J'ai ri. Un son sec et sans humour qui a égratigné ma gorge à vif. Mes mains étaient ruinées, ma sœur était morte, et maintenant ma carrière, le dernier vestige de mon ancienne vie, avait disparu. Que restait-il à prendre ? Charles n'était pas venu. Pas une seule fois. Il avait envoyé son assistant, un bouquet de fleurs génériques, et la lettre de licenciement. Un renvoi parfaitement ordonné.
Je suis sortie de l'hôpital, mon corps se sentant plus léger, moins accablé par les attentes. J'ai marché jusqu'à la maison, mes pas résonnant dans les couloirs vides du manoir qui n'était plus le mien. La porte était entrouverte. Étrange.
« ...Je me fiche de ce qu'elle dit, Mère », la voix de Charles, froide et ferme, venait du salon. « Je ne signerai pas ces papiers de divorce. Ni maintenant, ni jamais. »
Mon cœur, une chose ratatinée et cassante, a eu un petit sursaut douloureux. Il ne signait pas ? Pourquoi ?
Un autre fracas. Il semblait furieux. « Elle a essayé de me ruiner ! Ma réputation ! Ma famille ! »
La voix de sa mère, stridente et désapprobatrice, a fendu l'air. « Charles, chéri, tu dois être rationnel. Cette femme n'est que source de problèmes. Elle est abîmée. Ses mains sont inutiles. Et après cet... incident... au cimetière. Les rumeurs ! Pense à notre nom de famille ! Et une femme avec une telle histoire... qui sait si elle peut même porter des enfants en bonne santé maintenant ? »
Mon sang se glaça. Abîmée. Inutile. Inapte. Les mots, lancés négligemment, m'ont transpercée.
La voix de Charles de nouveau, un grognement bas et menaçant. « Je m'en fiche. Elle est toujours ma femme. Et elle restera ma femme. » Un bruit de déchirement. « Voilà. Les papiers. Déchiquetés. Et ne t'inquiète pas pour les enfants, Mère. Je lui donne des pilules contraceptives depuis le début. Elle ne peut pas tomber enceinte tant que je suis marié avec elle. »
Mon souffle s'est coupé. Des contraceptifs ? J'avais toujours voulu des enfants. Toujours. Et lui... il m'avait secrètement droguée. Pendant tout ce temps.
« Je demanderai à Aurore de perpétuer la lignée », a poursuivi Charles, sa voix d'un calme glaçant. « Elle a toujours été plus... docile. »
Je suis restée là, ma main agrippant la poignée de la porte, mes jointures blanches de tension. Mon ancien mari, mon ravisseur, mon bourreau, n'était pas seulement abusif, il était totalement dépravé. Son « amour » était une cage tordue et possessive. J'ai senti une vague de nausée, un dégoût profond et primal.
L'air froid de la nuit fut un choc pour mon système. Je suis sortie de la maison en titubant, mon téléphone serré dans ma main tremblante. J'ai composé le numéro de Maître Dubois.
« Maître Dubois », ai-je dit, ma voix plate, dépourvue d'émotion. « J'ai besoin que vous vendiez toutes mes actions dans la société de Charles. Liquidez tout. Je me fiche de la valeur marchande. Débarrassez-vous-en. Maintenant. »
« Docteur Fournier ? Êtes-vous sûre ? C'est un capital important... »
« J'en suis sûre », l'ai-je interrompu, ma voix tranchante. « Et le divorce. Vous avez dit que c'était dans les dernières étapes. À quelle vitesse pouvez-vous le finaliser ? »
« Eh bien, avec le refus soudain de Monsieur Baron de signer, ça pourrait se compliquer, Docteur Fournier. Un divorce contesté pourrait prendre des mois, voire des années. »
« Alors trouvez un moyen », ai-je dit, ma voix s'élevant. « Je dois être hors de ce pays dans dix jours. Faites tout ce qu'il faut. Peu importe le coût. »
Avant que Maître Dubois ne puisse répondre, la porte d'entrée du manoir s'est ouverte en grand. Charles se tenait là, son visage orageux, ses yeux sombres de fureur.
« Où vas-tu, Adèle ? » a-t-il exigé, sa voix comme un fouet.
Juste au moment où j'ouvrais la bouche pour répondre, des coups frénétiques ont retenti en bas. Le regard de Charles a vacillé, une distraction momentanée. Il a ouvert la porte, et Aurore, le visage strié de larmes, s'est jetée dans ses bras.
« Charles ! Oh, Charles, Dieu merci tu es là. Ma mère... sa douleur à la poitrine... ça s'aggrave ! » Elle a sangloté sur son épaule, sa voix tremblante.
Charles s'est immédiatement adouci, lui caressant les cheveux. Il m'a jeté un coup d'œil, ses yeux froids. « C'est de ta faute, Adèle. Tout ça. La santé déclinante de sa mère à cause de ta négligence. »
Aurore, s'accrochant à lui, a levé des yeux grands et larmoyants. « Oh, Charles, c'est insupportable. Ma mère souffre tellement. Si seulement il y avait une herbe rare, un remède ancien pour soulager sa douleur. J'ai entendu parler de l'Orchidée de Lune dans les montagnes lointaines. On dit qu'elle guérit tous les maux. J'irais moi-même, mais... » elle s'est interrompue, son regard se posant sur son bras bandé, un plaidoyer silencieux.
Charles s'est tourné vers moi, son visage figé, ses yeux durs. « Tu l'as entendue, Adèle. Tu lui dois ça. C'est ta pénitence. Va. Trouve l'Orchidée de Lune. Et ne reviens pas sans elle. »