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Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

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Point de vue d'Amélie Fournier :
Les chuchotements dans la salle de bal étaient comme mille petites aiguilles perçant ma peau. Je pouvais sentir leur jugement, leur mépris à peine voilé. « Regardez-la », gloussa une femme, « l'avocate déchue. Quel culot de se montrer ici. »
Quel culot ? J'avais envie de hurler. Vous n'avez aucune idée.
Mon esprit est revenu à cette nuit-là, après le verdict, après que le monde se soit effondré. J'avais couru à la maison, le cœur à vif, m'accrochant au dernier lambeau d'espoir qu'Édouard, au moins, serait innocent. Qu'il s'expliquerait.
J'ai trouvé la porte de son bureau entrouverte. À l'intérieur, les murs étaient couverts. Pas de mes photos, pas des dessins de Léo. Mais de Céline. Des photos d'eux, de la fac, de voyages récents, des regards intimes, des sourires volés. Un sanctuaire à leur « amour », construit juste sous mon nez, dans la maison que nous partagions. La réalisation froide et écœurante m'a frappée alors. Ce n'était pas juste un coup monté. C'était une trahison calculée et brutale de tout ce que nous avions construit.
Je suis restée là, paralysée, le froid s'insinuant dans mes os, plus glacial que n'importe quelle nuit d'hiver. C'est ça, me suis-je souvenue de penser. C'est comme ça que ça se termine.
Mes jambes ont flanché. Je me suis effondrée sur le sol, des larmes chaudes coulant enfin sur mon visage, brûlant des sillons sur ma peau. « Édouard ! » ai-je étouffé, ma voix rauque. « Comment as-tu pu ? »
Il a émergé de l'ombre, son visage pâle, ses yeux évitant les miens. Il n'a pas nié. Il est juste resté là, un témoignage silencieux de sa culpabilité.
« Céline a toujours été la seule, Amélie », a-t-il marmonné, sa voix vide d'émotion. « Elle est revenue. Je savais que je devais être avec elle. » Il a offert un pathétique : « Je suis désolé. Je m'assurerai qu'on s'occupe de toi. »
S'occuper de moi ? Mon cœur s'est brisé en un million de morceaux. « Espèce de lâche méprisable », ai-je sifflé, les mots ayant un goût de cendre dans ma bouche. « Elle t'a laissé brisé, Édouard. Je t'ai reconstruit. Et c'est comme ça que tu me remercies ? Tu me trahis pour la femme qui a piétiné ton cœur une fois déjà ? »
Il a tressailli, mais n'a rien dit. Il est juste resté là, à me regarder me briser, offrant des promesses vides de « soins ».
Puis, le coup final, brutal. Alors que les gardes m'emmenaient en prison, les mains menottées, mon monde en ruines, j'ai vu Léo. Il se tenait derrière Céline, s'accrochant à sa jambe. Ses yeux, habituellement remplis d'un amour innocent pour moi, étaient maintenant écarquillés d'un mélange glaçant de peur et d'autre chose. Du dégoût.
« Maman, ne reviens pas », avait-il murmuré, sa voix petite, mais claire comme du cristal. « Tu es méchante. Tatie Céline l'a dit. »
Ce fut le moment. Le moment exact où mon cœur s'est changé en pierre. L'abandon d'Édouard était un coup de poignard. Les mots de Léo étaient l'acide qui a dissous mon âme même.
Trois ans. Trois ans dans ce trou à rats. Trois ans de railleries, d'abus physiques et émotionnels. Mon corps, autrefois fort et vibrant, est devenu une toile de bleus et de cicatrices. Une attaque particulièrement brutale dans la cour de la prison m'a laissé avec une claudication permanente, un rappel constant de leur cruauté.
Mais le feu dans mes tripes ne s'est jamais éteint. Je suis sortie de prison, une coquille vide de ce que j'étais, mais avec un nouveau but. La vérité. La vengeance. Je les démasquerais.
J'ai commencé à creuser, patiemment, sans relâche. J'ai trouvé les fissures dans leur façade parfaite, les empreintes numériques de leur conspiration. J'avais les preuves. Tout était là, clair comme le jour. J'étais enfin prête. Prête à laver mon nom, à reprendre ma vie.
Je conduisais vers le palais de justice, une tempête faisant rage à l'extérieur, imitant celle de mon cœur. Les preuves, soigneusement compilées, reposaient sur le siège passager. J'étais si proche. Si proche de la liberté.
Puis, les freins ont lâché.
La voiture a fait une embardée sauvage, déviant de la route côtière. La dernière chose dont je me souviens, c'est le bruit écœurant du métal froissé, le rugissement de l'océan, et la réalisation glaçante que ce n'était pas un accident. C'était délibéré.
Je me suis réveillée dans une clinique isolée et oubliée, mon corps brisé, ma mémoire fragmentée. Ils m'avaient laissée pour morte. Présumée morte.
Et maintenant, j'étais là. Vivante. Un fantôme revenu.
Les chuchotements dans la salle de bal se sont tus, remplacés par la voix mielleuse de Céline. « Amélie, ma chérie, nous comprenons que tu sois un peu... déboussolée. Mais c'est la soirée de Léo. Et Édouard et moi célébrons nos fiançailles. » Son sourire était condescendant, un mince vernis sur une pure méchanceté. « Peut-être qu'il vaut mieux que tu... partes tranquillement. Pour le bon vieux temps. »
Édouard, rouge et mal à l'aise, a hoché faiblement la tête. « Amélie, ça fait sept ans. Il est temps de tourner la page. Nous avons tous avancé. S'il te plaît, ne fais pas de scène. » Sa voix contenait une note de supplication lasse.
« Tourner la page ? » ai-je enfin parlé, ma voix coupant la musique élégante, nette et claire. « Tu penses que je peux "tourner la page" ? » Mes yeux ont brûlé dans ceux d'Édouard. « Sais-tu seulement ce que tu me demandes de laisser derrière moi ? »
Son visage est devenu blanc. Il savait. Il savait très bien.
Juste à ce moment-là, Léo, le visage strié de larmes, s'est avancé. Il a attrapé mon bras, sa prise étonnamment forte. « Maman, s'il te plaît », a-t-il sangloté, ses yeux suppliants. « Juste... fais semblant. Pour moi. Pour mon anniversaire. Dis juste que tu es désolée. S'il te plaît, Maman. »
J'ai baissé les yeux sur sa main, puis dans ses yeux remplis de larmes. Le garçon qui m'avait trahie, le garçon qui les avait aidés à me pousser du haut de la falaise. Le garçon dont les larmes suppliantes avaient autrefois fait fondre mon cœur. Plus maintenant. Cette partie de moi était morte, enterrée sous les décombres.
J'ai retiré mon bras de sa prise, lentement, délibérément. « Désolée ? » ai-je demandé, ma voix d'un calme glaçant. « Désolée de quoi, Léo ? » Mon regard l'a transpercé. « D'avoir survécu ? »
Il a tressailli, reculant comme s'il avait été frappé. Son visage était un masque de terreur. Édouard regardait, les yeux écarquillés, une horreur naissante se propageant sur ses traits. Céline, toujours la manipulatrice, me regardait avec une lueur calculatrice, un léger sourire entendu jouant sur ses lèvres. Elle avait toujours su.
« Pensiez-vous vraiment », ai-je commencé, ma voix s'élevant, coupant le silence stupéfait de la salle de bal, « que je ne reviendrais pas pour ça ? » Mes yeux ont vacillé vers Céline, puis vers Édouard, puis de nouveau vers Léo. « Pensiez-vous vraiment que vous pouviez m'enterrer et vous en sortir indemnes ? »
La foule était captivée, silencieuse, suspendue à chacun de mes mots. Ils s'attendaient à une scène, et j'étais sur le point de leur en donner une. Juste pas celle à laquelle ils s'attendaient.