Chapitre 4 Chapitre 4

Gamma Shir, solide et fidèle, s'était avancé vers moi. Il avait appartenu autrefois à ma propre meute, avant la fusion. Sans cela, il aurait été mon Bêta. Il me salua d'un signe respectueux avant de dire d'une voix assurée :

- Je serai ton partenaire, Luna Kylie.

Un mince sourire étira mes lèvres. Coral, en moi, vibrait d'impatience. Nous prîmes position. Malgré la tension qui raidissait mes muscles, j'étais prête. Le combat s'engagea sans avertissement. Shir frappait vite, avec précision. Ses poings fusaient, mais je les parais d'un geste fluide, mes avant-bras interceptant chaque coup. Je ripostai d'un coup de pied sec au creux de son ventre. Il recula, projeté au sol. Des cris d'encouragement montèrent aussitôt :

- Vas-y, Luna Kylie ! Montre-lui ce que tu vaux !

Shir se releva, ses yeux brillant d'excitation. Il bondit soudain, son corps se tordant sous la transformation. En une seconde, un grand loup sombre me fit face. Je m'arquai, tendue, puis cédai à Coral. Ma peau vibra, mes os craquèrent, et en un rugissement, je me fondis en elle. Coral bondit avec une puissance féline, plaquant Shir au sol et refermant ses crocs sur sa gorge. Il gémit, se soumit. Alors, elle le relâcha.

Quand je repris forme humaine, j'étais haletante, mais le sourire franc de Shir allégea un instant mon cœur.

- Impressionnant, Luna Kylie, dit-il avec admiration.

- Merci, répondis-je en riant, un rire qui, pour la première fois depuis longtemps, ne sonnait pas faux. À partir d'aujourd'hui, je reprends l'entraînement.

Mais ce bref répit prit fin aussitôt qu'une voix douce s'éleva derrière moi.

- Luna Kylie...

Je n'eus pas besoin de me retourner pour savoir. Mon corps entier se crispa. Zoé.

- Je sais que ton loup est fort, que tu es une Alpha née, commença-t-elle d'un ton faussement humble, mais... j'aimerais tant que tu m'aides à m'entraîner.

Je pivotai, froide.

- Non, dis-je sèchement.

Elle baissa les yeux, jouant la victime.

- Alpha Graham me l'a demandé, murmura-t-elle. Il a dit que tu étais la meilleure pour m'apprendre.

Autour de nous, le silence tomba. Tous attendaient ma réaction. Mon cœur s'emballa.

- Il t'a demandé ça ?

Elle hocha doucement la tête, ses grands yeux brillants d'innocence feinte.

- Oui... Et puis, tu sais, j'ai perdu la main. Alpha Liam me battait, il m'interdisait de m'entraîner...

Je l'observais, stupéfaite. Chaque mot semblait calculé. Graham avait-il seulement cherché à vérifier ses dires ? Avait-il vu la moindre cicatrice sur son corps ? Tout sonnait faux. Pourtant, je ne pouvais aller à l'encontre d'un ordre direct de mon Alpha.

- Très bien, dis-je finalement d'une voix glaciale. Allons-y.

Nous prîmes place sur le tapis. Elle fit un pas, puis un autre, comme une prédatrice rôdant autour de sa proie. Son regard n'avait plus rien de fragile. Je compris qu'elle mentait dès le premier échange. Son attaque fut d'une rapidité stupéfiante : un coup de pied dans mon abdomen me fit chanceler. Avant même que je reprenne mon souffle, elle bondit, sa jambe sifflant dans l'air. J'esquivai de justesse, contre-attaquai d'un coup de genou qui la fit ployer. Mais loin d'abandonner, elle poussa un cri et sauta de nouveau, me visant en pleine tête.

C'était trop précis. Trop maîtrisé. Elle ne cherchait pas à s'entraîner, elle voulait me blesser. Peut-être même me tuer.

Je ripostai par réflexe, lui bloquant la jambe et projetant mon coude vers son visage. Elle tourna la tête, mais je sentis le choc sec sur son nez. Elle s'effondra en hurlant, le sang jaillissant.

La porte s'ouvrit alors à la volée. Graham.

Il se précipita vers elle, fou de rage.

- Zoé ! Qu'est-ce qui s'est passé ?

Elle sanglotait déjà, tremblante dans ses bras.

- Elle... elle m'a forcée à me battre... Elle voulait me blesser... Notre bébé...

Je restai figée. Bébé ? Mon cœur s'arrêta net.

- Comment as-tu pu ?! rugit Graham en fondant sur moi.

Ses doigts se refermèrent sur ma gorge. Je suffoquai, attrapant son poignet, mais sa colère était démesurée.

- Graham... écoute-moi...

- Tais-toi ! Elle porte mon enfant !

Ses mots me frappèrent plus fort que sa poigne. Zoé... enceinte ? Impossible. Et pourtant, il la serra contre lui avec une tendresse que je ne lui connaissais plus. Sans un regard pour moi, il sortit du terrain en la portant.

Je demeurai là, étourdie, la main sur la gorge. Les regards des guerriers me brûlaient. En quelques minutes, j'étais passée du rang de Luna respectée à celui de monstre.

Pendant deux ans, j'avais tout donné pour porter l'enfant de mon compagnon, sans succès. Et cette femme, à peine revenue, avait réussi ce que moi, la compagne légitime, n'avais pu accomplir.

Je rentrai seule, l'esprit vide. Les rumeurs allaient se répandre comme un feu. La future mère de l'héritier de la meute, ce serait Zoé. Et moi, j'étais désormais celle qu'on plaindrait à voix basse.

Je ne sais pas quand mes jambes me ramenèrent jusqu'à ma chambre. J'eus à peine le temps de tomber sur le lit que mon téléphone vibra.

- Kylie !

La voix familière de Katy résonna à travers le combiné.

- Katy ? soufflai-je, à moitié incrédule.

- Oui ! Ma chère, je suis désolée de t'appeler si tard ! J'étais en randonnée dans les Andes, sans réseau. Comment vas-tu ? Où es-tu ?

Son enthousiasme chaleureux brisa quelque chose en moi. Je souris malgré les larmes qui me montaient.

- Je... j'ai besoin d'un service, dis-je simplement.

Elle se tut un instant, puis répondit doucement :

- Je t'écoute.

- J'ai besoin de rencontrer Alpha Logan. C'est urgent. Peux-tu m'aider ?

- Logan ? répéta-t-elle, surprise.

- Oui. Si tu peux organiser une entrevue, s'il te plaît...

Je savais que ce genre de demande ne se réalisait pas en un claquement de doigts. Alpha Logan Hanks, frère de Katy, dirigeait la plus grande meute du continent. Sa réputation n'était plus à faire : redoutable, calculateur, insaisissable.

Après quelques secondes, Katy reprit :

- D'accord. Je vais lui en parler. Tu veux me dire ce qui se passe ?

- Pas maintenant, murmurai-je.

- Très bien. Mais promets-moi de tenir bon.

- Je promets.

Lorsqu'elle raccrocha, je gardai le téléphone contre ma poitrine, les yeux fermés. Peut-être qu'il restait un mince espoir.