**Belmonde**
Je m'étire et ouvre finalement les yeux. Nevada m'a sortie de mon sommeil tout à l'heure mais après son départ je me suis rendormie. C'est tellement magique de dormir dans ce lit. On ne ressent plus l'envie de se lever. Je jette un regard aux alentours et je souris. La chambre est magnifique comme toute la maison d'ailleurs. Ici, je me sens tellement bien et je n'ai pas envie de voir tout cela s'arrêter mais pourtant il le faut. Je dois me reprendre en main. J'ai assez laissé passer le temps.
Je m'appelle Belmonde BAI et je suis béninoise. Jusque-là je me suis abstenue de m'adresser à vous parce que j'avais besoin d'un peu de temps pour m'habituer à mon nouveau monde. Quand on est extérieur à un fait, on ne la ressent pas de la même manière que la victime. On voit juste les conséquences qui en résultent mais on n'arrive pas vraiment à toucher du doigt la douleur que ressentent les victimes. Je suis la fille unique à mes parents. Mon père est décédé lorsque j'entrais en classe de CM1. Quand on est une gamine, on ne comprend pas bien tout ce qui se passe autour de nous. Je savais juste que je ne le reverrais plus.
Après sa mort, ma vie à moi a totalement basculé. Déjà qu'on n'était pas riche, sa disparition a plongé ma mère dans la dépression. Elle n'allait plus travailler, ne me faisait plus à manger, ne prenait plus soin d'elle. J'ai dû me débrouiller seule très tôt pour ne pas mourir de faim. Les souvenirs sont lointains et pas nets.
Je me rappelle qu'après quelques mois, un monsieur a commencé a fréquenté ma mère. Et je l'ai vu peu à peu commencer à retrouver un semblant de vie. Elle redevenait la femme qui s'occupait de moi, prenait à cœur ma vie, mon éducation et mon bien-être. Quand j'ai eu mon CEP, ma mère m'a fait asseoir pour me parler. Elle disait que papa était mort et qu'elle voulait se remarier. Elle voulait d'autres enfants et ce monsieur qu'elle fréquentait était prêt à l'épouser.
[..]
En réalité, même si les souvenirs sont vagues, je me rappelle que je ne l'aimais pas. Il s'appelait Armand et il était plus vieux que mon père. Il me donnait chaque fois la chair de poule quand on était dans la même pièce et je ne comprenais pas pourquoi. Il ne souriait jamais et me regardait toujours bizarrement. J'ai essayé d'en parler à ma mère mais elle n'y a pas taillé importance....Elle a épousé ce monsieur et du jour au lendemain, j'avais un beau-père. Toute cette année ou je préparais le CEP, je me souviens que je préferais rester à l'école plutôt que de rentrer chez moi.
J'avais remarqué qu'Armand aimait venir dans la douche quand je me lavais. Il faisait semblant de prendre telle ou telle chose et en profitait pour me regarder nue. Cela me mettait mal à l'aise mais je ne comprenais pas pourquoi. Je n'en avais jamais parlé à ma mère parce que je craignais qu'elle m'en veuille. Je n'étais qu'une enfant et je ne comprenais rien aux choses des grands. Peut-être que si j'en avais parlé, j'aurais pu éviter tout ce qui s'est passé par la suite.
J'ai eu mon CEP à ma grande joie et je suis passée en classe de sixième. A la maison, les disputes entre ma mère et son époux devenaient trop fréquentes. Il voulait un enfant et elle n'arrivait pas à tomber enceinte. Tout doucement, il a commencé à ramener des bouteilles de bière à la maison. Ensuite, il est passé au whisky. Il devenait brutal et violent avec nous. Une nuit, je fus réveillée par les cris de ma mère. Je me suis précipitée dans le couloir et je l'ai vu qui passait à tabac ma mère. Il n'y allait pas de main morte et s'aidait d'une lanière. J'ai essayé de l'arrêter mais il s'est retourné contre moi et les coups ont commencé à pleuvoir sur moi aussi.
Cette nuit ainsi que toutes celles qui ont suivi sont restées gravées dans ma tête. La sensation qui diffuse dans notre corps quand la matière dans laquelle est faite la lanière touche ton corps. On a l'impression que la douleur quitte notre nuque pour passer en quelques minutes dans les orteils. C'était la première fois qu'on me battait et depuis cela ne s'est pas arrêté. Pour un oui ou non, Armand me tombait dessus. Quant à ma mère, elle me regardait impuissante à me venir en aide. Armand rentrait chaque jour plus saoul que la veille et nous battait toutes les deux pour un oui ou un non. Ma mère qui était femme au foyer n'avait aucun revenu. Elle ne pouvait pas s'enfuir avec moi. Tout ce qu'elle faisait était de badigeonner mon corps endolori avec une mixture bizarre.
[...]
C'est dans cette ambiance que j'ai fait les classes de sixième, cinquième, quatrième et troisième. J'ai réussi à décrocher le BEPC car j'avais la rage. Je voulais vite finir et fuir la maison en emmenant ma mère. Mais pour cela, j'avais besoin de diplôme pour trouver un boulot et mon beau-père malgré tout payait toujours mes études. J'ai essayé de soutenir maman dans cette galère mais je la voyais sombrer chaque jour un peu plus. L'année où j'ai eu le BEPC correspondait avec celle ou mes atouts de jeune fille ont commencé à émerger. Un soir, Armand est venu dans ma chambre..... totalement nu.
J'ai su à l'instant que ma vie merdique le serait encore plus.
[...]
Il m'a battu cette nuit parce que je ne voulais pas faire ce qu'il voulait. Il m'a tellement frappé que j'ai senti mes forces m'abandonner à un moment donné. Je n'arrivais plus à pleurer, ni à crier ni à lutter. J'ai assistée impassible au viol comme si j'étais une poupée. Je me suis déconnectée de mon corps et j'ai essayé de m'évader pendant qu'il s'agitait au-dessus de moi. C'est dans ces conditions que j'ai perdu ma virginité et que je suis devenue la concubine de ma mère.
Cette dernière faisait comme si elle ne voyait ni t'entendait pas mes cris toutes les nuits. J'étais livrée à moi-même. Je n'allais plus en cours parce qu'Armand avait peur que je le dénonce ou que je m'enfuis. Ma vie en ce temps-là se résumait à me faire battre ou à écarter les jambes chaque fois qu'il le désirait.
Un jour comme il fallait s'y attendre je suis tombée enceinte. Je crois que j'ai voulu arrêter la grossesse. Je ne pouvais pas avoir un bébé de mon beau-père. Il en était hors de question. J'ai donc mis tout en œuvre et une nuit j'ai tenté de m'enfuir. Je ne me rappelle pas de ce qui n'a pas marché mais Armand m'a surprise. Cette nuit-là, il est rentré dans une colère sauvage. Il m'a tellement battu que j'ai saigné abondamment. Le seul point positif était que j'avais perdu cette grossesse mais d'un autre côté, je prenais conscience que je n'avais plus aucune chance de m'en sortir. J'ai donc cessé de lutter contre tout. Je subissais seulement.
[...]
Ma mère est tombée malade dans la période et dépérissait à vue d'œil. En quelques mois, elle n'avait plus que la peau sur les os. Je prenais soin d'elle comme je pouvais mais rien ne s'arrangeait. Elle ressemblait à une loque humaine. Finalement, Armand nous a conduit à l'hôpital et le verdict était tombé : SIDA ! Ma mère était séropositive et au stade terminal. Elle n'a même pas tenue la nuit et elle est morte dans mes bras. Je pensais que ma vie ne pouvait pas être plus merdique mais je vous jure que j'avais tort.
Comment ma mère femme au foyer qui ne sortait pratiquement jamais avait pu contracter cette maladie ? Si ce n'est pas son mari qui le lui a refilé. Et c'est ce même homme qui me violait toutes les jours. En plus de la douleur d'avoir perdu ma mère, il y avait celle liée à la certitude que ma vie s'arrêtait là. J'étais certaine d'être aussi contaminée. Profitant de l'inattention de mon tortionnaire, je suis allée voir une infirmière pour me faire dépister. C'était gratuit et accessible à tous. L'infirmière m'a juste confirmé ma crainte. Comme je le pensais, j'étais belle et bien séropositive.
Quelques jours après l'enterrement de maman, un monsieur est venu à la maison et Armand m'a demandé de le suivre. C'est devant moi que le vieux a payé Armand et m'a emmené avec lui. C'est comme cela que je me suis retrouvée dans ce village et mariée au fils du monsieur. Je n'avais plus de raison de vivre après tout ce que j'ai vécu. Pendant des jours, j'ai voulu mettre fin à mes jours. Puis une nuit, mon mari qu'on appelle Soulemane s'est mis à me battre. Il voulait me coucher et je refusais parce que je me savais malade. Dès que les coups ont commencé à pleuvoir, j'ai pris la décision farouche de vivre. Je n'avais pas réussi à me venger d'Armand mais je le peux pour lui. Il voulait que j'écarte mes cuisses alors je l'ai fait.
Je ne sais pas pourquoi je suis toujours en vie. Je devais être déjà morte mais on dirait que même la mort me fuit. Trois années passées dans ce village ont été un enfer. Non seulement j'ai été baptisée Mounia comme si on voulait effacer mon passé mais je me faisais battre régulièrement. Mes coépouses me détestaient et me faisaient toutes sortes de coups bas. Je ne me disais rien parce que je savais que je me vengeais d'elles silencieusement. Ce n'était pas une chose que je voulais. Etre le vecteur de cette maladie. Mais je n'avais pas le choix. Soulemane m'avait aussi violé et il ne se protégeait jamais. Ensuite, il allait vers les autres femmes. Je savais donc que la contamination était là.
[...]
Jusqu'à ce que je rencontre Aicha, j'avais cessé de lutter. C'était la troisième grossesse que je perdais et j'étais soulagée. C'est horrible de dire cela mais c'est vrai. Le bébé s'il venait à naître serait aussi contaminé. A quoi cela servirait de condamner un être innocent dès ses premiers jours. Il aurait aussi été contaminé.
Je descends du lit et je sens mes yeux se mouiller de larmes. Mon passé est insupportable pourtant je vis avec. Mais Aicha a su infiltrer de l'espoir en moi. L'espoir d'une vie meilleure. Je suis là en pleine forme alors que je suis séropositive depuis des années. J'attendais de mourir dans ce village mais Aicha a réussi à nous faire quitter ce lieu. Je me sens coupable de les avoir contaminé aussi mais je n'avais pas le choix. Je me dis que Dieu me donne une chance de vivre et de faire quelque chose de ma vie après toutes ces années de torture. Mon corps porte les traces de mon passé. Je ne savais pas comment dire tout cela à Aicha. J'ai peur qu'elle me regarde d'un autre œil dès qu'elle connaitra mon statut. Pour le moment, je garde tout cela pour moi !
Vous comprenez maintenant pourquoi quand elle m'a demandé si je voulais retrouver les miens, j'ai dévié le sujet ? Il n'y a personne à retrouver. Je suis seule au monde. Seule et séropositive. Je prévois recommencer mes études mais avant tout, je dois aller à l'hôpital pour faire des tests et savoir ou j'en suis. Les hommes et moi, c'est fini. Je dois juste trouver une raison de vivre et je pense bien que les études en valent le coup. Sinon je n'ai plus rien.
[..]
J'admire beaucoup Aicha. Elle a toujours la tête haute en toute circonstance et elle est une bagarreuse. Je voudrais prendre exemple sur elle mais je me demande pourquoi lutter ? Pourquoi se battre ? Tôt ou tard, je mourais. Je n'ai pas d'avenir. Mais d'un autre côté, je vois que la vie vaut la peine d'être vécue. Je suis bien dans cette maison même si cela ne durera qu'un temps. Au moins en mourant, je saurais que j'ai dormi dans un grand lit avec des draps tout doux. J'ai porté de belles robes ou bien que j'ai eu une amie.
Quand on est dans ma situation, de simples choses ont tellement d'importance pour nous.
Mon combat intérieur actuel est celui-ci : Dois-je en parler à Aicha ? C'est un secret que j'ai gardé longtemps et je n'ai pas envie de la voir me fuir. De nos jours, les malades atteints du VIH sont tellement stigmatisés. Et si cela changeait tout ? Aicha est devenue une de raisons de ma survie. Je veillais pour la rejoindre toutes les nuits dans sa case et on parlait pendant des heures. Elle me parlait de son passé et j'écoutais. Une fille qui est née dans les meilleures conditions. Elle a eu tout ce que je n'ai pas eu. Une famille aimante et protectrice. Elle a voyagé, mené de longues études et j'en passe. Et voila qu'elle se retrouve dans ce village dans la même galère que moi. Elle m'a montré qu'il faut toujours garder la tête haute et ne pas avoir peur.
[..]
Je me lève finalement avec un programme bien défini en tête. Je vais m'apprêter et demander au chauffeur de m'emmener à l'hôpital. Tout ce qui a trait au VIH et la prise en charge est gratuite. Je peux y aller et envisager la suite. Je me regarde dans le miroir et je ne vois qu'une jeune femme belle et en forme. J'ai même pris du poids depuis mon retour et je ne comprends pas. Depuis toutes ces années, j'aurais déjà dû mourir ou développer des signes de la maladie. Mais je ressemble à une femme normale. Je suis sûre que cette maladie est une tueuse muette et trompeuse. Tu peux être malade et ne jamais le savoir si tu ne te fais pas dépisté. D'où l'intérêt de toujours se protéger lors des rapports sexuels. Mais les gens ne comprennent pas cela. Mes coépouses disaient que les préservatifs coupent le goût. De quel goût elles parlent ? Je n'en sais rien du tout. Je n'ai jamais ressenti du plaisir au cours d'un rapport et cela ne risque pas de m'arriver.
Je me déshabille toujours devant le miroir. Mon corps porte plus de traces que celui de Aicha mais chaque blessure a sa propre histoire. Parfois j'ai honte de me regarder mais je travaille sur cela. Aucun homme ne pourrait aimer une femme dans mes conditions. Je parle là du vrai amour. Quelqu'un pense qu'avec mon passé et ma maladie, je trouverais chaussure à mes pieds ? Pas moi en tout cas. La vie vaut la peine d'être vécue quand même.
[...]
**Ethan**
Déjà deux heures de temps que je me suis réveillé mais je n'ose pas sortir du lit. Les images de la veille ne cessent de défiler dans ma tête. Je n'arrive pas à croire que Luya m'a quitté. Cette femme pour qui j'ai mis toute ma vie entre parenthèses ! Je lui ai donné tout ce qu'elle voulait mais malgré cela, elle est partie. Les hommes si vous voulez un conseil, n'aimez jamais une femme plus qu'elle ne vous aime. C'est comme une plaie qui refuse de cicatriser. Je ne sais pas comment vivre sans elle. Elle représentait mon monde. Dites-moi comment faire si vous avez déjà vécu cela. C'est une douleur atroce que je ne souhaite à personne. Je l'imagine dans les bras d'un autre et j'en ai la nausée.
Je dois trouver un autre centre d'intérêt. Pourquoi pas les femmes ? Cela fait longtemps que j'ai arrêté de coucher à gauche et à droite par respect pour elle. Mais elle s'en foutait apparemment. J'ai néanmoins un travail pour me libérer l'esprit quelques heures. Il sonne déjà dix heures. Il est temps de me bouger.
Après une trentaine de minutes, je suis prêt à aller au boulot. En venant hier, j'avais gardé des vêtements propres histoire de ne pas repasser chez moi. J'ai trop de souvenirs là-bas. Je ne peux pas y vivre pour le moment. Khaleb a assez de chambres. Je pense à venir cohabiter avec lui. Je sors donc de la chambre et prend le couloir qui mène au salon. Je cherche Bintou partout mais je ne la trouve nulle part. Finalement, je me décide à me rendre dans sa chambre. Cela fait longtemps que je l'ai vu et si je pars sans la saluer, elle va m'en vouloir.
[...]
En passant dans le couloir ensoleillé qui mène à sa chambre au fond du couloir, mon regard est attiré par une porte entrebâillée. Sans le vouloir, j'aperçois Bel à moitié nue. Elle porte un pantalon jean et un soutien noir. Elle se tient devant le miroir immobile. Mais ce qui m'a coupé le souffle est la présence sur tout son dos de cicatrices certaines plus anciennes que d'autres. C'est comme si on l'avait tailladait avec un couteau. C'est une vision d'horreur je vous assure et même si mon travail m'amène à voir beaucoup de choses, c'est toujours autant pénible. Nos regards se sont croisés dans le miroir.
Pendant quelques secondes on s'est regardé sans que je ne sache quelle attitude adoptée. Finalement, j'ai rebroussé chemin en oubliant même de passer voir Bintou.
Une fois au salon, je me suis assis dans le fauteuil. J'ai d'abord voulu partir mais pas sans m'excuser. Elle pensera que je fuis. J'ai dû attendre une trentaine de minutes avant qu'elle ne vienne me rejoindre. Je l'observe à la dérobée. Elle est belle, taille normale et elle est svelte. Elle a mis un jean taille basse qui met en valeur son bassin mais le haut est ample ne laissant rien voir. Qui peut s'imaginer que derrière ses vêtements se cachent tant de cicatrices ?
Elle passe devant moi sans s'arrêter. Je bondis sur mes pieds pour la stopper sans toutefois la toucher.
Elle : A quoi vous jouez Monsieur ?
Moi (surpris) : C'est Ethan pas Monsieur et je tiens à m'excuser pour tout à l'heure. Je ne jouais pas au voyeur. Je passais et la porte était ouverte. Je suis désolé
Elle : Ici c'est chez votre frère donc vous n'avez pas à vous excuser. Vous pouvez vous poussez ? Je dois sortir
Moi : Si je peux me permettre, vous allez ou ? Vous êtes nouvelle ici et vous pourriez vous perdre
Elle (exaspérée) : A l'hôpital... Je veux faire un bilan complet
Moi (souriant) : Je peux vous y emmener vous savez !
Elle : Ce n'est pas parce que vous avez vu mon dos plein de cicatrices que vous devez vous sentir obliger de m'aider. Soyez naturel
Moi : Je le suis. J'insiste pour vous accompagner
Elle a hoché la tête pour dire oui et j'ai poussé un soupir de soulagement. Elle est passée devant moi me laissant le temps d'admirer son joli derrière. Qui a dit que les gens du village sont moches ? Vous vous trompez ! Après l'avoir aidé à monter dans la voiture, le gardien m'a ouvert et je suis sorti. Bel est calme dans son siège regardant le paysage. Trop calme à mon goût !
Moi : Vous venez d'où ?
Elle : Votre frère vous a sûrement déjà parlé de nous. Je ne comprends pas pourquoi vous essayez de tenir la conversation avec moi Monsieur. Je n'aime pas savoir que vous avez vu mes blessures et que cela vous pousse à être gentil avec moi. Ce n'est vraiment pas nécessaire
Moi (choqué) : Je vous ai déjà dit que ...
Elle : Je sais bien ce que vous avez dit mais il y a aussi la vérité que vous ne dites pas. Je voudrais qu'on fasse ce trajet en silence et que vous me laissiez tranquille avec mes pensées
Je me suis tu un moment en me concentrant sur ma conduite. Je ne m'attendais pas à cela. Elle donne l'impression d'une femme tranquille mais je me rends compte que c'est un leurre. Je lui jette un coup d'œil. Elle a le regard tourné vers la vitre et elle a retroussé sa lèvre inférieure.
Moi (insistant) : Vous n'avez pas mangé ce matin avant de sortir.
Elle (sèche) : Je n'avais pas faim
Moi : Vous pouvez au moins faire semblant d'être aimable non ?
Elle (se tournant vers moi) : Vous voulez quoi ? Franchement ! Je suis une jeune fille qui vient du fin fond du Bénin. Le seul fait que je sois assise ici dans cette voiture avec vous qui êtes très séduisant ou que j'habite chez votre frère qui en passant est très gentil avec nous est juste du hasard. Et je n'ai pas envie de jouer à la gentille pour vous faire plaisir. J'ai passé la majeure partie de ma vie à jouer à celle que je ne suis pas. Conduisez-moi à l'hôpital et qu'on en reste là.
Moi (souriant) :....
Elle : Et pourquoi vous souriez comme un demeuré ?
Moi : Parce que vous avez dit que vous me trouvez séduisant.
Elle m'a tchipé avant de se détourner. Finalement, elle ne veut pas coopérer avec moi. Le silence a régné dans l'habitacle jusqu'à ce que je m'arrête devant une jolie clinique.
Moi : On est arrivé
Elle : Je n'ai pas les moyens de me payer leurs services. Et vous le savez. Je voulais aller à l'hôpital général.
Moi (sortant des sous de mon portefeuille) : Si vous pouvez y aller. Tenez !
Elle me regarda fixement un moment avant d'ouvrir la portière et de sortir. Surpris je suis sorti de la voiture. Elle marche à pas rapides. J'ai dû hâter le pas pour la rattraper.
Moi : Je suis désolé si vous avez mal pris mon geste. Je ne veux que vous aidiez. En vous emmenant ici, je voulais que vous bénéficiiez des meilleurs soins possibles. C'est tout. Et j'ai les moyens de payer. Pourquoi vous en faites toute une histoire ?
Elle : ...
Moi : Mon travail est d'aider les gens dans votre condition. Vous n'avez rien du tout. Pas de famille, ni d'argent et je ne sais pas si vous avez un projet d'avenir. Vous avez eu de la chance d'être tombé sur mon frère et moi qui ne pensons qu'à vous aider. Alors je ne comprends pas d'où vous vient votre égo à deux balles !
Elle (choqué) :....
Moi (voix sèche) : Quand on est dans votre situation, on doit accepter l'aide qu'on nous propose. Je me suis excusé auprès de vous, je vous ai emmené ici et malgré le fait que vous n'aviez pas cessé de me prendre la tête. Je suis toujours là. Alors prenez ces sous et allez-y. Certaines personnes aimeraient avoir la chance dont vous bénéficiez donc ne la gâcher pas.
Je lui ai tendu les billets et elle a hésité mais elle a fini par les prendre. J'ai voulu lui proposer de l'attendre mais j'ai préféré m'abstenir. Je l'ai regardé partir et quand elle a poussé les portes de la clinique, je suis parti m'asseoir dans ma voiture pour l'attendre. Elle ne connaît nulle part. Je préfère la raccompagner.
[...]
Deux heures de temps plus tard
**Belmonde**
Je me suis adossée au mur de la clinique dès que j'ai réussi à sortir. Les informations bourdonnent dans ma tête et je n'arrive pas à accepter cela. Je savais que j'étais condamnée depuis des années mais quelque part en moi, je gardais espoir. Peut-être que l'infirmière qui m'avait fait le test s'était trompéeet que finalement je n'étais pas séropositive. Seulement quelques minutes ont suffi à la dame qui m'a reçu pour effacer tous mes espoirs. Elle m'a posé des questions et elle a fait le dépistage avec leur bandelette. Les deux traits qui confirment mon état sont apparus après quelques secondes. Voilà les dés sont bien jetés. Je l'ai écouté parler de tests approfondis pour déterminer le stade de la maladie et les précautions à prendre pour ne pas contaminer les gens. Elle m'a fait des prélèvements et m'a donné rendez-vous pour prendre les résultats le lendemain.
Je n'ai même pas su quand les larmes sont sorties. Cela fait des mois que je n'ai pas vraiment pleuré. La dernière fois c'est lorsque j'ai perdu ma grossesse et j'ai rencontré Aicha. J'ai éclaté en sanglots ne sachant plus quoi faire. J'ai besoin d'en parler. Je ne peux plus continuer à garder ce secret qui m'étouffe. J'ai senti des bras me relever et je fus prise de panique. Qui dans ce Cotonou me connaît ? Ou bien on veut encore m'emmener loin d'ici ? Aveuglée par les larmes, je me suis mise à me débattre.
Lui : Calmez-vous Belmonde. C'est moi Ethan !
J'ai lâché prise soulagée. Il a attendu.
Moi : Que faites-vous encore là ? lui demandais-je en essuyant mes larmes
Lui (soucieux): Je me suis dit que vous ne connaissez pas la maison donc j'ai préféré attendre. Venez avec moi s'il vous plaît.
Je l'ai suivi sans lutter. Je suis abattue au plus profond de moi. La dame m'a expliqué que certaines personnes vivent bien avec le virus pendant des années avant que les symptômes ne se manifestent. On dit que l'espoir fait vivre. Et c'est vrai. Pourquoi Dieu a-t-il mis autant de difficultés dans ma vie ? Comme tout le monde, j'aurais aimé connaître un homme qui m'aimerait, à qui je ferais des enfants et ainsi de suite. Pourquoi dans cette vie, certaines personnes ont tout et d'autres pas. Mes larmes ont repris de plus belle. Ethan m'a aidé à monter dans la voiture puis m'y a rejoins. Il m'a laissé pleurer pendant un moment puis m'a tendu des papiers mouchoirs.
Lui (voix empreinte d'angoisse) : Une mauvaise nouvelle ? Vous êtes enceinte ?
Moi (reniflant) : Non
Lui : Vous pouvez me faire confiance Belmonde. Parlez-moi s'il vous plaît.
Moi : Ce n'est pas une bonne idée. Je n'ai pas envie que vous vous détournez de moi.
On est resté silencieux quelques minutes. J'en ai profité pour arranger mon visage. Je dois en parler à Nev. Elle mérite de savoir la vérité et de prendre sa décision. Plus je perds du temps à le cacher, plus j'envenime les choses.
Moi : Je suis séropositive dis-je brusquement
J'ai regardé droit devant moi pour ne pas avoir à voir le sentiment de répulsion qui traversera son regard à l'annonce de la nouvelle. Dis à haute voix, cela semble encore plus vrai.
Lui : On peut se tutoyer ?
Moi :....
Lui : Regarde-moi....C'est maintenant tu l'as su ?
Moi (gardant les yeux fixés devant moi) : Je le sais depuis près de quatre ans. Mais je gardais un espoir idiot que celui qui m'a fait le test ai pu se tromper. Hélas c'est bien vrai dis-je en nettoyant les larmes qui recommençaient à couler.
Lui : Le médecin a dit quoi ? Pour ton suivi ?
Moi : J'ai rendez-vous demain matin pour avoir les résultats de certains tests et éventuellement commencer le traitement.
Lui : Le SIDA n'est pas une maladie qui tue de nos jours Belmonde. Quand on suit bien le traitement prescrit, on a une vie normale comme n'importe qui. Tu dois effacer tes larmes et regarder un peu derrière toi. Demande-toi pourquoi tu es encore en forme malgré tout ? Regarde ton passé et donne toi de l'espoir. Rien n'est perdu.
Moi :....
Lui : Demain je t'accompagne pour les résultats et c'est non négociable. J'aurais voulu rester avec toi mais j'ai une conférence tout à l'heure et Khaleb ne cesse pas de m'appeler. Mais je serais là ce soir. Promets-moi que tu mangeras et que tu te reposeras sans trop pleurer
Moi : ...
Lui : Belmonde
Moi : Promis
Il a souri avant de démarrer la voiture. J'ai fermé les yeux pour ne pas céder à l'envie de le regarde. J'ai peur de ce qu'il pense de moi actuellement. Il doit penser que j'ai batifolé sans me protéger et voilà le résultat. Mais pourquoi je m'intéresse d'abord à cela ? J'ai plus important à faire. Quoi qu'en dise Ethan, mon avenir est bel et bien hypothéqué.
[..]
Quelques heures plus tard
**Khaleb**
La conférence qui a eu lieu cet après-midi s'est mieux déroulée que je ne m'y attendais. J'ai observé tout le temps Nev qui n'a manifesté aucun signe de stress. Pendant près de quatre heures de temps, elle a tenu bon. Même les invités à la conférence étaient tous sous son charme. Il faut dire qu'elle m'a bluffé. Il y avait des allemands, des espagnols, des francophones et des anglophones à la conférence. Le but visé étant de trouver des solutions plus adéquates à la maltraitance des enfants.
Nevada a fait un boulot impeccable... En plus de traduire tout ce qui se disait du français en espagnol et vice versa, elle écoutait tout ce que les autres se disaient dans leur langue et elle le notait sur son bloc notes et me le montrait. Quand les autres s'expriment dans leur langue exclusivement, c'est pour critiquer le boulot fait, les solutions apportées...bref ils disent tout ce qu'ils ne m'auraient pas directement. Mais j'ai tout su. Je comprends parfaitement l'anglais donc je n'ai pas eu de problème de ce côté-là. Elle m'a traduite ce que les allemands se disaient entre eux également. J'étais soufflé.
Comment a-t-elle fait pour maîtriser aussi parfaitement les diverses langues ? Elle m'a semblé tellement maîtresse d'elle. On ne peut jamais s'imaginer qu'elle a tant souffert dans sa courte vie. Dehors la nuit tombe déjà. Il est temps qu'on rentre. Des coups sont frappés à ma porte.
Moi : Oui entrez !
La porte s'ouvre et Nev fit son entrée dans mon bureau. Ce matin, avant notre arrivée je lui ai fait préparer un bureau avec tout le confort possible afin qu'elle ne se sente pas jetée dans l'arène. Depuis la fin de la conférence, on n'a pas eu encore l'occasion de discuter. Je la regarde se mouvoir dans sa belle robe et une fois encore, sa beauté me frappe au visage. Elle ne fait partie des femmes qui sont concentrées sur elles et leur physique. Je me demande même si elle se rend compte de l'aura qu'elle dégage. Des hommes m'ont déjà demandé son numéro et j'ai gentiment décliné.
Moi : Tu as assuré aujourd'hui Chanev. Je ne m'y attendais pas du tout. Ou as-tu appris toutes ses langues ?
Elle (souriant) : Ce surnom ridicule là, barrez-le de votre cerveau
Moi (surpris) : Tu me vourvoies pourquoi déjà ?
Elle : Vous êtes mon patron
Moi : Non détrompe toi. Je suis ton .... Ton ami. Alors on peut continuer à se tutoyer.
Elle : Ok. Comme aujourd'hui j'ai eu une bonne journée je vais répondre à votre question. J'ai appris ces langues aux Etats-Unis. Votre question suivante maintenant est de savoir comment j'ai pu me retrouver dans ce village. Je me trompe ?
Moi (penaud) : Non pas du tout mais tu n'es pas obligée d'y répondre tout de suite. Je voulais te remettre ceci dis-je en lui tendant un chèque
Elle a pris le papier et a écarquillé les yeux dès qu'elle a lu le montant inscrit là-dessus. L'idée est venue comme ça. Elle n'acceptera pas que je lui donne de l'argent directement alors je vais la rémunérer pour ses services.
Elle (stupéfaite) : C'est quoi ça ? Un million de francs ?
Moi : Oui exactement. Si tu fais tes recherches, tu vas comprendre que c'est le salaire minimum pour un interprète de haut niveau. Ce chèque est à ton nom. Et j'ai ouvert un compte épargne à Ecobank. Voici tous les documents. Tu pourras y aller demain et déposer ton premier salaire.
Elle : Qu'est-ce que je vais faire de tout cela ?
Moi (souriant) : Ce n'est pas grande chose et en plus, tu en as besoin. Dès que tu quitteras chez moi, tu verras toute son importance. Tu peux gagner plus si tu viens travailler avec moi.
Elle : Travailler tous les jours ici ?
Moi : Oui autant que tu voudras....On rentre ? Il commence à se faire tard. Prends le temps de réfléchir à ma proposition Nev. Tu as du potentiel.
Elle : Je n'ai aucun document pour attester de mon cursus ou mes diplômes. On engage les gens comme cela ?
Moi : En principe non mais je ferais une exception pour toi.
Je me suis levé et elle en a fait de même. La porte de mon bureau s'est encore ouverte mais cette fois ci c'est plutôt Awa qui est entrée. Merde ! Cela fait un moment que je n'ai pas pensé à elle. De toute façon, c'est elle qui m'ignorait jusque-là. Comme d'habitude, elle est sur son 31. Awa est une très belle femme que j'aime beaucoup. Mais parfois elle peut être envahissante. Elle marche sur ses talons et viens se planter devant moi me faisant un sourire aguicheur. Elle veut se faire pardonner. Elle m'enlace et pose un baiser sur mes lèvres. Je sais que je ne devrais pas mais je me sens tout à coup mal à l'aise. Je la repousse légèrement.
Moi : Tu ne tapes plus avant d'entrer ici ?
Awa (faisant la moue) : C'est une obligation de taper avant de venir voir mon fiancé ?
(se tournant vers Nev) Bonsoir
Apparemment elle ne l'a pas reconnu. J'ai vu Nev reculer.
Nev : Bonsoir ! Je vais y aller.
Moi : Non attends ! (me tournant vers Awa) je rentrais comme cela.
Awa : Cela tombe bien. J'ai gardé tout ce qu'il me faut pour passer la nuit chez toi. J'ai envie de faire ....
Moi (la stoppant) : Non ce n'est pas possible
Awa (stupéfaite) : Qu'est-ce qui n'est pas possible ? Moi chez toi ou faire l'amour ?
Je passe une main sur mon visage nerveux. Nev nous observe impassible.
Moi : Je viendrais te voir chez toi mais tu ne peux pas dormir chez moi Awa
Elle (sursautant) : J'ai toujours dormi chez toi Khaleb. Pourquoi maintenant tu dis que ce n'est plus poss..... ah ok. C'est à cause de ta guenon de femme villageoise que tu me mets de côté ? Tu n'es pas croyable ! Laisse-moi te dire que je ne la laisserai pas faire ; Elle ne viendra pas t'arracher à moi.
Nev (ton sec): Je ne suis pas une guenon Madame et croyez-le ou non, votre fiancé ne m'intéresse guère.
Awa s'est retournée lentement vers elle. J'ai vu la stupéfaction se peindre sur son beau visage. Elle a regardé Nev de la tête aux pieds comme si elle n'en revenait pas. Elle est tellement différente de celle que j'ai ramené du village il y a quelques jours.
Awa (ébahie) : Ce n'est pas possible que...
Nev : Si c'est possible. Et arrêtez de m'insulter à tout vent. Si vous êtes si sûre de votre amour ; montrez-le en exprimant de la confiance plutôt que cette amertume palpable
Awa (se reprenant) : Qu'est-ce qu'elle fait ici ? Je pensais que ....tu te fiches de moi
Khaleb ? Tu as vu comment elle me parle ? Elle se prend pour ta femme déjà hein
Nev a ramassé son chèque et ses documents puis s'est dirigée vers la sortie. Après avoir ouvert la porte, elle s'est tournée vers nous.
Nev : Je t'attends en bas Khaleb. Quant à vous, dites-vous bien une chose. Je ne me prends pas pour son épouse. Vous êtes sa fiancée c'est cela non ? Bah moi je SUIS son épouse ! C'est à vous de vous faire petite pour que j'accepte vous le laisser .
Puis elle a fermé la porte derrière elle nous laissant sous le choc de sa dernière phrase.