amadou est parti. Avait-il dit.
-Dem fan doctor...interroge la mère de Khar.
-Nous n'avions pas prévu que cela touche un nerf. Il y a eu une hémorragie interne et le sang a pété. Nous n'avons pas pu le sauver. C'était trop tard...
Trop tard... hémorragie...sang...nerf. parti? C'est ce qui trottait dans la tête de Khar. Elle a arrêté de regarder le docteur mais est resté debout. Les yeux fixant ses pieds. Elle ne sait plus qui l'a amené jusqu'au banc pour l'aider à s'asseoir. Sa mère criait pour manifester sa peine, quant à elle, Khar; on aurait dit que la terre a arrêté de tourner. Elle ne voyait plus personne et n'entendait plus rien.
Qu'est ce que cet acharnement du destin? Quels sont tous ces tests divins?
Après Omar? Son bébé qui n'a pas eu à voir le jour? Amadou aujourd'hui? Il lui reste qui? Ass? Et lui partira-t-il? Pour la laisser seule?
Elle pose sa main devant sa bouche comme si elle voulait étouffer sa pensée.
Amadou a été enterré le lendemain à 11 heures. Ass n'avait rien compris. Ils sont passés par tellement de théories et au finish ne lui ont rien expliqué clairement. Il a juste compris que comme son père, il ne reverra plus son petit frère. Khar ne s'est exprimée en aucun cas depuis l'annonce. On aurait dit qu'elle a perdu l'usage de la parole. Même pour les condoléances, elle acquiescait juste sans même regarder la personne qui les lui présentait.
Voilà deux ans que Khar ne parlait plus. Les membres de sa famille avient beau la forcer ou tenter de la persuader que ce n' est pas la fin du monde. Que son fils Ass est encore avec elle et qu'il faut penser à lui. Elle restait comme elle était. Ce dernier venait de réussir à son premier examen, le cfee.
Il était très contrarié par le changement brusque de sa mère mais il s'est battu tant bien que mal pour la faire sortir de ce cauchemar.
Khar devenait introuvable des jours et des jours puis un beau matin, elle réapparaissait
Et cela plus d'une fois! Sa famille était inquiète. Tout le temps, c'est avec l'angoisse de savoir où elle est, où elle dort et ce qu'elle mange. Elle avait dépéri, cette belle nymphe était devenu fade, méconnaissable et surtout muette.
Malgré les protestations de son fils, la famille de Khar a décidé de l'interner dans un centre. Avec son âge, Ass s'y est opposé et naturellement personne ne l'a écouté. Ses camarades d'école ont commencé à dire qu'il est fou car sa mère est la plus folle du village. Il se battait du matin au soir pour qu'ils arrêtent de dire du mal de sa génitrice.
Après son baccalauréat réussi avec une bonne mention, il s'est installé à Dakar pour ses études universitaires. Il a tenu à amener sa mère avec lui. Elle avait commencé à parler mais c'était plus pour dire des choses incohérentes. De plus la structure qui l'internait ne faisait qu'augmenter son mal en 7 ans de traitement.
Il a décidé de faire appel à un psychologue pour savoir ce dont souffre exactement sa mère. Il a démenti le fait qu'elle soit folle, juste une accumulation de douleur non manifestée et gardée dans un mutisme absolue, du stress.
Petit à petit. Ass recevait sa bourse et c'est avec ça et un salaire qu'il avait au sein de l'Université comme contrôleur de tickets de RU, restaurant universitaire; qu'il payait un psychologue qui la suivait en plus de ses soins à l'hôpital Fann. Il logeait au pavillon des garçons et s'intéressait à la filière des langues étrangères appliquées.
Ass se tuait en classe pour faire partie des meilleurs. Il était jeune, fort, intelligent et séduisant mais se disait qu'il pourra séduire une fille après sa licence. Les amourettes, il n'y croyait pas. Ça distrait, se disait-il.
Un jour, il y avait une conférence accessible à tous les étudiants intéressés et le maître de conférence était un opposant politique malien à l'époque. Il parlait bien et émerveillait tous ceux qui l'écoutaient. Place aux questions! Les étudiants ne revenaient que sur ce qu'il avait déjà énoncé. Au tour de Ass de prendre le micro, avec un français du XVIE siècle, il a magnifié la présence de cet homme important avant de passer à la question. Les gens étaient stupéfaits et le concerné bégayait. Finalement, il a juste frôlé la réponse avant de tergiverser.
À la fin de la conférence, la secrétaire de l'invité d'honneur lui a dit que M. Maïga souhaite s'entretenir avec lui. Il est resté attendre qu'il finisse de dire merci aux félicitations. Sans passer par quatre chemins, le gars lui a proposé un travail avec une rémunération des plus faramineuses afin qu'il soit son conseiller en communication dans le cadre de ses discours et autres. Ass lui a révélé qu'il parle français, anglais, espagnol, allemand, portugais, russe, mandarin et coréen. Maïga était ébahi par tout ça. Ass a posé ses conditions, il est en licence 3 et veut continuer ses études, sa mère est malade et il ne peut pas la laisser seule ici pour s'installer au Mali. L'autre à répondu que puisque les technologies sont un moyen de bien communiquer, il lui enverrait ses discours mais il faut qu'il vienne à Bamako pour un an afin de comprendre bambara. Ass n'était pas du même avis, finalement ils ont convenu pour six mois.
Maïga lui a offert un de ses appartements qu'il loue au point E et c'est lui-même qui paie. Même pour sa mère qui a été transféré dans une clinique privée et qui suivait un traitement plus adapté.
Ass a fini par bien assoir sa situation économique, cela dépassait même ses projets. Maintenant place à ce qui a hanté toute son enfance. Étant donné qu'il a un bon boulot.