La petite fille qui riait tout le temps...
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Chapitre 3 No.3

Mais le temps se précipitait, la guerre, la deuxième, s'annonçait, se profilait...

Il lui a fait entendre que sans doute en tant qu'officier de réserve il allait être mobilisé et que s'il ne revenait pas, comme c'était probable, elle bénéficierait de la pension de veuve et que dans sa situation, cette sécurité matérielle c'était important pour elle, compte tenu de ses responsabilités familiales !

Alors elle a dit oui... et ils se sont mariés... vite fait, presque en cachette ! Son divorce avait été prononcé moins d'un mois auparavant, et le lendemain il partait pour Narvick.

Il n'est pas mort en Norvège !

Même très vite ils sont revenus... d'accord après avoir remporté la seule victoire française de la Seconde Guerre mondiale... !

Ayant rejoint le Maroc, il dira un jour, bien plus tard, que bien sûr il aurait pu partir en Angleterre et rejoindre les Forces françaises libres, mais qu'il avait estimé qu'il y avait des choses importantes à faire de l'intérieur... Je le soupçonne, mais ça il ne me l'a jamais dit, ne pas avoir pu résister à la tentation de retrouver sa femme, celle avec qui il n'avait passé qu'une seule soirée, peut-être une seule nuit... l'amour de sa vie !

Mais bon, ce n'est pas incompatible ! Et puis mon papa c'était un homme de devoir, pas un va-t'en guerre !

Là, bon, je n'arrive toujours pas à retracer son parcours, enfin pas exactement, perdu qu'il est dans des cartons en cours de transfert entre les différentes archives des ministères de la Guerre, de l'Intérieur... mais ce n'est pas grave, on sait l'essentiel et déjà avec cet essentiel il y aurait de quoi en écrire un livre !

Démobilisé en septembre 1940, après « l'armistice » il entre dans la police... en février 41 il est nommé chef du camp de Rivesaltes, vous savez ces camps d'hébergement prévus pour accueillir les « indésirables »... C'est ainsi que, j'ai découvert, on appelait les réfugiés dans maints documents de l'époque. Pendant la guerre ils étaient nombreux les « indésirables »... peut-être maintenant aussi d'ailleurs !

Prévu dans un 1ertemps pour accueillir des réfugiés espagnols, les rescapés, les laissés pour compte de la « Guerre d'Espagne », il accueillait maintenant des étrangers de tous bords, des juifs aussi...

En 42, alors que commencent à partir les premiers trains pour la déportation mon père demande à être relevé de son commandement. Il n'avait pas choisi d'être là pour ça.

Dès le 6 août 42, il est nommé « commandant des gardiens de la paix affecté au service central de la sécurité publique » à Vichy ! Pourtant il ne partira de Rivesaltes qu'en septembre.

Comme on peut s'en douter, depuis quelques années, ce parcours n'a pas été, et n'est toujours pas, sans soulever quelques questions, voire quelques dissensions, au sein de la famille ! Mais il est trop tard pour lui poser des questions ; ne restent que les archives nationales... ce qui n'est pas très facile !

Et encore, on a échappé au pire, puisque dans les années 46 il a failli être muté chef de la police à Madagascar, avec paraît-il rang de préfet... mais là, c'est maman qui s'y est opposée. Elle ne voulait pas partir dans ce pays de« sauvages »avec ses deux filles de 2 et 5 ans ! Pour ceux qui connaissent un peu l'histoire, ils comprendront que je puisse dire : « Ouf ! Merci maman ! »

Il a donc pris un congé sans solde pour changer de voie et finalement revenir chez Renault où il terminera sa carrière professionnelle !

C'est vrai que sa carrière il l'avait débutée comme secrétaire d'un député... il en a toujours gardé une aversion absolue pour la politique disant : « C'est le monde le plus pourri que je connaisse... » je dégage toute responsabilité, son appréciation lui appartient !

Très récemment quand même, j'ai pu mettre au jour un document, une médaille, la croix de guerre avec palmes, obtenue pour hauts faits militaires qui font de lui un « Magnifique Combattant de la Libération », comme il y est écrit !

Je pense qu'il ne l'a jamais su, la grande blonde non plus d'ailleurs, car sans doute le curé en aurait parlé lors de son enterrement !

Mais moi, depuis, j'adore l'appeler« Le Magnifique »même si je ne peux pas m'empêcher d'en sourire.

Mais revenons en arrière pour reprendre le cours de ce qui nous intéresse ici... Tout de même, c'est comme cela que, à 3 ans d'intervalle, presque jour pour jour, ses deux filles sont nées, l'une à Rivesaltes en 41, et l'autre à Vichy en 44 !

Donc en février 41, il arrive à Rivesaltes, il n'avait pas encore 36 ans (certains documents laissent à penser que dès le 26/12/40 il y était déjà) avec sa femme qui 6 mois plus tard donnera le jour à son premier enfant...

Cela n'a pas dû être facile...

J'ai retrouvé un courrier qu'il adresse au préfet des P.O. le 27/02/41, car le contingent d'essence alloué au camp vient d'être réduit de 300 litres alors que le nombre d'hébergés ne cesse d'augmenter. En 1 mois, il est passé de 2 100 à 5 000 et on en annonce pour le 10 mars 1350 de plus, et encore 5 000 à une date non encore précisée... Il faut assurer la remise en état du camp, l'organisation, l'intendance, le quotidien, et toutes les aides, tous les concours extérieurs s'interrompent, s'arrêtent...

Il termine sa lettre par ces mots : « Dans ces conditions, j'ai l'honneur de vous rendre compte qu'à partir d'une date voisine du 15 mars, je ne disposerai plus d'aucun moyen de transport me permettant d'assurer l'alimentation des hébergés présents au Camp. »

Même pas une formule de politesse !

Oui, je sais, il n'était pas à la plus mauvaise place !

D'ailleurs, certains se sont plaints...

Pour moi, je me souviens, je devais avoir 3 ans 1/2, je me souviens de ce petit bonhomme qui a passé quelque temps à la maison ; tous les matins, il partait avec son béret noir penché sur le côté, avec son chevalet et sa boîte de peinture... le soir, il rentrait...

J'ai encore à la maison des toiles qu'il a laissées lorsqu'il est parti, notamment une fresque représentant tous les monuments de la ville.

C'était un peintre espagnol qui avait été « interné », à l'époque on disait « hébergé », à Rivesaltes... j'ai même gardé son nom en mémoire, j'ai entendu dire, aussi, qu'il avait des tableaux exposés au musée de Barcelone...

Je me souviens aussi de ma mère racontant qu'après la guerre ils avaient reçu une caisse pleine de balais et de plumeaux de toutes les couleurs et que vexée elle avait jeté tout ça à la poubelle en ajoutant :

« Tu te rends compte, on leur sauve la vie et ils envoient des balais... »

Pourtant ils avaient dû « se prendre la tête »pour retrouver la trace de ce commandant du camp où ils avaient été internés et pouvoir lui envoyer un échantillonnage de leur production, comme pour lui dire :

« Grâce à vous, on peut encore fabriquer tout ça... »

Ce devait être joli toutes ces couleurs ; moi je me rappelle lorsque j'étais petite et que pour aller chez ma grand-mère près de Lyon on passait à Lapalud dans les Valliguières, près de Bagnols-sur-Cèze (il n'y avait pas l'autoroute en ce temps-là). Lapalud dont on m'avait dit que ce petit village était la« capitale »du balai. Tous ces balais, tous ces plumeaux de toutes les couleurs, exposés le long de la route, moi je trouvais cela magnifique !

J'attendais avec impatience et ravissement ce moment du voyage. C'était comme une bouffée de rêve, de liberté !

Elle était moins fière le jour où entendant parler de René Bousquet à la télé, sachant qu'un temps mon père avait partagé son bureau lorsqu'il était à Vichy, elle répétait à qui voulait bien l'écouter, « Je comprends pas, je comprends pas, pourtant je me rappelle moi, quand les trains partaient du camp de Rivesaltes, on avait plein de juifs cachés dans les escaliers qui descendaient à la cave... et je leur disais chut, chut, faut pas faire de bruit... je ne comprends pas ! »

Mais le procès de René Bousquet n'a pas eu lieu et chacun peut s'en donner à cœur joie sur ses propres projections concernant mon papa !

C'est vrai qu'elle était vieille à ce moment-là, et depuis longtemps déjà Alzheimer faisait son œuvre, elle n'avait plus vraiment les moyens de se battre !

Pour moi, j'ai eu quelques informations le jour où l'emmenant en promenade au bord de l'eau, je l'ai fait parler, incidemment, l'air de rien je lui posais des questions. Je savais lui faire du bien, qu'elle en avait besoin... Et moi, cela me permettait d'en apprendre quelques bribes... À la maison, personne n'en avait jamais parlé ! C'est un peu comme si la guerre n'avait jamais existé...

            
            

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